13/08/2024 reseauinternational.net  13min #254685

 Bangladesh : un gouvernement intérimaire annoncé par l'armée, la Première ministre a démissionné

Derrière le changement de régime au Bangladesh

Une fois n'est pas coutume, le Bangladesh fait parler de lui pour autre chose qu'une catastrophe naturelle mais pour des troubles politiques. Certains ont noté que ces troubles s'accompagnent, dans ce pays à majorité musulmane, d'agressions violentes contre des personnes dont le seul tort est d'être hindouiste. On peut analyser ces violences sectaires comme consubstantielles à l'intolérance religieuse de la majorité ou comme une réponse aux agressions subies par les musulmans dans l'Inde voisine. L'agitation dans la rue a pris une forme violente tout comme la répression policière et il y a eu  de nombreuses victimes.

Si on s'en tient à la violence contre la communauté hindouiste, les agressions sont le fait ou sont encouragées par certaines organisations dont la Jamaat-e-Islami interdite  depuis 2013. Ce qui permet à une représentation commune de se former et de circuler en Occident, celle d'une lutte entre démocrates et fondamentalistes.

Il se trouve cependant que les choses ne sont pas si simples et au Bangladesh comme ailleurs les mouvements fondamentalistes sont instrumentalisés par les États-Unis qui s'en servent pour essayer d'établir un gouvernement à leur main. Comme le rappelle Brian Berletic, sur la base de sources publiques et vérifiables (Berletic est parfois accusé d'être conspirationnistes), ce procédé a été utilisé en Libye, en Afghanistan, en Syrie mais aussi en Ukraine où l'Oncle Sam s'est appuyé sur des néo-Nazis.

Le Bangladesh a un système politique fortement influencé par le système britannique, multipartite mais avec une constitution écrite à la différence du Royaume-Uni. La constitution note dans son préambule le caractère séculier de l'État [secular souvent traduit à mon avis improprement par laïque] quoique l'islam soit considéré comme religion d'État.

Mounadil al Djazaïri

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Ce qui se cache derrière le changement de régime au Bangladesh

par Brian Berletic

Le violent changement de régime au Bangladesh, pays d'Asie du Sud, s'est déroulé rapidement et en grande partie de manière furtive, tandis que le reste du monde se focalisait sur le conflit en cours en Ukraine, les tensions croissantes au Moyen-Orient et la confrontation latente entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique.

Les conséquences du putsch réussi, mené par des groupes d'opposition soutenus par les États-Unis, risquent d'avoir un impact sur l'Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi que de créer de l'instabilité à la périphérie des deux nations les plus peuplées de la planète, la Chine et l'Inde.

En raison de ses relations étroites avec la Chine et l'Inde, la Russie elle-même risque d'être également affectée

Qui manifestait et qui était derrière eux ?

C'est le média financé par le gouvernement américain, Voice of America, qui a admis dans un  article de 2023 le rôle joué par l'ambassadeur des États-Unis au Bangladesh lui-même dans le soutien à l'opposition dans ce pays d'Asie du Sud.

L'article admettait dans une légende de photo que l'ambassadeur américain Peter Haas «est populaire au Bangladesh parmi les militants pro-démocratie et des droits de l'homme et les détracteurs du régime de Sheikh Hasina».

Le même article reconnaissait les mesures déjà prises par les États-Unis pour faire pression sur le Bangladesh afin qu'il organise les prochaines élections de manière à produire le résultat souhaité par Washington, notant que :

...le gouvernement des États-Unis a annoncé qu'il avait commencé à «prendre des mesures pour imposer des restrictions de visa» aux Bangladais reconnus complices de «l'atteinte au processus électoral démocratique» au Bangladesh.

L'article admettait que le parti de la Ligue Awami (AL), qui dirigeait le Bangladesh jusqu'aux récentes et violentes manifestations, avait accusé l'ambassadeur américain Haas d'interférer dans les affaires politiques internes du Bangladesh et plus particulièrement de soutenir le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) de l'opposition ainsi que la violence de rue menée en son nom.

