Par Madaniya
Eva Lacoste - Paru dans Golias Hebdo n°741
Avec l'aimable autorisation de golias-editions.fr
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Ce papier est dédié à Rachel Corrie à l'occasion du 20ème anniversaire de son décès, le 16 Mars 2003.
Militante pro-palestinienne, originaire de l'État de Washington, en congé sabbatique dans les territoires palestiniens occupés, Rachel Corrie a été écrasée, le 16 Mars 2003, par un bulldozer Caterpillar D9 de l'armée israélienne.
Que son supplice incite les décideurs français à faire preuve de discernement dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne en France la répression des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien.
Rachel Corrie
NDLR: madaniya.info
La liberté d'expression, fondement de la démocratie, ne saurait constituer une forme d'antisémitisme. Sauf à se mouvoir dans un système totalitaire, nul ne saurait échapper à la critique; Nul ne saurait s'exonérer de toute critique, ni un individu, ni un pouvoir pas plus qu'un état, surtout un état, détenteur du monopole de la violence légitime. Et l'accusation d'antisémitisme ne saurait devenir l'arme de destruction massive pour réduire au silence toute critique à l'égard d'Israël.
Le Rectorat de l'Université d'Aix Marseille et la Mairie de Marseille, dirigée par le socialiste Benoît Payan, ont interdit, en décembre 2022, la tenue d'une conférence d'Amnesty International sur le thème «Israël, un état d'apartheid?», un comportement dans le prolongement de celui de l'Évêché de Versailles.
Au point que l'accusation d'antisémitisme est devenue en France une arme de destruction massive pour neutraliser toute critique à l'égard d'Israël, au prétexte de ne pas importer le conflit israelo-palestinien en France.
Sur cette problématique, cf ces deux liens :
Benoît Payan ne saurait pourtant ignorer que le combat pour la liberté est indivisible. A Kiev, avec ou sans selfie, comme en Palestine, comme en Syrie, -et non seulement pour les Kurdes de Syrie-, en fonction des tendances de l'électorat de Marseille. Certes le jumelage avec Odessa se justifie ne serait ce que pour des raisons de gémellité portuaire, mais le Maire de Marseille devrait prendre exemple de son collègue de l'ile Saint-Denis (93) qui a procédé le 31 Mars 2023 au jumelage de sa commune avec le village palestinien de Nabi Saleh où vit la jeune militante palestinienne Ahed Tamimi. Un acte de grand courage qui fait honneur à la France, en ce qu'il tranche avec la frilosité ambiante pour tout ce qui a trait au fait israélien en France et ne s'embarrasse pas de considérations électoralistes.
La tétanie de l'Église Catholique face au scandale de la pédophilie en son sein, et des pouvoirs publics à l'égard du fait juif en France en raison de son comportement ignominieux sous Vichy ne sauraient justifier cette censure subliminale, de même que les horreurs du nazisme ne saurait, en aucun cas, justifier le sociocide commis à l'encontre des Palestiniens par les rescapés du génocide juif, avec le silence complice des "grandes démocraties occidentales".
A l'attention des censeurs, cf ces liens :
Au point que le journal Le Monde, dans deux retentissants éditoriaux paru le premier le 30 décembre 2022, qualifiait Israël de «démocratie illusoire»
Et le second, un mois plus tard, le 28 janvier 2023, dénonçait le statu quo mortifère
La psychorigidité de la France sur ce sujet tranche avec celui d'autres pays européens moins frileux concernant la prise en compte des droits légitimes des Palestiniens.
Ainsi Barcelone a décidé de suspendre ses relations institutionnelles avec l'Etat Hébreu, notamment son jumelage avec Tel Aviv, "jusqu'à ce que les autorités mettent fin à la violation systématique des droits de l'homme de la population palestinienne", a annoncé la maire de la ville Ada Colau (Gauche).
La France ne saurait combattre la judéophobie par une arabophobie ou une islamophobie compensatoires de ses turpitudes passées car il lui incombe de garder constamment présent à l'esprit le fait que "La Patrie des Droits de l'Homme" a été à l'articulation majeure des "penchants criminels de l'Europe démocratique" la traite négrière et l'extermination des juifs), selon l'expression de Jean Claude Milner.
Une vigilance qui s'impose comme un impératif et qui constitue le meilleur pare-feu contre des nouvelles dérives si préjudiciables au beau renom de ce pays tant il est vrai que "le silence des pantoufles est plus à craindre que le bruit des bottes » (Max Frisch).
