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Couvre-feu, barrages routiers, perquisitions — L'armée israélienne s'implante en Syrie

Par  Hoda Matar, le 14 février 2025

AL-HAMIDIA, SYRIE - Dans le petit village syrien d'al-Hamidia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Damas, la plupart des maisons, comme celle du berger Abu Mo'ath, sont bâties en basalte noir, une pierre caractéristique de la région volcanique. L'air parfumé de lavande et de sauge embaume le paysage rural reculé.

Mais au cours des deux derniers mois, la vie dans le village a été marquée par l'occupation militaire, les chars et les troupes israéliens ayant consolidé leur présence sur le territoire syrien récemment conquis et imposé un blocus à la région, détruisant des maisons et des infrastructures essentielles, érigeant des avant-postes militaires, restreignant les déplacements, déplaçant des habitants et procédant à des arrestations.

"Nous avons été déplacés, puis nous sommes rentrés chez nous", a déclaré à Drop Site News Abu Mo'ath, 55 ans et père de cinq enfants. "Nos moyens de subsistance sont mis à mal. Nos vies sont détruites, et notre destin incertain".

Al-Hamidia est nichée dans une zone tampon des hauteurs du Golan, entre la Syrie et Israël, sous surveillance internationale. Israël a occupé la majeure partie du plateau du Golan, arraché à la Syrie lors de la guerre de 1967, pour y construire des colonies illégales et l'annexer en 1981, dans le cadre d'une opération non reconnue par la communauté internationale, à l'exception des États-Unis. Après que le président Trump ait suscité des critiques mondiales lors de son premier mandat en reconnaissant officiellement la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan en 2019. Une zone tampon démilitarisée a été établie en 1974 entre la région annexée et la Syrie, les forces de l'ONU étant chargées de surveiller la zone.

Après la chute du président syrien Bachar al-Assad début décembre, Israël a lancé une  vaste campagne de frappes aériennes à travers la Syrie, ciblant et détruisant de manière préventive d'immenses secteurs de la capacité militaire conventionnelle de la Syrie, à savoir le type même d'armes et de moyens que toutes les nations possèdent pour défendre leurs frontières et leur souveraineté. L'armée israélienne s'est également implantée plus profondément en territoire syrien, prenant le contrôle de nouvelles terres dans la zone tampon et au-delà, y compris sur le mont Hermon. Les responsables israéliens ont déclaré leur intention d'y rester indéfiniment et les troupes présentes dans la région ont continué à accroître leur présence militaire, en construisant des pistes d'atterrissage et en érigeant des avant-postes et des bases militaires.

Dans les 14 villages syriens situés à proximité, plus de 35 000 personnes sont désormais soumises aux ordres de l'armée israélienne, qui impose couvre-feux, barrages routiers et perquisitions.

Plus de 50 familles ont fui Al-Hamidia, l'un des villages les plus durement touchés par l'invasion israélienne, ainsi que Kudna et al-Rawadi. Ceux qui sont restés doivent faire face à la vie sous occupation israélienne. Mo'ath, l'aîné des enfants d'Abu Mo'ath, affirme que le trajet jusqu'à son lycée situé dans le village voisin de Khan Arnabeh est devenu pratiquement impossible.

"Notre trajet habituel ne faisait que six kilomètres, mais maintenant qu'Israël l'a coupé, nous devons parcourir 25 kilomètres",

a déclaré le jeune garçon de 16 ans, ajoutant que le trajet est désormais trop long et trop cher pour beaucoup d'élèves.

"Quelques-uns de mes camarades, en particulier ceux d'Al-Samdaniya, ont raté tous leurs examens".

Les responsables israéliens ont déclaré ouvertement qu'ils poursuivront leur présence militaire dans la région à long terme.

"Les Forces de défense israéliennes resteront [...] dans la zone de sécurité [...] pour une durée illimitée",

a déclaré le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, dans une déclaration vidéo il y a deux semaines, alors qu'il se trouvait sur le mont Hermon.

"Nous ne permettrons pas aux forces hostiles de s'établir dans la zone de sécurité au sud de la Syrie".

Les habitants se retrouvent désormais sous occupation israélienne, avec peu de soutien de la part de Damas ou d'ailleurs.

