Par Silvia Cattori
Mohammed Dahlan (MaanImages/Fadi Arouri)
Après avoir réussi à diviser les Palestiniens, Israël n'a-t-il pas réussi ce pourquoi il a assidûment œuvré, à savoir : rendre la scission géographique et politique entre Gaza et la Cisjordanie définitive ? Tariq (*), un habitant de Gaza témoigne.
Collaboration d'un chef de la sécurité du Fatah avec l'occupant israélien
Les causes qui ont amené à cette situation catastrophique pour les Palestiniens ont été parfaitement analysées et expliquées par de nombreux témoignages. Cependant, les choses ne se sont pas passées comme les agents de la CIA, du Mossad et les chefs du Fatah, l'avaient programmé. Mohammed Dahlan a perdu la partie. Le président Mahmoud Abbas, discrédité, suite à la diffusion de documents apportant la preuve que Dahlan travaillait étroitement avec les services secrets israéliens, s'est dépêché de le mettre momentanément à l'écart.
Première diffusion le 29 juillet 2007
Silvia Cattori : Comment la population de Gaza a-t-elle perçu ces journées de mi juin où les forces de sécurité du gouvernement Haniyeh ont investi les quartiers des forces de sécurité du Fatah ?
Tariq : Les gens ont vécu ces évènements dans la joie de voir les troupes de Dahlan [1] abandonner leurs postes et les chefs du Fatah s'enfuir. Ils étaient contents de pouvoir sortir dans la rue sans peur de se faire tuer. Puis l'angoisse est revenue.
Silvia Cattori : Angoisse par crainte que des membres du Hamas ne vous maltraitent ?
Tariq : Non, non, les gens n'ont pas du tout peur d'être maltraités par les membres du mouvement Hamas. C'est Abou Mazen (Mahmoud Abbas) qui nous traite mal comme si nous n'étions pas des Palestiniens. C'est l'angoisse de savoir que, maintenant que le Hamas nous a heureusement débarrassés des tueurs du Fatah, de nouvelles menaces pèsent sur nous. Les Etats-Unis continuent de fournir argent et armes à Abou Mazen. Israël continue de s'appuyer sur Mohammed Dahlan et Rashid Abou Shabak [2] pour retourner les choses en sa faveur. Abou Mazen a demandé à l'Egypte et à Israël de maintenir fermées les entrées à Gaza pour couper le Hamas de tout contact avec le monde. Si le Hamas n'a plus personne avec qui communiquer, le siège, qui est déjà très étouffant, va nous asphyxier. Les gens sont sans travail, sans salaire. Comment vont-ils retrouver un travail, nourrir leurs enfants, si Gaza n'a plus aucun lien avec l'extérieur ?
Silvia Cattori : N'étiez-vous pas surpris de voir le gouvernement Hamas, qui jusque là avait privilégié le dialogue avec Mahmoud Abbas, changer soudain de stratégie ?
Tariq : Non, cela ne fut pas une surprise. Je pense que le mouvement Hamas a fait ce que la population en général attendait : qu'il neutralise ces milices, sponsorisées par le Pentagone et l'armée israélienne, que Dalhan utilisait pour provoquer des incidents fratricides et empêcher le Hamas de gouverner. Nous avons tous trop souffert de ces milices. C'est la raison pour laquelle personne à Gaza n'a levé le petit doigt en leur faveur. Le premier ministre Ismaël Haniyeh [3] a tout fait, je crois, depuis une année et demie, pour ne pas donner prise aux provocations du Fatah. Mais il était devenu de plus en plus clair qu'Abou Mazen était déterminé à saboter le gouvernement d'union quand il a confirmé Dahlan et Rashid Abou Shabak à la direction de la sécurité et du renseignement, alors même qu'ils étaient à l'origine des troubles, des meurtres et du chaos que nous connaissions.
Silvia Cattori : Il a été rapporté qu'Ismaël Haniyeh savait, depuis mai, qu'un plan de liquidation des autorités du Hamas était en préparation ?
