Par René Naba
Fait sans précédent dans les annales de la polémologie mondiale, les deux pétromonarchies du Golfe se sont lancés à l'assaut du Yémen, à l'aveuglette en quelque sorte, se livrant à une agression caractérisée contre le plus pauvre pays arabe en l'absence de toute étude minutieuse du champs de bataille, de ses chausses-trappes, de la combativité de leurs adversaires; en dépit de la longue expérience supposée acquise du Royaume saoudien sur son voisin, sur lequel il exerçait une tutelle de fait depuis un demi siècle. Le retour de bâton sera particulièrement douloureux.
Pour aller plus loin sur les rapports entre l'Arabie saoudite et le Yémen :
L'aveu est de taille et révèle l'extrême légèreté criminelle des deux principaux chefs de file de la contre-révolution arabe:
Pour surprenant que cela puisse paraître, l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ne disposaient d'aucune vision claire et bien établie de leur projet lorsqu'ils se sont lancés dans la guerre du Yémen.
Ce constat est consigné dans le 3eme volet du rapport établi par le gouvernement d'Abou Dhabi à propos du comportement de son allié le prince héritier saoudien, dont le journal libanais Al Akhbar en a publié les principaux passages, mercredi 18 novembre 2020.
Pour le locuteur arabophone, ci joint l'article d'Al Akhbar
Pis, les rapports entre l'Arabie Saoudite et Abou Dhabi ont évolué au gré des rebondissements du conflit, passant par trois phases:
- 1 ère phase: La phase de la confiance mutuelle et de l'auto congratulation
- 2eme phase: La phase de la perplexité et de la rivalité caractérisée par la confusion et le relâchement de la coopération
- 3eme phase: La phase du doute prélude à une révision de leur stratégie respective.
1 ère phase: La phase de la confiance mutuelle
«Durant cette phase, les deux pays ont agi de manière concertée, coordonnant leurs efforts en en vue de parvenir à leur objectif commun: l'anéantissement des Houthistes, ainsi désigné par référence à leur chef Abdel Malek Al Houthi, 40 ans, qui a succédé à la tête du mouvement à son frère, décédé.
Note de la rédaction de madaniya.info
Les Houthistes tirent leur nom de leur dirigeant historique, Hussein Badreddine Al Houthi et de sa fratrie. Membres d'une organisation armée, politique et théologique zaïdite, les Houthistes étaient initialement dans le gouvernorat de Sa'dah et le nord-ouest du Yémen.
Le mouvement a ensuite étendu ses activités à l'ensemble du pays à partir de 2014. Les Houthistes sont issus d'une forte minorité chiite essentiellement présente dans les montagnes du nord-ouest du pays. Cette branche du chiisme, très proche du sunnisme, est implantée là depuis le VIII eme siècle. En 1990, le parti Hizb al-Haqq, dont sont issus les Houthistes, est fondé pour défendre leurs aspirations culturelles.
Dans un réplique identique au schéma syrien, les grandes démocraties occidentales (États Unis, Royaume Uni et France) ont apporté un soutien franc et massif aux assaillants, quand bien même agresseurs du Yémen, particulièrement à l'Arabie saoudite, 3eme client de l'armement mondial, sans pour autant forcer la décision finale sur le plan militaire quand bien même cette coalition regroupait pas moins de sept pays arabes (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Maroc, Qatar et Soudan). Soutenus par l'Iran, les combattants houthistes, rugueux et frugaux, ont pratiqué face à la puissance de feu monarchique, une guerre furtive et asymétrique, infligeant revers sur revers à leurs belligérants.
Depuis leur soulèvement contre le pouvoir central, les houthistes contrôlent l'ensemble du gouvernorat de Saada, les gouvernorat d'Al Jawf, d'Amran et de Hajjah. Ils contrôlent également une partie de la capitale Sanaa, une partie du gouvernorat d'Al Mahwit et le village de Jabira en Arabie saoudite.
En 2015, les houthistes ont développé vers le sud leur contrôle de ces territoires et ont accès à la Mer Rouge.
Selon Bachir al-Mohallal, chef de l'ONG Pulse for social justice, «Il y a deux choses que la population porte à leur crédit: d'abord, la sécurité. La ville est à nouveau sûre. Même les cellules d'Al-Qaïda en ont été chassées. Ensuite, la restauration d'un semblant d'État.
Certes, les fonctionnaires ne reçoivent plus de salaires, mais ils s'arrangent quand même pour rémunérer ceux dont ils ont besoin.
Ainsi, la police fonctionne, par exemple. Ils ont également mis au pas les chefs de tribus qui semaient le désordre. Enfin, ils font pression sur les propriétaires, afin que ceux-ci cessent de réclamer leurs loyers. C'est une mesure que les gens apprécient. Paradoxalement, les zones libérées par la coalition ne connaissent pas ce degré de sécurité, car elles passent rapidement sous la coupe de milices incontrôlables.
Fin de la note
2me Phase: La phase de la perplexité
«La phase de la perplexité et corrélativement de la rivalité a généré une certaine confusion dans la direction des hostilités ainsi qu'un certain relâchement de la concertation. La politique des deux pétromonarchies manquait de visibilité; à certains moments, elle était contradictoire au point que les deux belligérants ont jugé opportun, à un moment donné, de créer un «conseil de coordination».
3ème phase: La phase du doute préludant à une révision de la stratégie respective des deux belligérants.
«La phase du doute a conduit les deux pays à «reconsidérer» leur position respective à l'égard de la guerre du Yémen. La coordination entre les deux pays était ébranlée au point que les Émirats Arabes Unis ont annoncé la réduction de leur présence militaire au Yémen.
