"C'est du jamais vu." Les affrontements survenus entre les migrants et les forces de l'ordre marocaines samedi 18 juin ont été "particulièrement violents", selon les mots d'Omar Naji, à la tête de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) à Nador. Ce jour-là, très tôt le matin, plusieurs groupes d'exilés s'étaient rassemblés dans la forêt de Gourougou, située à une vingtaine de kilomètres de Melilla. D'après des sources proches de l'enquête consultées par l'agence de presse espagnole EFE, ils prévoyaient ensuite de converger ensemble vers la clôture de l'enclave espagnole, pour passer de l'autre côté.
Averties, les autorités se sont rendues sur place, à 5h du matin. Les violences entre les deux groupes ont immédiatement éclaté. Du côté des policiers, le bilan officiel fait état d'une centaine de blessés. Certains ont été transportés à l'hôpital El Hassani de Nador.
Du côté des migrants, difficile de déterminer précisément le nombre de victimes. D'après EFE, "certains... ont bénéficié de soins tandis que d'autres ont été placés en détention". Depuis, tous les autres exilés sont "en fuite", indique Omar Naji.
Malgré "la peur des représailles" de la police, plus de 400 migrants ont essayé d'entrer dans l'enclave, vendredi 24 juin au matin. "Un nombre important" d'entre eux y est parvenu, a indiqué la préfecture à l'AFP, sans préciser leur nombre. Et ce, "malgré le large dispositif de sécurité des forces marocaines, qui ont activement collaboré et de façon coordonnée avec les forces de l'ordre" espagnoles, a-t-elle ajouté. Les exilés ont "forcé l'entrée" et "cassé la porte d'accès du contrôle aux frontières" avant d'entrer dans Melilla.
Nador, "ville interdite" aux migrants
Dans cette zone située au nord du Maroc survivent des milliers d'exilés, en grande majorité d'Afrique subsaharienne. Ces personnes qui transitent par le royaume pour gagner l'Europe sont recluses dans la forêt de Gourougou, mais aussi dans les bois alentours de Bekoya et de Lakhmis Akdim. Des camps informels d'où viennent justement les personnes impliquées dans les affrontements du week-end dernier.
Ces terrains en pleine nature sont, pour les candidats à l'exil, les seuls endroits accessibles, en attendant de pouvoir approcher Melilla. Car Nador, la commune voisine, est "depuis toujours", "une ville interdite" aux migrants, assure Omar Naji. Pour ces personnes, y compris les familles avec enfants, impossible d'y louer un hébergement, ne serait-ce que pour quelques jours.
"Rejetés de partout", les exilés n'ont alors pas d'autres choix que d'élire domicile dans les forêts environnantes, où les conditions de vie sont désastreuses. De la tôle, des bâches et des planches de bois pour seul abri, ils restent là en attendant de pouvoir, un jour, escalader la barrière de Melilla, longue de 12 km. Chaque année, des milliers d'entre eux tentent le passage, à l'image des tentatives de ce 24 juin.
Début mars, en quelques jours, près de 6 000 personnes avaient essayé de pénétrer en territoire espagnol. Environ 870 avaient réussi à entrer dans l'enclave.
Régulièrement et violemment refoulés par les forces de l'ordre, ils y retournent sans cesse. En mars dernier, un migrant soudanais originaire du Darfour, qui avait préféré garder l'anonymat, avait confié à InfoMigrants vivre depuis plus de quatre mois dans "des conditions inhumaines" dans la forêt de Gourougou.
Trois mois plus tôt, trois enfants nigérians de moins de sept ans avaient péri lors de l'incendie de leur abri de fortune, fait de bâches en plastique. "La mère a probablement allumé un feu pour réchauffer son habitation et a dû s'endormir, avait indiqué l'AMDH Nador. Au petit matin, des migrants avaient retrouvé les petits inanimés. Ils sont morts asphyxiés puis calcinés par l'incendie qui s'est propagé dans la tente."
"La répression est partout"
À cause des interpellations policières qui peuvent survenir à tout moment, "il n'y a quasiment plus personne sur le Mont Gourougou en ce moment", indique Omar Naji. Pour le militant, les "attaques des autorités" sont une conséquence, sur le terrain, du rabibochage diplomatique entre le Maroc et l'Espagne. Depuis que Madrid s'est aligné sur la position marocaine concernant le statut du Sahara occidental, et après plusieurs rencontres entre les ministres des deux pays, "il y a encore plus d'interpellations, assure Omar Naji. La répression est partout où les migrants veulent passer".
Depuis quelques semaines, des vagues d'arrestations s'abattent également à l'autre bout du pays. Dans la ville de Laâyoune, point de départ des exilés pour les îles Canaries, les autorités font tout pour repousser les migrants. "Les policiers débarquent violemment et cassent nos portes d'entrée. Parfois, certains nous frappent, les femmes ne sont pas épargnées. Plusieurs proches ont eu la main déboitée lors de ces opérations", a raconté à InfoMigrants Lamine, qui vit sur place.
D'après l'Ivoirien de 32 ans, actuellement, "entre 40 et 90 personnes sont arrêtées chaque jour" puis renvoyées dans le désert. D'où elles reprendront inlassablement le chemin pour la côte, devenue leur seule échappatoire. À l'instar de l'exilé soudanais de Gourougou qui bien que "passant [son] temps à essayer d'échapper à la police et aux forces de sécurité", essaiera "encore [de passer en Espagne], c'est sûr."