06/09/2025 2 articles dedefensa.org  6min #289641

Échecs contre jeu de Go

 Ouverture libre 

• Une démonstration des différences stratégiques et culturelles fondamentales entre les USA et la Chine au travers de la pratique de deux jeux qui résument ces stratégies : les échecs et le jeu de go. • Il s'agit du champ géopolitique, mais également du champ culturel et civilisationnel. • Cette démarche permet de mieux comprendre le puissant phénomène actuellement en cours, que nous désignons comme la GrandeCrise. • On retrouve ainsi les références passées de la tradition que l'on peut lier à la situation métapolitique qui caractérise notre temps.

6 septembre 2025 (17H15) - Ci-dessous, on trouve une comparaison des visions et pratiques stratégiques et géopolitiques des USA et de la Chine, - les deux 'superpuissances' du moment selon les experts, avec toutes les réserves allant avec, - en référence à deux jeux fondamentaux. La dimension stratégique de ces deux jeux est un fondement conceptuel de très grande importance, renvoyant aux activités politiques les plus essentielles, dont la stratégie comme art de la guerre ou de la non-guerre pour remporter la guerre : les échecs est ce jeu bien connu dans le monde occidental et le Go, ou "jeu de go", peut être pris comme son équivalent sinon plus en importance, en Chine.

Pour mieux situer le second, évidemment moins bien connu que les échecs, on notera que l'importance du Go dans la culture sacrée chinoise est évidente. Son histoire, sa biographie si l'on veut, l'attestent, qui conduisent à en faire un des "quatre arts du lettré", ou le quatrième "art sacré" :

« Des conseils stratégiques précis sont donnés dès le début de notre ère ; les premiers traités de go sont écrits à la fin de la dynastie Han (début du IIIe siècle). Le go est alors ajouté aux trois « arts sacrés » ( peinture, musique et calligraphie) pratiqués par l'empereur et ses courtisans, pour devenir l'un des « quatre arts du lettré ». Il conserve ce statut jusqu'à la fin du xixe siècle. » (Wiki)

L'auteur du texte ci-dessous, Andrés Berazategui, développe sa thèse des différences de conceptions géopolitiques et des actions stratégiques à partir de ces deux jeux. Il le fait, notamment en se référant à Henry Kissinger, qui écrivit un « De la Chine » où il développa l'importance du 'wei ki' (autre nom du Go) dans les conceptions chinoises. Il est évident que cette analyse comparée est tout à fait d'actualité, notamment après le sommet de Tientsin de l'OCS, - bien que la Chine n'y occupe ni la place prépondérante, ni la place du leadership, mais elle se trouve avec la Russie (et désormais avec l'Inde) au cœur d'une alliance "de convergence" qui pourrait au fond dessiner une sorte d'amorce de jeu de go métapolitique.

Pour cette raison, et parce que l'ancrage Chine-Russie reste, au-delà de l'OCS, l'un des plus importants faits stratégiques et même métapolitiques de notre temps, il est bon d'observer comment la Russie se comporte et se tient par rapport à un partenaire gigantesque qui conçoit la stratégie selon le Go.

Sur le jeu de Go et pour en mieux savoir et conduire notre réflexion sur la Russie, quelques mots (à partir de Kissinger), puis un rappel du plus grand stratège chinois, Sun Tzu, qui agit évidemment en stratège du Go.

« Le wei ki cherche à encercler les pièces de l'adversaire en occupant le plus grand nombre possible d'espaces vides. Le but du jeu n'est pas de « manger des pièces, mais d'obtenir la domination stratégique du plateau en acculant l'adversaire tout au long de la partie, jusqu'à ce qu'il n'ait plus aucune possibilité de faire des mouvements productifs ». [...]

