27/03/2023 les-crises.fr  7 min #226142

Expulsion des réfugiés : L'Ue intensifie surveillance et répression au mépris de la vie humaine

Lors d'un récent sommet spécial de l'Union européenne, qui s'est tenu à Bruxelles, les États membres se sont engagés à augmenter les fonds destinés à la surveillance des frontières et à l'expulsion des réfugiés. Il s'agit de la dernière mesure en date du projet européen de durcissement des frontières au mépris flagrant de la vie humaine.

Source :  Jacobin Mag, Nathan Akehurst
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des migrants descendent d'un bus au centre d'accueil Tariq al-Matar avant d'être expulsés vers leur pays d'origine, à Tripoli, en Libye, le 24 avril 2022. (Hamza Turkia / Xinhua via Getty Images)

Pour ses partisans centristes comme pour ses opposants conservateurs, l'Union européenne a pour la plupart représenté un visage libéral sur la scène mondiale, l'antithèse du nationalisme effronté de Trump. Et pourtant, c'est maintenant l'Europe qui crie « Construisez le mur », alors que la semaine dernière, le Conseil spécial de l'UE a promis de nouveaux fonds « substantiels » pour les armes, la surveillance et l'accélération des déportations.

Le débat qui a précédé le Conseil spécial a été plus houleux que jamais. La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a passé la semaine précédente à faire office de déléguée syndicale pour les nativistes européens, [Mouvement né aux USA s'opposant à toute nouvelle immigration, NdT] exigeant encore plus de fonds pour les clôtures aux frontières et des contrôles plus stricts. Elle a été rejointe par son homologue conservateur suédois Ulf Kristersson. Le fait que la Suède assure désormais la présidence du Conseil de l'UE n'a jamais été de bon augure pour le sommet.

Le gouvernement de Meloni a tenté d'interdire aux navires de recherche et de sauvetage étrangers d'accoster en Italie, tout en promettant un blocus naval. Ces deux mesures se sont avérées difficiles à mettre en œuvre dans la pratique, mais ses politiques - telles que l'obligation pour les navires de sauvetage d'accoster dans des endroits de plus en plus incommodes et l'interdiction d'effectuer plusieurs sauvetages en un seul voyage - continuent de harceler les humanitaires. Le résultat est certain : davantage de morts en Méditerranée centrale.

L'Italie n'est pas seule. Huit États membres ont publié une lettre avant le sommet crucial, exigeant un contrôle plus strict des frontières et davantage d'expulsions, tandis que la Bulgarie et d'autres pays ont demandé de l'argent pour renforcer les frontières.

La droite dure accuse le courant dominant de l'Europe d'inaction et de négligence, tandis que le centre se présente comme contraint de faire des compromis avec les partisans de la ligne dure pour préserver l'intégrité de l'Union. En réalité, l'Europe est bien plus unifiée qu'il n'y paraît. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a peut-être refusé de financer des murs, mais dès son premier jour de travail, elle a promis la création de dix mille nouveaux gardes-frontières et d'un nouveau département pour « protéger notre mode de vie européen. »

Front uni

L'agence européenne pour la gestion des frontières, Frontex, fait l'objet d'un long scandale depuis avril dernier pour complicité dans des centaines d'échouages forcés et de décès en mer sur la côte grecque, une victime poursuivant actuellement l'agence en justice. Pourtant, la commissaire européenne chargée des Affaires intérieures, Ylva Johansson, une sociale-démocrate, a refusé de demander à l'agence de se retirer de la mer Égée. La Grèce, quant à elle, se vante d'avoir empêché quelque 260 000 traversées tout en exigeant davantage de « solidarité » de la part du reste de l'Europe. Et c'est l'empressement de Frontex à parler d'une supposée nouvelle vague migratoire en janvier qui a jeté de l'huile sur le feu des demandes de Meloni et de ses pairs.

Pendant ce temps, la loi sur l'intelligence artificielle, qui vise à réglementer les technologies de pointe et l'utilisation de l'IA, gagne du terrain au sein des institutions européennes, promettant d'être un texte législatif historique à l'échelle du Règlement général sur la protection des données (RGPD). La loi ne dit cependant rien sur la réglementation des technologies qui s'attaquent aux migrants, notamment les sinistres technologies prédictives, les détecteurs de mensonges peu fiables et les violations des droits humains liées à la surveillance actuellement utilisées ou commandées à la frontière.