L'auteur du rapport, rédigé à la date du 23 juillet 2019, estime que «les protagonistes yéménites du conflit ont cherché à tirer profit de la situation en tentant d'influer sur les rapports saoudo-emiratis. Mais les efforts des yéménites ont tourné court, en ce qu'aucun d'eux ne disposait d'un levier d'influence efficace sur la relation bilatérale, à la notable exception des Houthistes.
«Les acteurs yéménites ont tous un besoin crucial du soutien» des deux pétromonarchies. La réduction de la présence militaire des forces d'Abou Dhabi a suscité des espoirs chez les Yéménites, en faisant le pari de faire bouger les choses en leur faveur.
1- Abd Rabbo Mansour Hadi:
«Le président nominal du Yémen, dont le mandat a expiré, qui réside en Arabie saoudite, sans le moindre contrôle sur le territoire yéménite, considérait qu'une coopération Arabie Saoudite/ Émirats Arabes Unis serait bénéfique pour la pérennisation de son autorité, mais, en réalité, la rivalité saoudo abou dhabienne, en a fait «le grand perdant» de cette affaire. Il a été destitué par son tuteur saoudien et remplacé par une direction collégiale.
2- Le parti Al Islah.
«La branche yéménite de la confrérie des Frères Musulmans soupçonne Abou Dhabi d'avoir incité l'Arabie saoudite à déclarer la guerre aux "frérots" yéménites. Le problème du parti Al Islah n'est pas prêt d'être résolu ni avec la fin de la guerre, ni même en cas de résolution des différends entre les diverses factions yéménites.
«Al Islah n'a pas d'autre choix que de faire la paix avec l'Arabie saoudite, de tenter de convaincre le Royaume de sa loyauté, qu'il ne nourrit aucune visée hostile à son égard, de faire preuve de combativité au Yémen pour convaincre les Saoudiens de le considérer comme un partenaire fiable, sans la moindre menace à la doctrine religieuse wahhabite ou à leur politique.
3 - Le Conseil transitoire du Sud (pro Abou Dhabi).
Cette structure proche d'Abou Dhabi doute de l'existence d'un projet saoudien visant à instaurer un état au Yémen du Sud, autrement dit de revenir à la situation antérieure à la réunification des deux Yémen, dans la décennie 1990.
La réunification du Yémen a eu lieu le 22 Mai 1990 lorsque la République Démocratique Populaire du Yémen, pro-soviétique (Sud Yémen) a fusionné avec la République Arabe du Yémen, pro saoudienne, (Yémen du Nord), formant la République du Yémen. Cette unification a coïncidé avec la fin de la guerre froide dans le Monde, alors qu'en Europe se déroulait progressivement la chute du bloc de l'Est.
4 -Le Congrès Populaire Général:
«Le parti de l'ancien président Ali Abdallah Saleh traverse une phase particulièrement délicate en raison de ses profondes divisions. Un courant est favorable au président nominal du Yémen Hadi, un deuxième aux Houthistes, un troisième à Abou Dhabi. Les rivalités entre l'Arabie saoudite et Abou Dhabi pour s'assurer son ralliement ont provoqué l'implosion de ce parti.
Al Islah ne pourrait retrouver de sa vigueur que dans l'hypothèse de l'arrêt des hostilités et l'accord des deux monarchies de lui accorder leur plein soutien.
Ali Abdallah Saleh a gouverné le Yémen pendant un quart de siècle, Président de la République Arabe du Yémen (Yémen du Nord) de 1978 à 1990, puis Président du Yémen Unifié de 1990 à 2012. Il a été assassiné le 4 Décembre 2017 à Sana'a par ses alliés houthistes qui le soupçonnaient de retourner sa veste et de rallier une nouvelle fois les Saoudiens
En 2011-2012, il est confronté à une révolte contre son gouvernement; blessé lors d'une attaque contre le palais présidentiel qui a aussi blessé et tué d'autres dirigeants du régime, il est hospitalisé à l'étranger,absent de son pays pendant plusieurs mois. De retour au Yémen, il prend part à une nouvelle guerre civile aux côtés des insurgés houthistes contre le pouvoir en place. En 2017, ayant rompu l'alliance au profit de l'Arabie saoudite, il est tué par les houthistes.
5- Les scénarios possibles:
«Le Conseil Transitoire du Sud (pro-Abou Dhabi) se dégage de son alliance avec Abou Dhabi. Dans une telle hypothèse, cette initiative provoquerait une situation explosive qui contraindrait les Saoudiens à prendre position et à afficher clairement leurs objectifs.
«La persistance d'une situation confuse, par moments chaotique,pourrait nourrir une hostilité croissante de la population à l'égard des deux pétromonarchies, suscitant de fortes tensions entre les deux chefs de file de la coalition monarchique.
Dans un tel contexte, le positionnement de l'Arabie saoudite, son rôle historique, son influence, sa réputation pourraient en être affectés. Dans cette perspective, il importe à Abou Dhabi d'élargir le cercle des ses alliances pour y englober les composantes de la société civile, les médias, les diverses instances religieuses et tribales; enfin modifier sa politique actuelle... en vue de prendre éventuellement la relève saoudienne, conclut le rapport.
René Naba
Pour aller plus loin sur les pétromonarchies
- Le Golfe: Nouvel horizon ou impasse de la culture arabe : information.tv5monde.com
- Golfe: Quand l'art devient un instrument de Soft Power : information.tv5monde.com
ILLUSTRATION
Le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi prononce un discours à Sanaa, le 19 novembre 2012 [Mohammed Huwais / AFP/Archives]
La source originale de cet article est madaniya.info
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