Tariq : Des échanges avaient était interceptés où Dhalan donnait l'assurance aux services secrets israéliens que ses troupes en auraient « fini avec les gens du Hamas avant fin juillet, début août au plus tard ». Leur attaque devait être déclenchée fin juin. Haniyeh a décidé de prendre les devants. Toutefois, ce qui a précipité son action a été l'enlèvement et l'exécution de l'imam Mohammed al-Rasati. C'était la dernière victime d'une longue série d'exécutions. L'exécution de l'Imam a été perçue comme le signe que le Fatah se servait de la religion, pour couper le peuple en deux et mener une guerre inter- palestinienne où les militants du Hamas seraient la première cible.
Silvia Cattori : A aucun moment la population de Gaza n'a regretté que le Premier Ministre Haniyeh se soit confronté avec les gens du Fatah ?
Tariq : Le chaos était devenu tel qu'Haniyeh n'avait pas le choix : les gens étaient terrorisés, il se devait de ramener la sécurité dans la rue. Même si c'était une décision très difficile, Haniyeh ne pouvait plus laisser ces bandes armées multiplier les incidents et les assassinats.
Silvia Cattori : Les autorités israéliennes, tout comme les médias en général, ont largement eux parlé de la violence des forces de sécurité du Hamas. Deux assassinats en particulier ont frappé : la défenestration d'un homme et l'exécution de Samih Al-Madhoune [4].
Tariq : Les forces du Hamas ne se sont pas battues contre des innocents mais contre des bandes de tueurs qui ont exécuté et torturé des Palestiniens, des militants du Hamas surtout. Il y a eu des excès de part et d'autre le 14 et le 15 juin. Toutefois, il n'y a pas eu de bain de sang. Il n'y a pas eu de tribunaux militaires, il n'y a pas eu d'emprisonnements des assassins de la part de l'administration Haniyeh. Je pense que les forces du Hamas ont fait preuve d'une grande patience et aussi de retenue. A mon avis, la violence est venue des escadrons de la mort de Dahlan.
Le chef Samih Al-Madhoune, dont vous parlez, était connu pour sa cruauté. Le 15 juin, il est sorti de sa voiture et a déchargé son arme sur un policier du Hamas. C'est la famille du policier qu'il venait de tuer qui l'a ensuite exécuté. Quand la nouvelle de la mort de Samih Al-Madhoune a été connue, les gens ont crié leur joie. Il avait kidnappé, torturé, assassiné un nombre incalculable de gens, y compris au sein du Fatah. De son vivant, au nord de Gaza où il habitait, les gens avaient peur de sortir de chez eux.
Silvia Cattori : Selon des journalistes étrangers, les soldats du Hamas seraient allés « au delà des ordres reçus » ; ces journalistes ont parlé de divisions à l'intérieur du Hamas, entre l'aile politique et militaire, entre Haniyeh et Mahmoud Zahaar [5]. Est-ce le cas ?
Tariq : Il y a en ce moment de nombreux reporters qui sont arrivés à Gaza. Ce qui semble généralement les intéresser est de trouver des éléments permettant de faire accroire que les dirigeants du Hamas ont pris le pouvoir pour nous maltraiter et nous créer encore plus de problèmes. A mon avis, les forces du Hamas ne sont pas allées au delà du mandat qui leur avait été assigné. Elles devaient désarmer les mutins à la solde d'Abbas et de Dahlan, libérer tous les prisonniers politiques, réinstaurer la légalité. C'était une action délicate qui comportait des risques et qui aurait pu mal tourner. Je pense qu'ils l'ont bien maîtrisée. Je crois qu'il n'y a eu à aucun moment de dissensions au sein du Hamas. Les cadres du Hamas sont unis et très disciplinés. Je crois que c'est dans le parti du Fatah que les gens se déchirent dans des luttes de pouvoir et qu'il y a des dissensions.
Silvia Cattori : Abbas affirme, lui, que la « Force exécutive » (la police) et les Brigades « Ezzedin al Qassan » (la branche armée du Hamas) sont illégales, que les dirigeants du Hamas sont "des putschistes" !