Le «Muscle»

Alors que les médias occidentaux ont décrit les troubles au Bangladesh comme des manifestations «pro-démocratie» menées par des «manifestants étudiants», la BBC, dans son  article de juillet 2023 intitulé «La Première ministre bangladaise accuse ses ennemis politiques d'être responsables de la violence», admettait indirectement que le BNP et le mouvement Jamaat-e-Islami, y compris ses ailes étudiantes, étaient derrière la violence.

Manifestants de la Jammat-e-Islami à Dhaka

Depuis que le Bangladesh a obtenu son indépendance [en 1971, NdT], il a interdit le Jammat-e-Islami par intermittence pendant des décennies, selon qui détenait le pouvoir, l'organisation étant accusée d'avoir commis de nombreux actes de violence.

Voice of America, reprenant un  article de l'Associated Press, note que «la plupart des hauts dirigeants du parti ont été pendus ou emprisonnés depuis 2013 après que les tribunaux les ont reconnus coupables de crimes contre l'humanité, notamment de meurtres, d'enlèvements et de viols en 1971».

Il convient de noter qu'en dehors du Bangladesh, d'autres gouvernements ont également désigné le Jammat-e-Islami comme une organisation terroriste, dont la  Fédération de Russie.

Le département d'État américain, pour sa part, a publié un  rapport pas plus tard qu'en 2023, blanchissant l'histoire violente et la menace persistante que l'organisation représente pour le Bangladesh, décrivant plutôt le Jammat-e-Islami comme victime des «abus» du gouvernement.

Bien que les médias occidentaux aient fait état de l'interdiction du Jammat-e-Islami, aucun de ces rapports n'a cherché à nier son implication dans les manifestations les plus récentes.

Le «Visage» des manifestations

Tout comme d'autres manifestations organisées par les États-Unis à travers le monde, il semble qu'un conglomérat d'organisations violentes comme Jammat-e-Islami ainsi que des groupes dits de la «société civile» financés par le gouvernement américain et des partisans de partis d'opposition soutenus par les États-Unis soient descendus dans la rue, chacun jouant un rôle essentiel.

Des rassemblements violents dans les rues alimentent la violence dans le but d'intensifier les protestations, la société civile se présente comme le «visage» du mouvement à la fois dans les rues et dans l'espace d'informationnel, tandis que les partis politiques soutenus par les États-Unis utilisent le chaos qui en résulte pour se hisser au pouvoir.

Plusieurs étudiants du département des sciences politiques de l'université de Dhaka, dont  Nahid Islam et  Nusrat Tabassum, ont joué le rôle de «visage» auprès du public mondial. Ils ont tous deux leur propre profil sur les gouvernements américain et européen ainsi que sur la base de données  Front Line Defenders financée par l'Open Society.

Comme de plus en plus de gens dans le monde commencent à comprendre et à rechercher des preuves de l'implication du gouvernement américain dans les changements de régime à travers le monde, les États-Unis se montrent plus prudents dans leur manière de soutenir de telles activités. Alors que Nahid Islam, Nusrat Tabassum et d'autres leaders clés des manifestations «étudiantes» n'ont aucun lien direct connu avec le gouvernement américain, l'Université de Dhaka en a un.

Le département de science politique, dont sont issus ces «leaders», mène régulièrement des activités avec des organisations et des forums centrés sur l'Occident. Le département est composé de professeurs impliqués dans des programmes financés par le gouvernement américain, notamment le projet «Confronting Misinformation in Bangladesh (CMIB)». Parmi eux figurent les professeurs Saima Ahmed et Kajalei Islam, qui font tous deux partie de l' équipe de direction du projet aux côtés de bénéficiaires de subventions du National Endowment for Democracy (NED) et de boursiers Fulbright du département d'État américain.

