02/12/2025 reseauinternational.net  5min #297793

Encore cinq minutes, Monsieur le bourreau...

par Aline de Diéguez

La religion est à la mode. La théologie donne dans la haute couture.

Le grand chic parisien est de se retrouver le dimanche après-midi dans la grande nef de Notre-Dame pour entendre un acteur de cinéma célèbre lire les Confessions de saint Augustin.

Je voudrais profiter de cette élégante piété pour attirer l'attention sur un moine espagnol, Ignace de Loyola qui, dans ses Exercices spirituels, invitait les apprentis du christianisme à des exercices de concentration nécessaires à la foi. Ils se représenteront les lieux et les péripéties de la vie de Jésus en Galilée, ils fixeront leur attention sur les détails de la vie quotidienne de sa mère, ils mettront en alerte leurs cinq sens pour sentir les odeurs, entendre les bruits, visualiser les lieux, le mobilier, les vêtements, la couleur des «appartements» de la Sainte Vierge à Nazareth.

J'appelle les notables de la Picrolandie européenne à lire le traité de la dévotion du fondateur de la Compagnie de Jésus. Ce soldat blessé et devenu impropre au combat fonda la première armée du Bien. La vocation des Jésuites de laver la terre de ses péchés les rendit casuistes. Pourquoi ne pas inculquer la sainteté à l'école du Général des Jésuites afin de suivre le chemin que parcourent les idéalités de la démocratie pour se convertir à la casuistique des empires ?

Je fixe toute mon attention sur Picrochole. Il est grand, il est massif, il est laid. Il semble qu'il ait mal dormi. Il est de mauvaise humeur. Il crie qu'il n'est pas content. Vlad le nargue avec son indifférence à ses tarifs stratosphériques, cela le mine et Xi écoute à peine ses demandes et semble regarder ailleurs. Cette indifférence à ses menaces qu'il interprète comme un manque de respect le blesse, alors qu'il incarne Picrocholand, qu'il incarne la puissance et qu'il se vante à qui veut l'entendre qu'il incarne une force telle qu'il n'en a jamais existé une telle sur la machine ronde.

Je le vois prendre son petit déjeuner. Je sens l'odeur de viande grillée. J'entends Melania lui recommander de ne pas ouvrir tout grand la bouche quand il parle et d'arrêter de faire des grimaces - cela fait mauvais effet sur les photos.

À l'autre bout de la planète, j'aperçois une petite maison proprette. Une femme modestement vêtue s'y affaire. Elle relève une mèche échappée de son chignon et soupire. L'eau chauffe sur un petit réchaud. Une odeur de galette chaude embaume la pièce. Je vois deux petits garçons et une adolescente assis à la table du petit déjeuner. Ils ont les cheveux noirs, des yeux noirs immenses et calmes, l'air terriblement sérieux pour leur âge.

Je vois un camp militaire, de la terre et de l'eau partout. Je vois un monstre à chenilles se préparer à attaquer. Je vois un porte-avions et une dizaine de navires prêts à envoyer par le fond les modestes barcasses des pécheurs. J'entends des ordres aboyés dans la poussière. Des hommes mâchouillent au milieu des obus. Je sens la sueur de la folie. Entre la maisonnette et le porte-avion, je vois un couloir - le couloir de la mort.

Picrochole débarqué hier dans la géopolitique se prépare à exécuter une nation héritière de la mémoire de trois mille ans d'histoire de la planète.

Encore cinq minutes, Monsieur le bourreau.

Puis je distingue la silhouette d'Emmanuel Macron dans son luxueux bureau. Il paraît malingre, agité et nerveux. Il se frotte le nez. Il est étalé dans un large fauteuil pivotant. Il le tourne vers l'ouest, il le tourne vers l'est. Il est agacé parce que Starmer ne l'a pas encore appelé. parce que Merz l'a oublié. Par bonheur, il veille, lui, sur l'Europe. Ses épaules sont agitées de tics. La grandeur de la nation, c'est lui. Son siège de cuir grince un peu, mais il sent bon. Il saisit son téléphone et demande qu'on appelle tout de suite Meloni qu'on appelle Merz, qu'on appelle Merkel, qu'on appelle le général de Gaulle, qu'on appelle le pape, qu'on appelle Dieu. L'Europe du défi est pleine de damned opposants à sa guerre. Par bonheur, Picrocholand est une armée de Jésuites de la démocratie.

Je vois des navires chargés des armes de la mort, je vois des missiles pointés sur Caracas je vois des hommes en treillis entasser les bombes du ciel picrocholien. Elles sont à effet laser et à micro-ondes, elles sont à fragmentation, elles sont incendiaires, elles sont atomiques, elles percent les abris et les montagnes. Elles percent la croûte terrestre, elles percent le cœur des hommes. Elles sont assourdissantes, aveuglantes, asphyxiantes. Elles sont sales, très sales.

Les deux petits garçons s'en vont à l'école.

Encore cinq minutes, Monsieur le bourreau.

Maintenant, je vois Marco Rubio, si propre, si lisse qu'il a l'air de sortir d'une machine à laver. Je l'entends susurrer à l'oreille droite de Picrochole que l'Amérique du Sud grouille de trafiquants de drogue, que Gustavo Petro en Colombie, Nicola Maduro au Venezuela et Lula au Brésil sont de redoutables chefs de gangs, d'horribles trafiquants de drogue. Mais grâce à lui, Picrocholand veille. Pendant ce temps, le général Kellog squatte l'oreille gauche de l'empereur et n'arrête pas de crier très fort «la guerra, la guerra». Notre flotte entoure le Venezuela, Chavez, on l'a bien eu avec son turbo cancer. Le prix Nobel de la paix, une protégée de la Cia est également une de nos belles réussites. Maduro a beau s'agiter, notre porte-avion tout entier le surveille et son pétrole ne nous échappera pas

Une colonne d'animaux à chenilles s'est engagée dans le couloir de la mort. Elle court, elle court, la colonne. Un immense nuage de terre, de folie et de gerbes d'eau la cache aux regards. Dieu ne la voit pas. Dieu était né dans le couloir de la mort qui s'appelle l'Histoire. Mais aujourd'hui Dieu est vieux, si vieux. Dieu est devenu sourd et distrait. Dieu est si fatigué qu'il sera, c'est sûr, happé par les chenilles du monstre.

Dans un grondement infernal, la gigantesque armée des Jésuites de la démocratie s'approche des rives de l'ancien royaume Inca. L'odeur est suffocante. La pestilence de la mort se répand sur la terre.

À Notre-Dame, la foule recueillie écoute saint Augustin, le théoricien de la guerre juste.

 Aline de Diéguez

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