Tariq : Les putschistes sont dans le camp Abbas-Dahlan. Même s'ils ont échoué ils ne vont pas s'arrêter là. Les choses ne peuvent aller que de mal en pis pour la population de Gaza.
En Cisjordanie, les choses ne vont guère mieux. Là-bas, les gens affiliés au Hamas sont dans une situation bien plus difficile. Qu'ils soient affiliés au Fatah ou au mouvement Hamas, ils sont en ce moment la cible de ces gangs maffieux du clan Abou Mazen. Ils ont donc deux ennemis déclarés qui les pourchassent : les soldats israéliens avec des bataillons de chars et des Apaches ; et les milices du Fatah associées à ces bataillons.
Silvia Cattori : Il y a pourtant des dirigeants du Fatah, comme Farouk Al-Qaddoumi [6], et Hani Al-Hassan [7], par exemple, qui désapprouvent Abbas et lui reprochent de s'en prendre à des résistants alors que l'occupation militaire israélienne continue !
Tariq : Hani Al-Hassan est un membre important du Fatah qui s'est dit très inquiet de voir le Fatah otage de Dahlan qu'il qualifie justement de chef des « putschistes » Ce qu'il a dit n'a pas plu au Fatah. Après qu'il ait déclaré que les dirigeants du Hamas avaient fait ce qu'ils devaient faire pour écarter Dalhan, des milices armées ont attaqué son domicile et la presse contrôlée par le Fatah a lancé une campagne de diffamation contre lui. Tout ceci démontre qu'Abou Mazen est prêt à liquider, non seulement les gens du Hamas, mais aussi des gens du Fatah honnêtes, s'ils s'opposent à sa politique.
Silvia Cattori : Avez-vous visité ces lieux où des résistants et des militants du Hamas étaient soumis à des tortures et où des documents embarrassants pour le Fatah et Israël ont été saisis ?
Tariq : J'ai visité le siège de la sécurité préventive et du renseignement. J'ai vu ces cellules où l'on a enfermé des militants, de 1996 jusqu'au 15 juin 2007. J'ai vu des vidéos montrant des séances de tortures. Nous savions déjà tout cela depuis longtemps par ceux qui en étaient sortis, mais de voir cela de ses propres yeux, c'est très bouleversant.
Silvia Cattori : Pourquoi le Hamas ne diffuse-t-il pas ces fiches qui prouvent l'étendue de la collaboration entre les autorités du Fatah et Israël ? Des documents notamment où l'on comprend que le Mossad et les services de Dalhan seraient impliqués dans les attentats de Charm-el-Cheikh ?
Tariq : J'ai pu voir de mes propres yeux des fiches où étaient répertoriés les noms des Palestiniens et les dates où leur collaboration avec tel ou tel service de renseignement israélien a commencé. Des fiches attestant d'échanges entre les services de renseignement du Fatah, les services secrets Shabak (la Sûreté générale israélienne) et les services de la CIA auraient été trouvés mais elles n'ont pas été rendues publiques. Cela doit être un dossier très délicat à gérer pour les dirigeants du Hamas. Je pense que tout ce qui se rapporte à des renseignements secrets ne peut être mis sur la place publique. Je crois que les fiches dont vous parlez ont dû être confiées à des diplomates égyptiens. Le Hamas a intérêt à regagner la confiance des Egyptiens. Ce sont des choses extrêmement sensibles qui montrent que les services égyptiens aussi sont impliqués dans des affaires pas très propres. Israël a exigé des services de sécurité égyptiens qu'ils fassent le nécessaire pour récupérer tous ces documents secrets et qu'ils lui soient remis.
Silvia Cattori : Abbas et Dahlan vont-il maintenant intensifier leur collaboration avec Israël pour finir « le job » de liquidation du Hamas ?
Tariq : Israël a déjà commencé à nous attaquer le 27 juin. Ce jour là, il a exécuté treize membres du Djihad et du Hamas à l'Est de Gaza. Ces attaques sont bien évidemment le signe du soutien apporté par Israël à Abou Mazen et Dahlan.