Cf à ce propos sur le même thème, la censure de l'Université de Harvard à l'encontre de l'ancien dirigeant de Human Right Watch Kenneth Ross. L'Université de Harvard a bloqué ma bourse de recherche suite à mes critiques envers Israël par Kenneth Roth mar. 10 janv. 2023
En décembre 2022, le journal israélien Maariv a évoqué un nouveau mouvement dont l'objectif est de faciliter l'émigration des juifs israéliens vers les États-Unis à la suite des récentes élections israéliennes, qui, selon eux, altèrent le rapport de l'Etat sioniste à la religion. Le groupe, qui se nomme «Quitter le pays - ensemble», prévoit de déplacer 10 000 juifs israéliens dans la première phase de son plan.
Parmi les dirigeants du groupe figurent le militant israélien anti-Netanyahou Yaniv Gorelik et l'homme d'affaires israélo-américain Mordechai Kahana. Une alya à l'envers en somme. middleeasteye.net
Fin de la note - René Naba, directeur de madaniya.info
Retour sur le surprenant comportement de l'Évêché de Versailles avec le récit d'Eva Lacoste.
Après le refus d'une salle en 2018, l'association France Palestine Solidarité voit à nouveau une porte se fermer malgré une réservation de plusieurs mois. Annulation signifiée par l'évêché la veille de l'événement prévu, dans le plus parfait mépris, et dans la suite d'une tentative de mise à l'écart par la commune de Versailles. Faut-il y voir le résultat de certaines pressions?
L'engagement pour les droits de l'homme serait-il à géométrie variable dans un département parmi les plus riches de France?
Le 14 octobre 2022, l'association France Palestine Solidarité Versailles Yvelines avait programmé une rencontre publique intitulée «L'apartheid contre le peuple palestinien» avec plusieurs associations: Amnesty International, Ligue des droits de l'homme, Mouvement pour une alternative non-violente, Union juive française pour la paix, Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire, Mouvement contre la racisme et l'amitié entre les peuples. Devaient notamment intervenir le président d'Amnesty Jean-Claude Samouiller et le responsable national de l'Union juive française pour la paix, Jean-Guy Greilsamer.
«Au vu du thème et des organisateurs»
Deux mois plus tôt, le 24 juillet, un échange de mails entre le secrétariat de la paroisse du Chesnay-Rocquencourt, à quelques kilomètres de Versailles, et l'association France Palestine Solidarité avait confirmé la réservation de la salle Jean-XXIII. Les organisateurs informaient leurs adhérents et sympathisants, commandaient tracts et affiches, contactaient la presse locale. Les Nouvelles de Versailles avaient publié un écho, Le Parisien s'apprêtait à faire de même. Quand, le 13 octobre, à la veille de la rencontre, le groupe local de l'association apprenait, par un communiqué publié sur le site de la paroisse, que la salle lui était interdite.
«Pourquoi ce court texte, qui ne prend pas la peine de nous citer («au vu du thème et des organisateurs»), comme si l'interdiction allait de soi) note l'association France Palestine Solidarité sur son site france-palestine.org, «Au Chesnay, la Palestine n'est pas en odeur de sainteté»).
Le Père Grégoire de Maintenant, responsable de la salle, n'hésite pas à dire qu'il n'était pas au courant, évoquant «un défaut de communication». L'organigramme de la paroisse du Chesnay est-il si complexe que les informations entre le secrétariat et son dirigeant peinent à circuler?» L'association France Palestine Solidarité et les organisations invitées dénoncent un acte de censure et une atteinte à la liberté d'expression.
Particulièrement retors, le diocèse avait multiplié les pressions, mails et appels téléphoniques, pour inciter l'association à annuler la réservation de son propre chef... Peine perdue pour le père Grégoire de Maintenant et le père Emmanuel Gougaud, chargé des relations avec le judaïsme.
Selon des sources proches, l'évêque de Versailles, Luc Crepy, aurait été poussé à l'annulation par des «notables» de la communauté juive.
Au même moment, Tribune juive distillait son discours habituel... Sous le titre «Propagande haineuse à l'ombre du Château de Versailles», le magazine qualifiait la conférence prévue le 14 octobre pour dénoncer l'apartheid, d'«offense à la souffrance réelle comme à la vérité». Dans la même ligne, Mabatim Info évoquait «une entreprise de propagande antisémite déguisée en conférence».
Salle comble, mais pas municipale
Certaines accointances ne sont pas nouvelles du côté de Versailles... Les Yvelines sont au troisième rang dans le classement des départements les plus riches de France. Ici on sait où se trouve son intérêt et on n'est pas indifférent à la pompe et aux faveurs qu'elle entraîne dans son sillage.
En 2017, c'était la mairie qui signifiait à l'association France Palestine Solidarité, par lettre de son directeur général adjoint Christophe Darasse, que sa présence «n'était pas souhaitable» au Forum des associations.
