France-Soir
Les entreprises françaises de taille intermédiaire (ETI) tirent la sonnette d'alarme. Ces sociétés, qui représentent environ 1 000 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 25% d'emploi en France, craignent d'être "broyées par les Américains et piétinées par les Chinois". En cause : le Green Deal européen qui ne fait pas leurs affaires. Mercredi, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) a dénoncé la "déferlante de complexité" de deux directives du Pacte vert de l'UE, demandant une exemption et exigeant, en attendant celle-ci, la suspension de l'application de ces textes.
Il s'agit de la CSRD et de la CS3D. La première, adoptée en 2023, oblige les grandes entreprises et les PME cotées à publier des rapports détaillés sur leur performance environnementale, sociale et de gouvernance, afin d'accroître la transparence et la responsabilité en matière de durabilité. La seconde introduit un devoir de vigilance pour les très grandes entreprises, les contraignant à s'assurer que leurs activités et celles de leur chaîne de valeur respectent les droits humains et l'environnement, tout en les obligeant à adopter un plan de transition climatique aligné sur l'objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C.
Le Meti se joint au Medef et à l'Afep
Ces deux normes ont déjà suscité une levée de boucliers dans le patronat. Medef et l'Afep, en particulier, exigent un allègement significatif des obligations imposées par ces textes. Dans un rapport diffusé en janvier, l'Afep (Association française des entreprises privées) a plaidé pour un report de l'application de la directive CS3D afin d'évaluer son impact sur la compétitivité des entreprises européennes, et propose de rendre facultative l'application de la taxonomie.
Le Medef, de son côté, adopte un ton plus ferme pour demander une renégociation des termes de la CS3D avec un report de sa mise en œuvre. Cette position est même soutenue par Business Europe, le "Medef européen", qui a appelé la Commission européenne à "alléger la charge" des obligations de vigilance et à en décaler l'application. Ces appels ont trouvé un écho auprès de certains partis politiques, comme le Parti populaire européen (PPE), qui propose de suspendre les deux directives pendant au moins deux ans.
Le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Eric Lombard avait à son tour évoqué un "impératif de simplification" de ces textes. "Nous sommes au confluent de deux objectifs prioritaires : la transformation écologique et énergétique", rappelle-t-il. Ces deux textes, poursuit-il, "permettent des avancées : rapporter publiquement ce que l'on fait, c'est s'exposer à la pression de la société et donc aller dans le bon sens". Toutefois, "nous avons un impératif de simplification à un moment où les entreprises européennes sont dans la difficulté et dans une concurrence accrue".
Une troisième organisation française tape du poing sur la table et se joint ainsi au Medef et à l'Afep. Dans un communiqué diffusé mercredi 19 février, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) s'est montré plus virulent, demandant, chiffres à l'appui, la suspension de la mise en œuvre des directives CSRD et CS3D en attendant la mise en place d'une exemption.
"Les chefs d'entreprise ont besoin d'un signal fort et de décisions immédiates pour que leur confiance revienne", a déclaré Sylvie Grandjean, vice-présidente du Meti et directrice générale du groupe industriel Redex. De son avis, si les revendications des ETI ne sont pas satisfaites, elles risquent de "se faire broyer par les Américains et piétiner par les Chinois".
"L'UE doit enclencher le frein"
Le même ton alarmant est repris sur le communiqué du lobby. "En étouffant à petit feu notre tissu économique, en lui imposant une charge normative non seulement totalement disproportionnée, mais aussi contradictoire avec l'objectif prétendument poursuivi, et en le faisant sans souci de réciprocité avec la concurrence non européenne, on risquait de n'avoir bientôt plus aucun indicateur à renseigner faute d'avoir su préserver un soupçon d'activité", lit-on.
Dans son enquête, réalisée auprès de ses membres, interrogés sur une quinzaine de textes européens sur les entreprises, Meti dévoile que la CSRD est jugée complexe par la totalité des répondants, soit un taux de 100%. La CS3D rassemble 97% des sondages. 84% et 82% appellent à la simplification, respectivement, de la CSRD et la CS3D.
Meti explique ces positions par ses premières études d'impact, qui évaluent à 400 000 euros par an le coût moyen d'entrée pour une ETI industrielle et 2 milliards d'euros par an pour l'ensemble des ETI françaises. Un chiffre qui représente 13% de leur volume d'investissement annuel moyen.
"L'UE ne doit pas se contenter d'appuyer sur le frein, elle doit enclencher le frein à main", lit-on encore. Meti revendique que les ETI soient exemptées de la CS3D et que le nombre d'indicateurs requis soit divisé par dix. Quant au "frein" que Bruxelles doit enclencher, il est question d'une suspension de l'application de ces textes en attendant que les allègements exigés soient mis en œuvre.
Le mouvement, par la voix de sa vice-présidente, estime que les entreprises "sont, par nature, engagées à ce que les sujets écologie, développement des territoires, sociaux, sociétaux soient toujours au cœur de leurs décisions". Il reproche au régulateur de faire primer "la preuve de la décarbonation sur l'acte de se décarboner" et de contraindre "des milliers d'ETI aux ressources financières et humaines limitées à se jeter à corps perdu dans un exercice de rapportage semblable à un puits sans fond, plutôt que de concentrer massivement leurs moyens sur la lutte contre le changement climatique".
"Quand a-t-on prêté attention à la réalité d'une ETI qui, avec 400 salariés et 70 millions d'euros de chiffre d'affaires, ne peut dédier guère plus de trois personnes aux tâches administratives ?", lit-on encore dans le communiqué. Des propos relayés par Sylvie Grandjean, qui dit préférer embaucher "un ingénieur pour accélérer la transition énergétique de l'entreprise plutôt qu'un administratif qui va remplir des papiers".