La collaboration avec Israël est devenue maintenant plus visible que jamais en Cisjordanie aussi. Leur plan de liquidation du Hamas a échoué à Gaza. C'est pourquoi Dahlan et Abou Mazen, vont s'efforcer de le réussir en Cisjordanie.
Dès le 15 juin, nous avons vu, à Ramallah, à Naplouse, à Hébron, des miliciens du Fatah arborer fièrement les M 16 fournis par Israël et les Etats-Unis, et s'en servir pour pourchasser des Palestiniens dans des zones qui étaient jusqu'ici strictement sous le contrôle de l'armée israélienne. Depuis lors, chaque nuit, chaque jour, en Cisjordanie, des Palestiniens sont arrêtés, assassinés, avec d'autant plus de facilité que ceux qui les pourchassent sont aidés par des espions palestiniens qui collaborent avec les services secrets d'Israël. Dans chaque quartier ou village -c'était déjà le cas sous Yasser Arafat- des agents appartenant à l'appareil de sécurité d'Abou Mazen, travaillent étroitement avec les soldats israéliens.
Cela se savait depuis longtemps que, dès qu'un Palestinien, fiché par Israël comme Wanted, sort de la clandestinité, l'armée israélienne est immédiatement informée par ces mouchards ; quelques minutes après, les jeeps israéliennes arrivent chargées de soldats qui encerclent le quartier, arrêtent ou exécutent les hommes signalés. Depuis 2005, cette collaboration s'est encore accrue et les militants du Hamas sont devenus la première cible. Leur situation est devenue encore plus terrible depuis qu'Abou Mazen a donné l'ordre, à mi-juin, d'arrêter les militants du Hamas [8]
Silvia Cattori : Cette haine contre des Palestiniens affiliés au mouvement Hamas, qui transparaît clairement dans les dernières déclarations de Mahmoud Abbas et Abed Rabbo [9], par exemple, est-elle un phénomène récent ?
Tariq : Cette haine est là depuis longtemps. Ce sont ces autorités, issues des Accords signés avec Israël en 1993, qui l'ont constamment alimentée. Les persécutions actuelles contre les résistants ne sont que la continuation de ce que l'Autorité palestinienne a commencé dès 1996.
Le Hamas a maintenant le monde entier contre lui. Mais je puis vous assurer que, même en admettant que les dirigeants du Hamas aient pu faire des erreurs, à aucun moment ils ne se sont montrés malhonnêtes avec notre peuple. Ils ont une moralité et des principes. Ils se sont battus pour trouver de l'argent durant toute cette période de boycottage ; ils ont désespérément cherché à briser le blocus pour aider la population. Ils n'y sont pas parvenus mais ils n'ont pas cédé aux pressions et agressions d'Israël.
En tant que Palestinien ayant souffert de ne pouvoir assurer une vie décente à sa famille, en tant que personne neutre cherchant à comprendre où sont les honnêtes militants qui veulent avant tout défendre les intérêts du peuple, j'ai pu observer que les gens du Hamas ont cherché à travailler pour le bien de tous. Et malgré le fait qu'ils n'ont aucun soutien et qu'ils sont plus que jamais isolés par la communauté internationale, ils ont su maintenir leur stratégie : ne pas reconnaître l'occupation de notre terre par Israël, non seulement depuis 1967, mais depuis 1948.
Silvia Cattori : Cette guerre contre les résistants, le Fatah et ses soutiens israéliens et occidentaux, peuvent-ils la gagner ?
Tariq : Les Etats-Unis et Israël ont fourni à Abou Mazen et à Dahlan des centaines de millions de dollars et un armement très sophistiqué pour en finir avec le Hamas. Tout ce qu'Abou Mazen a tenté pour liquider le Hamas a échoué jusqu'ici. S'il y avait des élections régulières demain, le Fatah les perdrait encore une fois. Mazen ne peut pas gagner la confiance des Palestiniens en envoyant ses troupes mettre le feu à des immeubles habités par des gens soupçonnés d'appartenir au Hamas.