En décembre, Lighthouse Reports a publié des images de gardes-frontières bulgares tirant sur un réfugié syrien. Ces images faisaient partie d'un rapport plus large sur les « sites noirs de l'Europe », qui désignent un archipel de centres de détention clandestins où des personnes se voient refuser le droit de demander l'asile et sont détenues avant d'être renvoyées, souvent violemment. Ces révélations n'empêcheront pas l'UE d'accorder à ces États davantage de fonds pour le contrôle des frontières. Une enquête similaire, comprenant une reconstitution médico-légale minutieuse de l'horrible massacre perpétré l'année dernière à la frontière de Melilla, en Afrique du Nord, n'a pas non plus empêché l'UE d'utiliser le Maroc comme garde-frontière de substitution.

Dans un moment particulièrement sinistre, deux jours avant le sommet, l'UE a remis cinq nouveaux patrouilleurs aux garde-côtes libyens, une agence presque entièrement créée grâce à des financements extérieurs. Cette agence, qui a l'habitude de traîner les gens derrière les bateaux, de faire preuve d'un mépris total pour la vie et la sécurité, et qui menace même d'abattre les avions de recherche et de sauvetage, est le fer de lance de l'accord UE-Libye. Il s'agit d'un accord qui externalise la violence du bloc vers l'Afrique du Nord, sans se soucier de la torture ou même des marchés d'esclaves dans lesquels les réfugiés peuvent se retrouver à vendre. Dans le document post-sommet, ces accords sont qualifiés par euphémisme « d'accords avec des pays tiers » à développer et à renforcer.

Ce document post-sommet se livre à une couverture prudente. Par exemple, l'UE ne financera pas directement les barrières aux frontières (principalement parce qu'elles sont largement inefficaces, comme l'a découvert l'administration Trump), mais elle financera une série d'autres formes de violence et de surveillance, libérant ainsi les budgets des États membres individuels pour construire des clôtures.

En outre, l'affrontement intra-étatique sur l'accueil des demandeurs d'asile reste fondamentalement non résolu. (Actuellement, la procédure de Dublin, de plus en plus inapplicable, oblige les États qui accueillent en premier les demandeurs d'asile à traiter leurs demandes - il s'agit essentiellement d'un mécanisme par lequel l'Europe du Nord oblige les États d'Europe du Sud à prendre le relais). Il existe également des désaccords sur la coopération entre les États, notamment sur les projets visant à garantir que chaque membre de l'UE fournisse à Frontex des données pertinentes sur les expulsions avant la fin de chaque année.

Doubler la mise

Lorsque l'on s'éloigne des détails des documents, le message est clair. L'Europe double la mise sur des politiques qui tuent des milliers de personnes chaque année. La question de savoir s'il y a ou non une augmentation substantielle du nombre de personnes qui migrent est sujette à débat. Il y a effectivement eu une augmentation du nombre de traversées irrégulières au cours de l'année dernière, mais le recul des confinements dus au Covid en est probablement en partie responsable. En outre, il semble que de nombreux passages enregistrés soient en fait des tentatives multiples par les mêmes personnes.

Plus inquiétant encore, la politique récente de l'UE reflète l'attitude selon laquelle l'augmentation du nombre de réfugiés justifie automatiquement une augmentation de la violence - apparemment, il n'y a pas d'autre option politique sur la table. Le sommet de cette semaine a été dominé par la visite de Volodymyr Zelensky. L'Europe aurait pu profiter de ce moment pour tirer des leçons plus larges de son bref et spécifique moment de solidarité avec les réfugiés ukrainiens. Au lieu de cela, elle a adopté l'approche de la force d'abord qui est maintenant typique de la pensée du bloc.

J'ai longuement écrit sur l'hypertrophie de plusieurs milliards d'euros de Frontex et sur ce que cela représente. L'armée des frontières se trouve au cœur d'une Europe qui s'assombrit, qui se remilitarise, qui est de plus en plus imperméable aux préoccupations en matière de droits humains, et qui est façonnée non seulement par la droite dure, mais aussi par le pouvoir croissant d'un lobby des entreprises en charge de la surveillance des frontières dans la politique européenne.

Si l'un des organes les plus puissants de l'Union européenne est capable d'adopter avec désinvolture une série de politiques dont il sait qu'elles entraîneront encore plus de morts à ses frontières cette année, on peut se demander de quoi il sera capable à l'avenir.

Contributeur

Nathan Akehurst est un écrivain et un militant travaillant dans le domaine de la communication politique et du plaidoyer.

Source :  Jacobin Mag, Nathan Akehurst, 19-02-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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