
par Cassandre G
Anna Novikova et Vincent Perfetti de l'association «SOS Donbass», arrêtés le 17 novembre à 6 h du matin, détenus depuis dix jours sans acte d'accusation écrit.
Quand j'étais petite, mes grands-parents me parlaient à voix basse de l'Occupation et de Vichy : les arrestations sans motif clair, les lettres ouvertes par la censure, les familles qui n'osaient plus parler à table, les voisins qui signalaient, les fonctionnaires proactifs et scrupuleux qui appliquaient «parce qu'il le fallait bien, telles sont nos lois !».
Je me disais : jamais plus.
Jamais plus en France. Jamais plus en Europe.
Et pourtant.
Le lundi 17 novembre 2025, à 6 heures du matin, la porte d'Anna Novikova et de Vincent Perfetti est enfoncée. Quinze à vingt agents armés, gilets pare-balles, fusils-mitrailleurs. Une descente digne des heures les plus sombres.
Anna, 39 ans, citoyenne française et russe, mère de famille, vice-présidente de l'association «SOS Donbass», est arrachée à son domicile. Vincent Perfetti, président de l'association, subit le même sort.
Anna, qui assume ouvertement son origine russe et son plaidoyer pour la paix euro-russe, est-elle coupable d'humanitaire mal orienté ?
Le 20 novembre, après quarante-huit heures de garde à vue sans avocat ni nouvelles pour les familles, ils passent devant un juge d'instruction dont on ignore encore le nom dix jours après. Anna est écrouée à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (bâtiment Peupliers, écrou n° 494701), prison surpeuplée à plus de 180%, régulièrement condamnée pour conditions inhumaines. Vincent Perfetti, lui, est envoyé à Fresnes.
Aucun acte d'accusation écrit n'a été notifié à ce jour.
Je ne connais pas personnellement Anna Novikova ni Vincent Perfetti. Je n'ai jamais échangé un mot avec eux. Mais depuis plusieurs années, j'ai suivi de loin - comme tant d'autres - les convois de «SOS Donbass» qu'ils organisaient avec une détermination calme : médicaments indispensables qui arrivent malgré les barrages, fauteuils roulants livrés à des enfants, jouets glissés dans des sacs pour que Noël existe toujours et encore quelque part, là où il est en péril.
J'ai vu les photos des distributions, les témoignages des familles du Donbass.
J'ai surtout vu deux citoyens qui, face à la raison d'État et à la russophobie ambiante, choisissaient obstinément l'humanité.
Je sais qu'on leur reproche aussi un militantisme pro-paix parfois perçu comme de l'influence - donc avoir une opinion sur la géopolitique deviendrait un délit.
Et même dans ce cas, l'aide humanitaire documentée ne devrait pas être confondue avec ce qu'on suggère comme espionnage ou ingérence, surtout sans preuves publiques. Nous surnageons ici péniblement en plein fantasme.
Au 26 novembre 2025, plus de dix jours après les faits, ni les familles ni les avocats n'ont reçu le moindre acte d'accusation écrit. Le secret de l'instruction est total.
Pendant ce temps, les grands médias français - Le Monde, France Info, Le Figaro, Libération, Mediapart - observent un silence assourdissant. Pas une ligne, pas un débat. Comme si incarcérer deux humanitaires pour avoir collecté des fauteuils roulants et des vivres était une formalité administrative, indigne d'écho.
Ce mutisme n'est pas anodin. Quand l'histoire dérange le narratif officiel, il est habituel de l'occulter. C'est plus simple, plus pratique.
C'est là que mon indignation viscérale entre en scène. S'indigner publiquement de cette arrestation, comme je le fais ici, devrait être un droit fondamental.
Et non, je ne compare pas maladroitement ou abusivement 2025 à 1942.
Mais je sens, dans la gorge, le même goût âcre, dur, affligeant que mes aïeux décrivaient dans leurs mauvais souvenirs refoulés - certains réflexes qui font remonter les brûlures.
Le goût d'un État qui, au nom de «raisons supérieures» - hier la collaboration honteuse, aujourd'hui les sanctions européennes et la lutte contre l'«ingérence russe» -, décide qu'une partie de l'humanité ne mérite plus la solidarité.
Le goût d'un appareil qui applique, d'un juge qui signe, d'un policier qui perquisitionne, d'un fonctionnaire qui transmet le dossier «parce que c'est la procédure».
Et puis il y a cette asymétrie effroyable qui me glace le sang : à ma connaissance, jamais une telle descente à 6 heures du matin, jamais une garde à vue sans droits, jamais une détention provisoire aussi rapide et opaque n'a visé les centaines de combattants néo-nazis se réclamant français qui, ces dernières années, se sont affichés publiquement - photos, vidéos, svastikas à l'appui - en prétendant combattre «pour l'Ukraine».
Des centaines surveillés, quelques peines mineures - mais pas de Fleury-Mérogis pour eux. Des preuves circulent depuis des années, impunément. Mais pour ces cas-là, pas de familles à qui l'on dicte : «Surtout pas d'objets suspects dans le courrier».
Ici le déni des autorités est factuel et glaçant.
Depuis que j'ai appris cela, quelque chose s'est brisé en moi.
Une sensation âpre, dure, un tourment affolant qui broie ma conscience, entrave ma voix, la fige, la pétrifie. Je me surprends à parler plus bas, à regarder à tout instant par-dessus mon épaule, à hésiter avant d'envoyer le moindre message.
Est-ce là ma France rêvée et idéalisée dont j'étais si fière ?
Aujourd'hui, je me surprends à avoir peur, moi, une femme qui se croyait née dans le pays qui avait inventé les Droits de l'Homme. Que dois-je penser désormais de cette nouvelle France ?
Mes convictions vacillent, basculent irrémédiablement dans un scénario épouvantable : rentrons-nous dans l'ère du délit d'opinion, de la répression d'État douce et sournoise ?
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Comment la France peut-elle se donner le droit d'emprisonner deux humanitaires qui défendent la paix, au nom d'une russophobie d'État qui nie le réel et la vérité ?
Racontez cette histoire à n'importe quelle personne sincère, attachée à la liberté, à la solidarité des âmes, à la paix : elle vous regardera avec des yeux écarquillés et vous dira «c'est impossible, pas en Europe, pas aujourd'hui».
Et pourtant c'est vrai.
Je n'ai pas de solution, démunie et tourmentée.
Je n'ai plus que cette certitude : si la peur de parler l'emporte sur l'indignation, si nous laissons passer cela sans broncher, alors les heures les plus sombres ne seront plus seulement un souvenir familial. Elles seront redevenues notre présent.
Libérez Anna Novikova et Vincent Perfetti.
Et rendez-nous la possibilité de vivre, de penser et de parler sans trembler.
Cassandre G - Automne 2025
Une citoyenne européenne qui refuse que l'Histoire bégaie.
Et qui, ce soir, pleure en silence.