Silvia Cattori : Quand les Palestiniens ont voté pour le Hamas, en janvier 2006, savaient-ils déjà ce qui apparaît clairement maintenant : que voter pour Abbas reviendrait à voter en faveur de la continuation de la collaboration avec l'occupant ? Abbas n'est-il pas lui-même otage d'Israël et de Dahlan ?
Tariq : Nous reprochons à Abou Mazen d'avoir placé ce chien de garde d'Israël qu'est Dahlan à la tête de la sécurité. Pour nous il est clair depuis longtemps qu'Abou Mazen a moins de pouvoir que Dahlan. Abou Mazen est un homme faible, il n'est qu'une marionnette. Il a peur de Dahlan, car il sait que cet homme est protégé par Israël et les Etats-Unis. Abou Mazen ne fait que de se plier aux ordres de Dahlan, Saed Erakat [10] et Abed Rabbo. Ceux-là sont infiniment plus asservis à Israël et aux Etats-Unis et sont plus dangereux que lui. Il ne peut rien leur refuser ; il les craints tous ; ils sont très forts. Ils sont soutenus au sein du Fatah par Ahmed Abdul-Rahman, Nabil Amr, Al-Tayeb Abdul-Rahim, Tawfiq Tirawi. Tous ces personnages sont détestés y compris par des membres du Fatah honnêtes. C'est du reste un militant du Fatah qui a tenté d'assassiner l'un d'eux, Nabil Amr [11], dans un attentat où il a perdu une jambe.
Silvia Cattori : C'est une situation on ne peut plus calamiteuse pour le peuple palestinien ! Le camp que les Occidentaux qualifient de « modéré » est-il à vos yeux le camp des « traîtres » ?
Tariq : Absolument, dans la mesure où, en Cisjordanie et à Gaza, nous vivons toujours sous la plus cruelle des occupations coloniales.
Quand nous entendons Abou Mazen dire que ce sont des « éléments étrangers » -c'est-à-dire les Iraniens- qui ont « fomenté la crise » qui a abouti à la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, quand nous entendons Abed Rabbo, qualifier les gens du Hamas « de tueurs », de « gangs de Mechaal » [12], nous comprenons qu'ils encouragent Israël à poursuivre ses liquidations de Palestiniens. Ceux qui parlent ainsi appartiennent au camp des collaborateurs ! Et, comme ils ont les mains sales, ils doivent mentir et calomnier toujours davantage.
Silvia Cattori : Vous n'êtes donc pas d'accord avec Leila Shahid qui disait, le jour ou les milices du Fatah ont été mises en déroute : « L'aile dure du Hamas a conquis le pouvoir dans la bande de Gaza » [13] ?
Tariq : Cette « aile dure du Hamas » qu'est-ce que c'est ? Ce sont des Palestiniens qui se sont sacrifiés mille fois plus que n'importe quel autre groupe pour défendre notre peuple face aux agressions de l'occupant. Ce sont des Palestiniens que les gens de Gaza respectent parce qu'ils n'ont jamais collaboré avec l'occupant, qu'ils n'ont jamais détourné l'argent qui était destiné au peuple, qu'ils n'ont jamais demandé d'armes à la CIA pour les retourner contre leurs frères. Ce sont des Palestiniens qui ont sacrifié leur fils, leur père, leur maison et qui se sacrifient et meurent pour sauvegarder les intérêts nationaux palestiniens.
Pour nous qui vivons sous occupation, la question n'est pas de savoir si une personne est affiliée au Fatah ou au Hamas. Nous ne faisons pas de distinction entre les divers groupes palestiniens. La seule chose qui compte pour nous est de savoir si tel responsable politique travaille ou non dans l'intérêt de son peuple. Chaque militant du Fatah, du Djihad, du Hamas, du FPLP, qui n'abandonne pas la lutte contre l'occupation est un frère. Si, demain, les gens devaient apprendre, par exemple, qu'Ismaël Hanyieh collabore avec l'occupant, il serait tout de suite rejeté, comme Dahlan.