«François de Mazières (le maire) et l'adjointe chargée des associations, ont été l'objet de pressions et de conseils visant à nous exclure de la vie publique versaillaise, pour troubles à l'ordre public», confirmait l'AFPS sur son site.
Malgré la disparition de l'association du programme du Forum du 9 septembre et la demande de représentants de la mairie de quitter les lieux, les militants et sympathisants réussissaient à s'imposer sur leur stand, soutenus par Emmeline Fagot de l'Union juive française pour la paix.
Non vraiment, France Palestine Solidarité n'est pas en odeur de sainteté du côté de Versailles. Trop dynamique peut-être, avec une propension à viser juste.
Le 16 mars 2018, Eléonore Merza-Bronstein, cofondatrice du laboratoire de recherche De-Colonizer, invitait à réfléchir à un vivre-ensemble aujourd'hui largement interdit par la colonisation.
La soirée était initialement prévue dans une salle louée à la communauté des Sœurs servantes du Sacré-Cœur de Jésus, la même utilisée pour une autre conférence en septembre 2017.
Quelques jours avant la soirée, les sœurs, qui avaient donné leur accord depuis plusieurs semaines, faisaient savoir à l'association qu'elle n'était plus la bienvenue. L'AFPS apprendra par la suite que les Sœurs avaient reçu un coup de fil de l'évêché. La soirée aura finalement lieu dans la salle d'un restaurant ami.
En 2021, l'entreprise de mise à l'écart se confirmait. Après le refus d'une salle municipale, L'AFPS Versailles avait dû louer l'Ermitage, un ancien pavillon de chasse. L'association recevait le 24 octobre, une partie de l'équipe du film Gaza balle au pied, en tournée dans une trentaine de villes françaises. Le réalisateur Iyad Alasttal, le footballeur amputé Naji Naji et le responsable sportif Fouad Ghalion racontaient l'histoire de ce documentaire consacré à l'équipe de footballeurs handicapés de Gaza.
Il y a quelques mois, le 7 mai 2022, l'association accueillait Ziad Medoukh en visio-conférence. Responsable du département français et coordonnateur du Centre de la paix de l'université Al-Aqsa de Gaza, l'auteur palestinien dénonçait le sort réservé à l'enclave palestinienne, et rappelait l'importance de l'éducation. «La force des Palestiniens pour défier le malheur est d'envoyer les enfants à l'école, coûte que coûte. L'éducation est notre plus grand espoir.»
«La violence des colons se déchaîne»
On a décidément le coup de fil facile du côté de l'évêché de Versailles, et une curieuse façon de communiquer.
Le père Grégoire de Maintenant, curé de la paroisse du Chesnay-Rocquencourt et responsable de la salle Jean-XXIII, a d'autres chats à fouetter que des questions de solidarité, fussent-elles du côté de la Galilée...
Chaque année, à l'occasion de la Saint-Antoine-de-Padoue, il organise au Chesnay une bénédiction des chiens, chats, poneys et autres animaux de compagnie, tout de blanc vêtu avec cape galonnée de fils d'or. Le reportage du Parisien Yvelines (juin 2022) est particulièrement émouvant.
La solidarité avec le peuple palestinien ne mériterait pas notre attention? Un nouveau rapport de l'Onu, rendu public le 18 octobre 2022, est le bienvenu. La rapporteuse spéciale Francesca Albanese déclare que les agissements d'Israël contre les Palestiniens de Cisjordanie occupée s'apparentent à de la «persécution», elle dénonce une occupation coloniale et des «pratiques d'apartheid».
Le Bureau national de l'AFPS prenait le relais le 21 octobre, dans un texte dont nous retenons ce passage: «En cette période de récolte des olives, la violence des colons se déchaîne contre les agriculteurs, femmes et enfants compris, et contre les volontaires locaux ou étrangers, y compris israéliens, qui viennent les aider pour la récolte. Les attaques sont de plus en plus organisées et surtout plus violentes. Comme celle qui vient d'avoir lieu dans le village de Kisan, près de Bethléem, où une volontaire israélienne a été frappée à coups de bâton, de pierre et de couteau par des colons prêts à tuer.»
- Pour aller plus loin sur cette thématique, : france-palestine.org
Contre la dérive du Crif : lettre ouverte à Yonathan Arfi
Dominique Vidal et Rony Brauman viennent de prendre l'initiative d'une lettre ouverte au président du CRIF pour dénoncer ce qu'ils appellent « la dérive » d'une institution dont ils dénoncent la tentation d'endosser le rôle d'une ambassade bis de l'Etat d'apartheid israélien en France. C'est aux citoyens et intellectuels juifs qu'ils ont décidé de s'adresser pour leur proposer la signature de cette lettre ouverte et en quelques heures plus de 70 personnes ont répondu à leur appel.