Considérant à quel point le département de science politique de l'Université de Dhaka a été infiltré par le gouvernement américain grâce aux sommes importantes et aux bourses mises à disposition par le NED et  Fulbright, l'émergence d'«étudiants» servant les intérêts américains en se faisant passer pour le visage du changement de régime soutenu par les États-Unis au Bangladesh n'est pas une surprise.

Un modèle familier

L'utilisation de mobilisations violentes dans les rues dirigées par des extrémistes et de ce que l'on appelle des «manifestations étudiantes» pour déstabiliser des nations ciblées, renverser des gouvernements et aider à installer au pouvoir des partis d'opposition soutenus par les États-Unis s'inscrit dans un modèle à l'échelle du monde, reconnu par les médias occidentaux eux-mêmes.

En 2004, le Guardian de Londres  a admis que les États-Unis avaient parrainé des changements de régime en Europe de l'Est, ciblant la Biélorussie, la Serbie et l'Ukraine, ainsi que la Géorgie dans la région du Caucase, déclarant à propos des troubles en Ukraine à l'époque que :

«...cette campagne est une création américaine, un exercice sophistiqué et brillamment conçu de marketing de masse et de branding occidental qui, dans quatre pays en quatre ans, a été utilisé pour tenter de faire reconnaître des élections truquées et de renverser des régimes honnis. Financée et organisée par le gouvernement américain, avec le concours de consultants, sondeurs, diplomates américains, des deux grands partis américains et d'organisations non gouvernementales américaines, la campagne a été utilisée pour la première fois en Europe, à Belgrade en 2000, pour battre Slobodan Milosevic aux élections».

Le même article affirme également que «l'opération - l'ingénierie de la démocratie par les urnes et la désobéissance civile - est désormais si bien huilée que les méthodes sont devenues un modèle pour gagner les élections dans d'autres pays».

Le même «modèle» sera à nouveau utilisé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2011, selon le New York Times dans son  article «Des organisations américaines ont contribué à nourrir les soulèvements arabes».

Le NYT admettait :

«Selon des entretiens réalisés ces dernières semaines et des câbles diplomatiques américains obtenus par WikiLeaks, un certain nombre de groupes et d'individus directement impliqués dans les révoltes et les réformes qui ont balayé la région ont reçu une formation et un financement d'organismes comme l'International Republican Institute le National Democratic Institute et Freedom House, une organisation à but non lucratif de défense des droits de l'homme basée à Washington».

L'article mentionnerait nommément le NED et ses filiales, ainsi que le département d'État américain et ses partenaires parmi les entreprises technologiques basées aux États-Unis comme Google et Facebook (maintenant Meta), tous impliqués dans l'application du même «modèle» décrit par le Guardian en 2004.

Les troubles de 2011 dans le monde arabe et le renversement du gouvernement ukrainien en 2014 ont tous deux été marqués par le recours à des organisations extrémistes soutenues par les États-Unis. En Libye, en Égypte, en Tunisie et en Syrie, ce sont des organisations affiliées aux Frères musulmans et à Al-Qaïda qui ont été utilisées, tandis qu'en Ukraine, ce sont des milices néonazies qui ont joué ce rôle. Ces deux réseaux [néo-nazis et fondamentalistes, NdT] d'extrémistes violents ont depuis joué un rôle important dans les guerres qui ont suivi les changements de régime par les Américains dans ces régions.

Alors que les États-Unis font ouvertement pression sur le Bangladesh pour qu'il organise des élections selon les normes de Washington, pendant que leur ambassadeur à Dhaka soutient ouvertement les groupes d'opposition cherchant à renverser le gouvernement bangladais, il est très clair que ce «modèle» a désormais été appliqué avec succès au Bangladesh.

Qui les manifestants soutenus par les États-Unis veulent-ils voir accéder au pouvoir ?