Il faut que les gens, au-dehors, comprennent que tous ces Palestiniens qui, d'une façon ou d'une autre, participent au pouvoir d'Abou Mazen, sont associés aux mesures répressives qui, depuis les Accords d'Oslo, ont permis à Israël de renforcer le régime d'apartheid, de poursuivre l'épuration ethnique, et de nous rendre encore plus vulnérables. Avoir la reconnaissance d'Olmert et de Bush n'est pas un gage de justice.
Aucun Palestinien digne de ce nom ne peut accepter ces qualificatifs de « durs », « extrémistes », « fondamentalistes », utilisés pour diviser et discréditer ceux qui défendent notre peuple. Le peuple a soif d'union. Chaque fois que nous apprenions qu'un gouvernement de coalition se mettait en place, tout le monde était ravi, espérait en sa réussite. Mais, à chaque fois, Abou Mazen ne donnait pas au Hamas les moyens de gouverner et laissait les bandes armées du Fatah sévir. Et nous comprenions que son principal objectif était la liquidation du Hamas.
Le mouvement Hamas rassemble autour de lui la majorité du peuple. Il n'est pas arrivé au pouvoir par un coup d'Etat mais par le vote. Si l'on veut stabiliser la bande de Gaza et la Cisjordanie, il faudra bien que la présence du Hamas soit admise comme partenaire à part entière dans toute négociation de paix. Les journalistes et les responsables politiques ne reconnaissent pas le droit des Palestiniens à résister contre l'occupant. En quoi ils servent les intérêts d'Israël et portent une lourde responsabilité dans notre drame. Si les citoyens du monde savaient qui sont réellement ces Palestiniens croyants, et qu'elles valeurs humaines ils incarnent, ils leur apporteraient leur plein soutien.
Silvia Cattori : L'Union européenne et les Etats-Unis ont rappelé qu'ils ne traiteront qu'avec Abbas. Cela indique qu'ils vont continuer de soutenir des mesures illégales, des sanctions qui vont continuer de creuser le fossé entre Palestiniens et aider Israël à briser leur résistance [14] !
Tariq : Cela ne vous a-t-il pas frappé de ne jamais avoir entendu le mot « peuple » dans les déclarations de tous ces chefs d'Etat qui expriment leur soutien à Abou Mazen ? Pas une seule fois ils n'ont parlé du « peuple », de soutenir notre peuple. Tout le monde a parlé de soutenir le gouvernement d'Abou Mazen, de verser l'argent permettant de payer le salaire de 150'000 fonctionnaires relevant d'Abou Mazen. Les autorités de l'Egypte et de la Jordanie ont la même attitude ; elles apportent leur soutien à Abou Mazen. Tous ces gens qui disent vouloir instaurer la démocratie, mais qui excluent les autorités légitimes du Hamas, se moquent des « peuples » et de leurs besoins vitaux. Ils ne se préoccupent pas de savoir qu'Abou Mazen n'est pas forcément celui qui nous représente le mieux. Cela est profondément déprimant. Je ne comprends pas comment le monde peut accepter qu'on nous enferme encore davantage qu'Israël ne l'a déjà fait depuis 60 ans. Si cela continue, nous allons mourir de faim.
Silvia Cattori : Ne voyez-vous aucun élément capable de vous redonner un peu d'espoir ?
Tariq : Oui, l'autre jour quand nous avons appris qu'Alvaro de Soto [15], un haut fonctionnaire de l'ONU, se disait triste de nous savoir jetés dans une pareille misère à cause de toutes les sanctions illégales imposées par la communauté internationale. Il a dénoncé avec des mots clairs l'attitude injuste de l'ONU envers nous, et demandé que l'ONU cesse de traiter Israël avec faiblesse. Cet homme est très courageux. Nous savons qu'il sera ostracisé pour avoir critiqué Israël. Peu de diplomates de l'ONU osent parler ainsi.
Silvia Cattori : Comment voyez-vous les jours à venir ?