"Nous craignons de revivre une situation comme en 1967, surtout avec le nouveau gouvernement qui ne s'intéresse pas à Quneitera",

a déclaré Abdel Hakim Qutayesh, ancien ingénieur en chef de la planification à Quneitera, à Drop Site, en référence à la guerre de 1967, lorsque Israël a pris le contrôle d'une partie du plateau du Golan.

"Ce n'est pas seulement un bout de terre. C'est le symbole des territoires occupés de la Syrie. Nous élevons nos enfants ici pour qu'ils restent attachés à cette terre".

Mais les reportages sur le terrain sont rares dans la région. Menacés d'expulsion, leurs maisons menacées de démolition si la moindre information ou séquence vidéo venait à fuiter, les habitants se gardent bien de parler à la presse. Dans le village d'al-Rawadi, les maisons ont été brûlées ou détruites, poussant de nombreuses familles à fuir. Les troupes israéliennes ont émis des ordres fixant des heures d'entrée et de sortie du village. Les soldats enregistrent les cartes d'identité et les numéros de téléphone des habitants. Il est interdit de prendre des photos et de parler aux journalistes.

À Jabatha al-Khashab, un village connu pour sa production laitière, l'armée israélienne a délimité des zones de pâturage spécifiques. Le chef du village a déclaré à Drop Site que les forces israéliennes ont même envoyé des cartes numériques via WhatsApp indiquant les zones et les heures de déplacement autorisées. Les éleveurs qui s'éloignent de ces zones ont été arrêtés.

Le mois dernier, l'activiste et avocat Mohammed Fayyad a été arrêté à al-Hamidia en même temps que le journaliste français Sylvain et le journaliste syrien Youssef Ghraibi alors qu'ils filmaient les troupes israéliennes.

"Nous avons été battus et arrêtés pour avoir filmé des zones sensibles et des sites militaires de l'armée d'occupation israélienne", a déclaré Fayyad à Drop Site. "Nos téléphones portables, ordinateurs portables et équipements de travail ont été confisqués, nos disques durs ont été détruits, et nous avons été emmenés les yeux bandés et menottés dans un centre d'investigation israélien, qui, d'après la distance parcourue, est, je pense, le bâtiment du gouvernorat".

Sous Assad, la Syrie faisait officiellement partie de l'Axe de la résistance, la coalition informelle d'États-nations et d'acteurs non étatiques du Moyen-Orient s'étant engagés à s'opposer conjointement à Israël. Mais contrairement aux autres membres (le Hezbollah, l'Iran, les Houthis au Yémen et la Résistance islamique en Irak), la Syrie n'a pas mené d'attaques contre Israël en réponse à la guerre génocidaire contre les Palestiniens de Gaza.

L'éviction d'Assad a été menée par le puissant groupe militant Hayat Tahrir al-Sham (HTS) sous la direction de son chef, Ahmed al-Sharaa, depuis président de transition de la Syrie. Sous la pression d'une riposte aux bombardements aériens massifs et à la prise de terres par Israël dans le Golan, Sharaa a fait une déclaration diplomatique.

"La Syrie, lasse de la guerre après des années de conflit et de guerre, ne peut se permettre de nouvelles confrontations", a-t-il déclaré le 14 décembre. "La priorité à ce stade est la reconstruction et la stabilité, et non de se laisser entraîner dans des conflits qui pourraient mener à davantage de destruction".

Le mois dernier, Sharaa a soigneusement critiqué l'incursion d'Israël en territoire syrien.

"La progression d'Israël dans la région s'explique par la présence de milices iraniennes et du Hezbollah. Après la libération de Damas, ils n'ont plus aucune influence, à mon avis. Israël invoque aujourd'hui des prétextes pour avancer dans les régions syriennes, dans la zone tampon", a-t-il déclaré. "La Syrie reste attachée à l'accord de désengagement de 1974 et est prête à accueillir les forces de l'ONU pour rétablir la situation antérieure", a-t-il ajouté.

Le nouveau gouvernement syrien étant incapable ou peu disposé à faire face à l'invasion et à l'occupation par Israël, les villageois de la région frontalière sont livrés à eux-mêmes.

Qutayesh, l'ancien ingénieur en chef de la planification à Quneitera, documente les avancées israéliennes dans la région depuis le 9 décembre, ainsi que ce qu'il décrit comme le "désintérêt pour Quneitera" du nouveau gouvernement central.