« Sun Tzu explique qu'il faut essayer de subordonner la volonté de l'ennemi, mais si possible sans combattre. Sa maxime selon laquelle « l'art suprême de la guerre consiste à soumettre l'ennemi sans livrer bataille » est bien connue. Sun Tzu recherche ce que l'on pourrait définir comme une patience stratégique, étroitement liée à la notion d'un temps qui s'écoule et se régule au fur et à mesure que ses propres mouvements et ceux de l'ennemi se produisent. »

La question qui se pose à nous est de savoir si Poutine (la Russie) se rapprochent de ces conceptions. On a l'habitude de dire de Poutine (et des Russes) qu'il est un joueur d'échec à cause de son sang-froid, de sa capacité prévisionnelle ; cela l'exclut-il du club des joueurs de Go ? On oublie de préciser qu'il est classé comme joueur d'échecs par contraste avec les Américains qui sont représentés comme des joueurs de poker, alors que, dans la classification qui nous est soumise, les Américains sont dans le camp des joueurs d'échecs, au côté de Clausewitz.

Aussi faut-il apprécier Poutine et la Russie d'un autre point de vue, disons moins hollywoodien. Il nous paraît évident que la Russie a un tel espace géographique et métahistorique, qu'elle a bien assez de champ et de tentation pour être séduite par les règles et le style du Go. Si elle pratique une brutalité que n'aime pas Sun Tzu, elle peut dire qu'elle ne fait là que répondre à ses nombreux envahisseurs, pour qu'on remarque mieux que ses méthodes de combat (guérilla, repli tactique, goût du camouflage et de la tromperie ['Maskirovska']) la rapprochent du stratège chinois.

Mieux encore : une question d'hommes qui rapproche Poutine de Xi. Poutine peut très bien se retrouver dans un jeu de go, tout comme certaines tactiques d'encerclement, d'attrition agressive employées par l'armée russe en Ukraine. Poutine a montré, surtout durant les quatre années de l''Opération Militaire spéciale', un exceptionnel brio pour manœuvrer l'environnement extérieur à son avantage et à l'avantage commun de ceux qu'ils ménageaient, pour rassurer aux dépens du théâtre ukrainien ses partenaires ennemis des violences conquérantes (les Chinois justement, l'Inde, etc.). Ainsi alla-t-il jusqu'à s'imposer comme l'un des conducteurs principaux de l'ensemble BRICS/OCS à vers une position mondiale exceptionnelle qui implique un renversement stratégique, sinon civilisationnel. N'est-ce pas au vu de ces résultats, une stratégie du Go,  selon le constat que fait Elena Fritz ?

« La Russie reste cependant un cas particulier. D'une "opération courte" prévue, le conflit est devenu la plus grande guerre en Europe depuis 1945. Cela a dépassé Moscou, mais paradoxalement, cela l'a aussi renforcée : la Russie tient bon - et cela seul modifie la perception mondiale. »

Poutine n'a certainement pas la brutalité d'un Staline et d'autres avant lui, et cela le différencie fondamentalement des habitudes des grands chefs russes. Alors qu'une entente Staline-Mao constituait une utopie absurde malgré la parentèle idéologique, une entente Poutine-Xi est une évidence s'intègrant parfaitement dans une stratégie du Go qui a tout pour offrir une voie de passage acceptable entre l'effondrement civilisationnel en cours et la recherche d'un arrangement nouveau. Cette entente engendre même une proximité irrésistible au niveau de la forme culturelle nécessaire d'une sauvegarde de ce qui peut l'être dans les traditions de chacun contre les ravages déstructurants de la modernité mourante.

En ce sens, on peut avancer l'idée que Poutine a contribué à une sorte de "multipolarisation du jeu de Go", ce qui permet d'écarter la sensation de mainmise chinoise qu'on aurait pu ressentir dans le cas contraire.

( L'article de Andrés Berazategui, publié sur 'politicar.com.ar', se trouve en  traduction française sur 'euro-synergies.hautetfort.com'.)

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06/09/2025 dedefensa.org  8min #289642

 Échecs contre jeu de Go

Usa, Chine: une concurrence, deux mondes

Par Andrés Berazategui

La concurrence entre les États-Unis et la Chine met en évidence différentes manières de planifier des stratégies et d'agir. La pensée stratégique, étant quelque chose de complexe, révèle également que les contextes culturels qui sous-tendent les décisions des acteurs internationaux peuvent être très différents. En effet, la stratégie est planifiée en vue d'atteindre des objectifs à l'aide d'un ensemble de moyens utilisés de manière rationnelle.