Tariq : Je vois demain encore plus noir. Surtout quand j'entends Abou Mazen demander à l'Egypte de ne pas ouvrir le passage de Rafah. Si la sortie de Rafah est fermée, alors que l'entrée des marchandises par le passage de Karni est toujours fermée par Israël, il sera facile de nous affamer, de couper l'électricité et le peu d'eau saumâtre qui reste [16]
Le jour où je suis allé acheter un sac de farine je suis revenu bredouille. Plus un grain de farine nulle part. J'ai compris que les marchands l'ont retirée de la vente pour pouvoir la vendre plus tard au triple de son prix. La farine a disparu de Gaza, tout comme le sucre, l'huile, le lait. Il ne me restait plus qu'à aller voir si je pouvais obtenir ma dernière ration à l'UNRWA. Nous avons droit à trois sacs de farine, un peu de sucre et six bouteilles d'huile par famille tous les deux mois.
Silvia Cattori : Quand vous regardez vos enfants, que ressentez-vous ?
Tariq : Une immense peine. Déjà nos enfants ne vont pas bien car ils ont vu des choses que des enfants ne devraient jamais voir. Je me dis que ce sont des pauvres créatures. Que tout leur est fermé. Comme vous le savez, quand ils souffrent, les enfants vont d'abord vers leur mère. Quand je les entends demander des chaussures, un vêtement, du pain et qu'elle ne peut pas répondre à leurs souhaits, je sais combien c'est douloureux pour leur mère. Et quand je la vois souffrir, je souffre encore plus pour elle.
Silvia Cattori : Il viendra bien un jour où, sous la pression de l'opinion, l'Union Européenne, devra se distancer d'Israël. Alors le blocus sera peut-être levé et des aides alimentaires viendront ?
Tariq : Mais cela veut dire que l'on va devoir continuer de vivre de la charité ? J'espère que cette situation ne va pas durer !
Silvia Cattori : Pensez-vous qu'en Cisjordanie, ceux qui désapprouvent la politique du Fatah vont faire pression sur Mahmoud Abbas pour qu'il reprenne le dialogue avec Gaza ?
Tariq : Par malheur il y a un peu de racisme à notre égard en Cisjordanie. Nous sommes considérés comme inférieurs. Je crois que les gens, là bas, ont parfois un peu honte de nous. Ce qui n'est pas pour nous aider en ce moment. Et ceux qui nous considèrent frères et voudraient nous aider ne peuvent rien faire parce qu'ils sont eux-mêmes, isolés, en danger, et pourchassés si ils sont soupçonnés de sympathie avec les gens de Gaza.
Silvia Cattori : Un grand nombre de Palestiniens vont-ils devoir se cacher comme cela s'est déjà produit après la mise en application du Protocole d'Oslo ?
Tariq : En Cisjordanie les gens ont énormément souffert. Ils ont été arrêtés, brutalisés aux check points, assassinés par les troupes d'occupation d'Israël. Ils vivent dans la terreur permanente, isolés dans leurs villages et villes, détachés les uns des autres. Pour tous ces Palestiniens, pourchassés maintenant par les milices armées d'Abou Mazen, les temps vont être très durs.
(*)Propos recueillis le 29 juin 2007 par Silvia Cattori, avant que Mohammed Dahlan ait été contraint à la démission. Dans un précédent entretien il faisait une analyse qui prévoyait ce qui allait se passer.
[1] Dahlan, conseiller à la sécurité nationale palestinienne jusqu'au 27 juillet 2007, chef de la sécurité du Fatah, est un homme fruste, totalement asservi à Israël. Sa collaboration avec les Services militaires israélien est ancienne. Il est à la tête du courant du Fatah, que les pays occidentaux qualifient de « modéré » et qui comprend notamment Mahmoud Abbas, Ahmed Abdul-Rahman, Al-Tayeb Abdul-Rahim, Nabil Amr, Tawfiq Tirawi.
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[2] Rashid Abu Shabak, un proche de Dahlan considéré comme un collaborateur
[3] Ismaël Hanyieh, 45 ans, vit dans un camp de réfugiés à Gaza où il a étudié la littérature. Il a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat par Israël et les milices de Dahlan. Nommé Premier Ministre en février 2006.