L'Associated Press (via le magazine Time) dans son  article intitulé «Bangladesh Protesters Pitch Nobel Laureate Muhammad Yunus to Lead Interim Government» (Des manifestants au Bangladesh proposent au lauréat du prix Nobel Muhammad Yunus de diriger un gouvernement intérimaire) rapporte :

«Un animateur important des manifestations étudiantes au Bangladesh a déclaré que le lauréat du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus était leur choix pour diriger un gouvernement intérimaire, un jour après la démission de la Première ministre de longue date Sheikh Hasina».

Ce sont les «leaders étudiants» issus du département des sciences politiques de l'Université de Dhaka qui ont proposé le nom de Yunus, et il n'est donc pas surprenant que Yunus lui-même soit à la fois un  boursier Fulbright du département d'État américain et un récipiendaire de diverses récompenses attribuées par l'Occident collectif pour renforcer sa crédibilité.

Ce qui inclut le prix Nobel de la paix, décerné à d'autres mandataires des États-Unis dans le monde, notamment à Aung San Suu Kyi dans la Birmanie voisine.

Yunus a également reçu l'US Presidential Medal of Freedom en  2009 et la médaille du Congrès des États-Unis en 2013. Sur le site Web de l'organisation de Yunus, le «Yunus Centre», dans un  article de 2013 intitulé «Dr. Muhammad Yunus, premier musulman américain récipiendaire de la médaille d'or du Congrès», il est bizarrement désigné comme un «musulman américain», bien qu'aucune indication ne précise qu'il possède réellement la citoyenneté américaine.

Les conséquences d'un changement de régime au Bangladesh

Malgré le soutien et les affiliations évidents de tous ceux impliqués dans les manifestations au Bangladesh avec le gouvernement des États-Unis, il convient également de mentionner que le BNP et Yunus lui-même ont cultivé des liens avec des adversaires des USA, dont la Chine.

Malheureusement, les informations sur la crise politique au Bangladesh ont été largement diffusées dans le monde entier, accompagnées de discours creux sur la «démocratie» et la «liberté», au lieu de traiter de la politique intérieure ou extérieure que l'opposition pourrait vouloir mettre en œuvre si elle prenait le pouvoir. Cependant, l'implication profonde des États-Unis dans le renversement du gouvernement en place au Bangladesh et forte présence de Washington dans le système éducatif et politique du pays sont de mauvais augure pour le Bangladesh et ses voisins.

Les États-Unis ont des raisons évidentes de créer le chaos à la périphérie de la Chine. Alors qu'un conflit violent fait déjà rage en Birmanie, le voisin oriental du Bangladesh, étendre ce chaos au Bangladesh lui-même ne fait que déstabiliser davantage la région. Cela ouvre notamment la porte à l'échec des projets communs entre la Chine et le Bangladesh et à la création d'un autre goulet d'étranglement potentiel le long du réseau de ports chinois dit «collier de perles», qui soutient son important transport maritime vers le Moyen-Orient et au-delà.

Cette situation exerce également une pression sur l'Inde. La perspective d'une crise politique à sa frontière s'accroissant, New Delhi pourrait être poussée à faire des concessions aux États-Unis au sujet de ses relations avec la Russie et de son rôle dans l'achat et la vente d'énergie russe pour contourner les sanctions occidentales.

Quelles que soient les conséquences du changement de régime au Bangladesh soutenu par les États-Unis dans les semaines et les mois à venir, il est important de comprendre à quel point les États-Unis sont encore profondément impliqués dans le monde entier, même dans des pays qui sont souvent absents des gros titres quotidiens et des analyses géopolitiques. Il est également important de comprendre la nécessité d'une plus grande prise de conscience de la manière dont les États-Unis interfèrent dans le monde et de la manière dont ils peuvent être à la fois dénoncés et arrêtés.

Toute ingérence américaine réussie n'importe où dans le monde contribue à favoriser encore davantage l'ingérence américaine partout ailleurs.

source :  New Eastern Outlook via  Mounadil al Djazaïri

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