Le Parlement n'est décidément pas un lieu de discussion - ni de démocratie. Si l'on ne réduit pas la démocratie à cette parodie, qui se joue sous nos yeux, dans laquelle les textes ne sont pas votés à l'Assemblée nationale, les amendements sont retirés, un vote bloqué est imposé au Sénat sur ce qui ne dérange pas le Gouvernement et une commission mixte paritaire, à majorité présidentielle, doit faire passer la pilule. La population est dans la rue, les syndicats sont ignorés, l'opposition n'est pas fichue de s'unire et ce Gouvernement est sur le point d'imposer une nouvelle réforme globaliste à la France, une réforme des retraites, dont la seule justification est : ça se fait partout. Sur le mode des moutons de Panurge, la France continue à se rapprocher du ravin avec le troupeau.
Premier acte de la parodie : pas de vote à l'Assemblée nationale, ce qui n'empêche pas le texte de passer au Sénat.
L'intérêt des débats parlementaires n'est pas qu'ils aient lieu, mais qu'ils soient pris en compte. Or, comme le Gouvernement a déclenché la procédure accélérée, lors de l'examen du texte en première lecture devant l'Assemblée nationale, les deux semaines de débats et la demi-tonne d'amendements ont été nullifiés et le texte a été transmis au Sénat sans vote, dans sa version initiale présentée par la Gouvernement, avec les amendements adoptés.
Le débat sur la réforme phare d'Emmanuel Macron s'est achevé comme prévu à minuit pile, en raison de la procédure législative accélérée. « Le gouvernement saisira le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié par les amendements votés », a annoncé le ministre du Travail Olivier Dussopt.
En tenant compte de l'ampleur des manifestations du rue contre cette réforme, l'on ne peut que constater et l'absence de légitimité populaire, et l'absence de légitimité parlementaire à ce stade de la procédure, défauts, qui de toute manière vont entâcher le texte par la suite.
Second acte de la parodie : un vote bloqué au Sénat.
Après 10 jours de débats, le Gouvernement a activé la procédure de l'art. 44.3, qui prévoit un vote unique devant le Sénat sur l'ensemble du texte, avec les amendements auxquels le Gouverment n'est pas opposé. Trop aimable... Et pour ne pas trop déranger le Gouvernement, les LR, grand parti de la droite d'opposition, a retiré environ 200 amendements, pour que le texte soit bien voté dans les temps.
Comme l'a déclaré Retailleau, chef de file LR au Sénat, l'honneur du Parlement est dans le vote. Donc, pas dans le débat. Dans le vote. L'honneur d'une chambre d'enregistrement.
C'est beau le parlementarisme postmoderne... Et sans surprise, avec une gestion très efficace des Républicains, le texte est voté.
Troisième acte : la fausse conciliation légitimante
Désormais, une commission mixte paritaire, composée de représentants de l'Assemblée nationale (qui n'a pas voté le texte) et du Sénat (qui a été contraint à un vote bloqué), doit trouver un compromis. Logiquement, il s'agit de fondre deux textes en un seul. Or, ici, il n'y a pas eu de texte voté en première lecture et la seconde lecture est celle, qui convient au Gouvernement.
N'ayons aucun doute, cette commission trouvera un compromis, lui aussi favorable au Gouvernement, puisque dès le début de la procédure il garde la maîtrise du texte et empêche les débats parlementaires :
« Après le Sénat, c'est désormais au tour de la commission mixte paritaire (CMP) d'entrer en scène. Ce conclave réunira mercredi 7 députés, 7 sénateurs, et autant de suppléants dans une salle à huis clos du Palais Bourbon avec l'objectif de parvenir à un compromis sur les mesures qu'Assemblée et Sénat n'ont pas votées dans les mêmes termes.Le camp présidentiel et la droite semblent avoir la main sur cette CMP, avec respectivement 5 et 4 titulaires chacun, dont Olivier Marleix, patron des députés LR, favorable à la réforme. «
Et le pouvoir refuse toujours de rencontrer les syndicats, les manifestations et les grèves doivent continuer. Pourtant, l'opposition est toujours incapable de s'unir, alors qu'il suffit de rejeter le texte au prochain vote devant l'Assemblée nationale, pour que la réforme soit enterrée. Ou de voter ensemble une motion de censure du Gouvernement en cas de 49.3. Mais chacun continue à jouer dans son camp, ce qui fait le jeu de Macron, aidé et soutenu par l'ancienne droite française dévoyée et discréditée. Et soyons certain que Mélanchon ne prendra pas le risque de s'allier à Marie Le Pen, ni les socialistes, ce qui permet à cette opposition de ne pas gouverner et de laisser passer toutes les réformes de Macron, tout en continuant de gesticuler.
Rappelons que le seul argument en faveur de cette réforme est finalement qu'en comparaison à d'autres pays d'Europe, l'on travaille moins longtemps en France. Est-ce que passer toute sa vie au travail est un but en soi ? La vie humaine n'a donc de sens, que lorsque l'homme est utile et rentable ? La France avait longtemps trouvé un équilibre entre un libéralisme économique et une politique sociale active, qui tenait compte de la valeur humaine. Cet équilibre est attaqué depuis plusieurs années, suite à l'accumulation de mesures néolibérales, faussement sociales et déstabilisant également le secteur privé.
La dimension idéologique se pose d'autant plus que l'on ne voit pas de grand bond économique, dans les pays qui reculent toujours plus loin l'âge de la retraite. En effet, quelle est la logique économique de cette mesure, quand le chômage et la précarité de l'emploi sont toujours là? Pourquoi, pour relancer l'économie, ne pas relancer l'industrie, l'économie réelle et créer des emplois, au lieu de faire des économies sur les gens ?
Pour illustrer cette rupture de la perception du rôle de l'homme dans la société, soulignons que selon les données officielles du ministère de la Santé, la moyenne de vie en bonne santé est justement de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes. Avec cette nouvelle réforme des retraites, qui vise à faire des économies sur les hommes, car les hommes coûtent cher à l'Etat néolibéral, qui manifestement fait tout pour s'en débarrasser, nous passerons toute notre vie en bonne santé au travail. C'est une chance pour ceux qui aiment leur travail, mais malheureusement, nous ne sommes pas majoritaires...
Karine Bechet-Golovko
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