[4] Samih Al-Madhoune, un proche de Mohamed Dahlan, responsable de la sécurité auprès de Mahmoud Abbas, était un des chefs des milices du Fatah à Gaza, un chef militaire du parti Fatah.
[5] Mahoud al Zahar, commandant des forces légales de sécurité du Hamas.
[6] Farouk Al-Qaddumi, chef du département politique de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), basé à Tunis.
[7] Hani Al-Hassan, ancien Ministre de l'Intérieur est membre du comité central du mouvement du Fatah. Il appartient au « camp d'Arafat » qui comprend nombre d'anciens chefs du Fatah : Farouk Al-Qaddoumi, Jebril Rajoub, Marwan Al-Barghouti, Ahmed Hellis.
[8] Du 15 juin au 25 juillet, les miliciens appartenant au parti Fatah de Mahmoud Abbas ont commis 755 attaques contre des cadres du Hamas et leur bureau en Cisjordanie.
[9] Abed Rabbo, ancien ministre de la Culture et de l'Information de l'Autorité palestinienne, a été le principal négociateur des Accords de Genève. Il a sillonné le monde en compagnie de Yossi Beilin pour "vendre" les mérites de l'Initiative de Genève au frais de la Confédération helvétique. Habitué des rencontres avec des stratèges militaires israéliens, il s'est toujours opposé à reconnaître la légitimité du Hamas et à toute réforme de l'OLP
[10] Saeb Erekat, 57 ans, était chef des négociateurs palestiniens sous la présidence d'Arafat. Il a fait partie de toutes les équipes de négociateurs avec Israël. Actuellement il est, avec Dalhan et Rabbo, le plus proche conseiller de Mahmoud Abbas.
[11] Dans un entretien avec le magazine londonien Al Hayat, Nabil Amr a qualifié les groupes de résistance de « criminels » et a accusé le Hamas « d'abriter al-Qaida », reprenant ainsi la propagande d'Israël. En 2004, il a échappé à une tentative d'assassinat par des fidèles de Yasser Arafat. Blessé, il a été amputé de sa jambe droite.
[12] Khaled Machaal, 51 ans, réfugié à Damas, est le principal dirigeant du mouvement Hamas. Il a échappé à une tentative d'assassinat du Mossad le 25 septembre 1997, alors que deux agents israéliens avec passeports canadien lui avaient injecté une substance toxique.
[13] La déléguée générale de la Palestine auprès de l'Union européenne, Leïla Shahid, a affirmé sur les ondes d'Europe 1, le 15 juin, que la dissolution par Mahmoud Abbas du gouvernement Hamas se justifiait par le fait que « l'aile dure » du Hamas a « pratiquement conquis le pouvoir » dans la bande de Gaza.
[14] L'Union européenne, le 15 juin, par la voix du porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères a affirmé son « soutien » au gouvernement d'état d'urgence de Mahmoud Abbas et a condamné « avec la plus grande sévérité la prise de pouvoir violente par les milices illégales du Hamas à Gaza et la mort de civils innocents ». Les Etats-Unis, ont apporté de leur « plein soutien au président modéré Mahmoud Abbas ».
[15] Alvaro de Soto, 64 ans, de nationalité péruvienne, a été coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient du 6 mai 2005 à juin 2007. Dans un rapport confidentiel daté du 5 mai, il met en cause l'ONU qui a « traité Israël avec une extrême considération, presque de la tendresse », et demande qu'il soit mis fin à cette situation « d'autocensure ».
[16] De nombreux décrets destinés à isoler et rendre la vie difficile des gens de Gaza ont été émis par M. Mahmoud Abbas. Le 23 juillet, il a demandé au gouvernement israélien de ne plus fournir le mazout qui alimente la centrale électrique qui couvre 30 % de l'approvisionnement à Gaza. Le 26 il a fait savoir, par la délégation palestinienne aux Nations Unies qu'ils ne voulaient pas que cette instance se préoccupe de la crise humanitaire à Gaza.
Traduit de l'anglais par JPH
Source: silviacattori.net