16/11/2023 dedefensa.org  6min #237385

 L'éléphant dans la pièce à Gaza

Gaza, ou le point de non-retour

• Un texte d'Alastair Crooke nous donne de nombreux détails sur les réalités quotidiennes de la situation à Gaza et développe l'hypothèse que la véritable bataille n'a pas encore commencé, entre le Hamas installé dans ses souterrains et l'IDF installée dans ses chars. • Le ton général de Crooke, dans le texte comme dans certaines met l'accent sur l'aspect eschatologique du combat tel qu'il que perçu par les Israéliens. • L'ensemble entretient un jugement de la perception de l'inéluctabilité du développement catastrophique de la crise de Gaza.

Alastair Crooke est un de ces chroniqueurs extérieurs auxquels nous faisons souvent appel, pour sa perspicacité, son sang-froid mais aussi et surtout son immense culture avec cette capacité qui nous est chère de marier des concepts de la plus haute élévation avec les évènements fous que nous vivons quotidiennement. C'est là toute notre formule affectionnée de la métaHistoire vécue quotidiennement. Cette fois, nous nous adressons à lui parce qu'il donne, dans une partie importante de son texte, un état exact des lieux (et des sous-sols) dans la ville martyrisée de Gaza.

Crooke observe que la véritable bataille de Gaza n'a pas commencé parce que le Hamas se trouve dans l'incroyable imbroglio de tunnels des sous-sols, tandis que les forces israéliennes restent pour l'instant dans leurs blindés qui sillonnent les ruines de la ville, - au risque d'ailleurs d'un tir de roquettes venu d'un combattant solitaire embusqué au cours d'un raid-éclair de surface. Alors, que se passe-t-il et que va-t-il se passer ? Le caractère principal de la crise de Gaza, ce sont tous ces points d'interrogation sans réponses autres que celle de la promesse d'une durée catastrophique...

« Le problème de la crise de Gaza est que si tout le monde accepte de faire l'autruche et d'ignorer "l'éléphant dans la pièce", c'est assez facile à faire. La signification d'une crise grave n'est bien comprise que lorsque quelqu'un remarque "l'éléphant" et dit : "Attention, il y a un éléphant qui trépigne ici». C'est ce que nous faisons aujourd'hui. L'Occident commence lentement à s'en rendre compte. Le reste du monde, quant à lui, est fasciné par ce phénomène et en train d'être transmuté par lui. [...]

» Le gros "éléphant" est le suivant : Israël a  largué plus de 25 000 tonnes d'explosifs puissants depuis le 7 octobre (l'équivalent de la bombe atomique d'Hiroshima en 1945 était de 15 000 tonnes). Quel est exactement l'objectif de Netanyahou et de son cabinet de guerre ? Apparemment, l'opération militaire précédente dans le camp de Jabalia visait à cibler un chef du Hamas soupçonné de se cacher sous le camp - mais six bombes de 2000 livres pour une "cible" du Hamas dans un camp de réfugiés surpeuplé ? Et pourquoi aussi les attaques contre les citernes d'eau, les panneaux solaires des hôpitaux, les entrées des hôpitaux, les routes, les écoles et les boulangeries ? [...]

» Ainsi, l'éléphant dans la pièce pour les habitants du Moyen-Orient, qui assistent à la destruction de la structure civile en surface, est de savoir quel est l'objectif exact de cette tuerie. Le Hamas est profondément enfoui dans le sol. Et bien que les FDI revendiquent de nombreux succès, où sont les corps ? Nous ne les voyons pas. Les bombardements doivent donc avoir pour but de forcer l'évacuation des civils -  une seconde Nakba. »

Dans un entretien-vidéo qu'il a ensuite donné au Juge Napolitano (Crooke intervient régulièrement sur le programme 'Judging Freedom' de Napolitano), Alastair Crooke s'est montré plus personnel, et dans ce registre beaucoup plus pessimiste qu'on ne lit dans son texte pourtant peu rassurant. Par exemple, dans ce passage où Crooke décrit l'état d'esprit des Israéliens par rapport aux Palestiniens, toutes tendances réunies.

On signifie par là que Crooke précise bien qu'il existe une très forte opposition à Netanyahou, que cette opposition subsiste, mais à côté, et sans rapport nécessaire, il existe une unanimité d'état d'esprit par rapport aux Palestiniens. L'appréciation générale est particulièrement impressionnante et vient d'un homme qui dispose de nombreuses sources personnelles, hors des canaux conventionnels normaux, - donc des sources qui donnent une image beaucoup plus précise et débarrassée de toute pression des positions idéologiques officielles habituelles.

« Ce qu'on voit de plus en plus en Israël, ce sont des gens qui parlent dans des termes apocalyptiques de l'avenir des civils palestiniens, du fait qu'ils ne sont pas innocents comme l'a dit un des membres du cabinet à propos des colons implantés, ce sont des termes de plus en plus de type biblique, avec toute cette question devenant un débat eschatologique à propos de l'Israël biblique.. Ce que je veux dire est qu'il devient de plus en difficile d'intervenir quand l'esprit tourne de cette façon, et pour être plus clair, on peut dire qu'autour de 80% des Israéliens, de gauche et de droite, partagent ce sentiment de vouloir se débarrasser de tous les Palestiniens de Gaza, parce que, disent-ils, ils ne sont pas innocents, ils sont tous complices... Ils disent vraiment "se débarrasser"... »

Cette situation, avec cet état d'esprit, est particulièrement terrible et impressionnante. Il s'agit d'un formidable cas, - un de plus dans une époque dominée par la chose, - de l'influence formidable du système de la communication. Nos propres réactions et engagements sont également totalement dépendants du phénomène et ont suscité effectivement des réactions extrêmes. Ce n'est pas une révélation de constater une fois encore que la rapidité et la puissance du phénomène constituent vraiment un facteur d'une importance supplantant tous les autres facteurs.

Il s'agit d'autant plus d'un tel cas, à la fois effrayant et totalement déroutant en plus d'être formidable, qu'il apparaît de diverses sources que les conditions de l'attaque du 7 octobre sont beaucoup plus incertaines et troubles, avec des questions très graves sur les responsabilités des forces israéliennes, sur le fait qu'elles ne semblaient être au jour et à l'heure où elles furent annoncées avec considérable fracas que dans des conditions qui accentuèrent le désordre et les pertes. On en a une bonne idée en écoutant cette Dominique Delawarde, Thierry Meyssan et Youssef Hindi expliquent le drame au Moyen-Orient - 1/2 sur le sujet, notamment dans les quelques minutes après la dixième minute.

Si les divers témoignages sir l'action des forces de sécurité israéliennes sont fondés, on retrouve, comme producteurs de cette brutalité, l'incompétence et l'inefficacité que l'' américanisation' de 'Tsahal'  devenue IDF ont apportés à une armée à l'origine populaire, agile et extrêmement lucide dans ses actes. Si ces diverses suggestions sont fondées, on trouve une preuve de plus que l'évolution de la sécurité israélienne, totalement imitée de l'américanisme, est effectivement ce qui pourrait causer sa perte, - et qui, en attendant, aurait contribué avec grand zèle à plonger le pays dans une crise d'une puissance extraordinaire.

L'article d'Alastair Crooke a été publié dans ' Strategic-Culture.su' et repris en traduction par ' Réseau Internationl'

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