L'AFPS considère cette initiative comme importante et très positive. La nécessité de faire entendre une autre opinion juive en France est en effet devenue une urgence que nous mesurons chaque jour dans notre travail de solidarité avec le peuple palestinien.
Avec cette lettre ouverte, la possibilité est offerte aux Français juifs de se désolidariser d'une politique israélienne particulièrement brutale, raciste et colonialiste et de rappeler au CRIF qu'il n'a ni vocation ni légitimité pour défendre une telle politique en leur nom. AFPS
Jamais un président du CRIF n'avait affiché avec autant d'arrogance sa prétention à donner des leçons à tout un chacun : à la République, au gouvernement, aux partis politiques, aux intellectuels et aux chercheurs. C'est pourquoi, comme citoyens, intellectuels et juifs, nous avons écrit à Yonathan Arfi afin de le mettre en garde contre le risque que comporte sa démarche, par son fond et son ton.
Monsieur le Président,
Le combat contre l'antisémitisme nous anime depuis des décennies, comme citoyens, comme intellectuels et comme juifs.
Nous divergeons toutefois de longue date avec la conception qu'en défend la direction du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), dont vous êtes devenu récemment le président.
Si nous avons décidé de vous écrire, c'est que votre discours au 37e dîner du CRIF nous semble franchir une étape nouvelle et dangereuse dans le positionnement de votre organisation.
Jamais un président du CRIF n'avait affiché avec autant d'arrogance sa prétention à donner des leçons à tout un chacun : à la République, au gouvernement, aux partis politiques, aux intellectuels et aux chercheurs - la manière dont vous attaquez nommément Pascal Boniface est inacceptable.
Nous n'acceptons pas non plus votre présentation, malgré quelque précaution, de la critique de la politique d'Israël et de la défense du droit international.
En outre, nous ne pouvons comprendre votre obstination à présenter comme « antisémites » les idées antisionistes, dont vous savez fort bien qu'elles ont toujours été présentes - et même longtemps majoritaires - parmi les juifs, en France comme ailleurs.
Nous tenons à vous mettre en garde contre le risque que comporte votre démarche, par son fond et son ton. Vous alimentez, ce faisant, deux clichés antisémites que nous ne cessons de combattre :
- celui selon lequel les juifs formeraient un lobby cherchant à imposer sa volonté à notre pays ;
- celui selon lequel ils manifesteraient en réalité une double allégeance, à la France et à l'État d'Israël.
En profilant le CRIF comme une ambassade bis de l'État d'Israël, défendant inconditionnellement la politique de celui-ci, vous ne trahissez pas seulement sa fonction : vous confortez l'amalgame mortifère entre un gouvernement israélien qualifié de « fasciste » par un ancien Premier ministre et les juifs de France, que vous contribuez à transformer en cibles.
Il est temps de revenir à l'inspiration de notre ami Théo Klein : contre la concurrence des mémoires et des victimes, pour une lutte commune pour la paix au Proche-Orient, contre l'antisémitisme et le racisme.
Avec l'assurance de notre détermination à faire entendre une autre voix juive,
Bien à vous,
- Tauba Alman, militante associative
- Hervé Bismuth, maître de conférences à l'Université de Bourgogne
- Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières
- Henri Blotnik, documentaliste
- Norland Cohen, médecin-anesthésiste
- Sylvain Cypel, journaliste
- Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l'université Paris Cité
- Jacques Dimet, éditeur
- Bernard Frédérick, rédacteur en chef de La Presse Nouvelle Magazine
- Jean-Guy Greilsamer, militant juif antisioniste
- Pierre Khalfa, économiste Fondation Copernic
- Sacha Kleinberg, militant associatif
- Daniel Kupferstein, réalisateur
- Robert Kissous, économiste, responsable associatif
- Jean-François Marx
- Dominique Natanson, porte-parole de l'Union juive française pour la paix
- Annie Ohayon, productrice
- André Rosevègue, militant anticolonialiste et antiraciste, Gironde
- Dominique Salomon, Association catalane de Juifs et Palestiniens
- Élisabeth Salomon, retraitée de la fonction publique
- Carol Shyman, programmatrice de films
- Michèle Sibony, militante anticolonialiste
- Pierre Stambul, Union juive française pour la paix
- Dominique Vidal, journaliste et historien
- Evelyne Zarka-Ferrand, professeure des écoles retraitée, ancienne adjointe chargée de la mémoire à la mairie du IVe arrondissement de Paris
ILLUSTRATION
La source originale de cet article est madaniya.info
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