"Pendant près de deux mois, nous n'avons eu ni gouverneur, ni police, ni forces de sécurité", a-t-il déclaré à Drop Site. "Même l'aide n'est arrivée que le 26 janvier".

Le gouverneur par intérim de Quneitra, Mohammad Al-Saeed, a rappelé que le gouvernement syrien

"[rejetait] toute incursion israélienne dans la région. Avec l'effondrement de l'ancien régime, Israël n'a plus à craindre la présence de l'Iran et du Hezbollah",

a déclaré Al-Saeed à Drop Site dans une interview via WhatsApp, ajoutant que le gouvernement syrien ne négocie pas avec Israël.

"Notre position est claire : Israël doit se retirer immédiatement conformément au droit international".

Il a également déclaré que les dirigeants locaux ont refusé les offres d'"aide" d'Israël et ont insisté pour négocier uniquement par les voies officielles syriennes.

Pourtant, les habitants disent que l'aide qu'ils ont reçue de Damas est loin d'être suffisante.

Abu Mo'ath a déclaré qu'il n'a pas eu d'autre choix que de vendre son bétail.

"J'ai emmené ma famille et mes animaux à Sa'sa', ce qui m'a coûté trois millions de livres (environ 230 dollars). Mais le loyer était trop élevé et j'ai quatre enfants qui vont à l'école, alors nous sommes rentrés" a-t-il déclaré. "J'ai fini par vendre tous mes moutons : on ne peut plus pomper l'eau pour le bétail et Israël a pris le contrôle de nos pâturages".

Les réseaux hydrauliques et électriques ayant été détruits à Al-Hamidia, et le Croissant-Rouge de Quneitra a fourni des camions-citernes pendant deux jours, mais les réserves se sont vite avérées insuffisantes. Certains villageois disposant de puits privés ont distribué de l'eau, mais pas assez pour faire boire le bétail, contraignant de nombreux éleveurs à vendre leurs troupeaux avant qu'ils ne meurent de soif. Israël a par la suite autorisé des réparations limitées des infrastructures hydrauliques et électriques, des travailleurs extérieurs au village ayant été autorisés à entrer deux fois le mois dernier.

Le Dr Juma Younis, chef du Croissant-Rouge de Quneitera, a déclaré que ses équipes sont sur le terrain depuis l'invasion israélienne en décembre.

"Nous avons distribué nourriture et fournitures d'urgence, en particulier aux familles dont les maisons ont été brûlées ou détruites. Nous avons fourni de l'eau et pris en charge les cas médicaux", a déclaré Younis à Drop Site. "Mais à partir de maintenant, les habitants devront se débrouiller seuls. Le Croissant-Rouge a épuisé toutes ses réserves, y compris celles qui étaient destinées aux urgences, et aucune aide ne nous a été accordée".

Les habitants ont créé des groupes WhatsApp et des pages Facebook pour partager des informations. Yazan Abbas et son équipe ont créé un groupe WhatsApp rassemblant des habitants, juste après l'effondrement du régime, pour aider les résidents déplacés à l'intérieur du pays à Khan Arnabeh.

"Nous apportons notre soutien à quatre familles contraintes de fuir. Beaucoup d'autres ont choisi de déménager à Damas et sa banlieue pour y rejoindre des proches", a-t-il déclaré. "Nous offrons des abris et des vêtements chauds, d'autant que les gens ont quitté leur maison avec ce qu'ils portaient sur eux".

Une autre initiative populaire, mise en place par l'étudiant Mohammad al-Muteb, vise à documenter les violations israéliennes, bien qu'il ait été difficile d'attirer l'attention des médias. "De nombreux journalistes étaient bien trop occupés à célébrer la chute du régime", a déclaré al-Muteb.

À al-Hamidia, Um Mo'ath monte sur le toit de sa maison à deux étages tous les matins pour observer les bulldozers israéliens commencer leur travail - déblayer la terre, ériger des barrières de béton et se rapprocher de sa maison - avant de retourner sur ses terres pour s'occuper de l'unique vache qu'elle possède. Cette femme de 47 ans fabrique du fromage et du yaourt qu'elle distribue à ceux qui n'ont pas de bétail.

"Notre maison compte quatre pièces, mais de nos jours, nous dormons tous dans la même pièce, celle qui est la plus proche de la rue principale", dit-elle.

"Ils construisent des avant-postes, et je plante des arbres. Mes enfants continueront d'aller à l'école ici".

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