Par Nader Durgham
La crainte de voir la guerre s'étendre gagne de nouveau le Liban alors qu'est attendue une riposte du Hezbollah au bombardement meurtrier de Beyrouth par Israël
L'assassinat de Saleh al-Arouri, haut responsable du Hamas, dans la banlieue de Dahiyeh à Beyrouth, a provoqué une onde de choc au Liban, où le conflit avec Israël s'est jusqu'à présent limité aux zones frontalières.
Arouri était le vice-président du bureau politique du Hamas et l'un des fondateurs de son aile armée, les brigades al-Qassam. Son assassinat à Dahiyeh, un quartier résidentiel dense qui sert également de bastion au groupe libanais Hezbollah, marque une escalade significative en territoire libanais de l'actuelle guerre israélienne contre Gaza.
L'attaque a tué quatre Palestiniens, dont Arouri, et trois Libanais. Deux des Palestiniens tués étaient des officiers des brigades al-Qassam, et deux des Libanais appartenaient au groupe Jamaa al-Islamiya.
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Face à la promesse du Hezbollah de « riposter et de punir » cette attaque, nombreux sont ceux qui craignent que le Liban se retrouve entraîné dans une guerre de grande ampleur.
Israël, qui n'a pas revendiqué l'attaque, se préparerait à une riposte du Hezbollah qui, selon les experts, devrait être importante.
« Il y aura forcément une escalade », relève Amal Saad, spécialiste du Hezbollah et maître de conférences en politique à l'université de Cardiff.
« Elle va devoir surpasser les types d'attaques et de tactiques utilisées jusqu'à présent. Elle va évidemment devoir être qualitativement différente. »
« Une illusion de victoire »
Hassan Nasrallah a évoqué l'assassinat à la fin d'un discours télévisé d'une heure et vingt minutes, mercredi 3 janvier, dans lequel il a déclaré que le Hezbollah ne pouvait pas rester silencieux.
« Nous n'avons pas besoin d'en dire beaucoup, et comme nous l'avons dit dans notre déclaration officielle d'hier, ce grave crime ne restera pas sans réponse ni impunité », a-t-il affirmé.
Le chef du Hezbollah a déclaré aux téléspectateurs à Beyrouth que l'assassinat d'Arouri était le signe qu'Israël « tentait de créer une illusion de victoire » alors que l'armée du pays n'avait pas atteint ses objectifs dans sa campagne militaire dans la bande de Gaza.
Les experts continuent de penser que les représailles du groupe ne se traduiront pas par une guerre totale, le Hezbollah restant déterminé à éviter cette voie.
Mohanad Hage Ali, chercheur au centre Carnegie pour le Moyen-Orient, estime que « le Hezbollah n'a aucun intérêt à changer le cours des événements dans la bande de Gaza ».
Il précise que le groupe continue de percevoir la situation comme une guerre qui se déroule à Gaza et dans laquelle le Hezbollah joue un rôle de soutien secondaire.
« La ligne directrice est qu'Israël perdra cette guerre », poursuit-il. « Ils [les Israéliens] ne peuvent pas atteindre leurs objectifs, le Hamas est toujours actif dans le nord de Gaza, il continue de frapper les forces israéliennes, ce qui augmente le coût de l'occupation israélienne à Gaza. »
La baisse du soutien international à Israël implique également que le Hezbollah pourrait juger inutile d'étendre complètement le front de la guerre à l'ensemble du Liban.
« Le Hezbollah n'a aucun intérêt à changer le cours des événements dans la bande de Gaza »- Mohanad Hage Ali, chercheur
Le Hezbollah s'efforcera toutefois de veiller à ce qu'Israël ne répète pas l'attaque de Dahiyeh.
« Il s'agit de dissuader Israël de poursuivre cette campagne, car Israël menace de la poursuivre pendant des années », explique Amal Saad.
L'assassinat d'Arouri a été suivi mercredi d'un double attentat à la bombe qui a fait plus de 100 morts lors d'un événement commémoratif en l'honneur de Qasem Soleimani à Kerman, en Iran. Les attentats n'ont pas encore été revendiqués.
Quelques semaines avant l'attentat de Beyrouth, des responsables israéliens, dont le Premier ministre Benyamin Netanyahou, ont annoncé leur intention de cibler les responsables du Hamas partout dans le monde.
Inquiétudes des Américains
Le chef du service de sécurité intérieure israélien, le Shin Bet, a même déclaré dans un enregistrement divulgué que leurs opérations pourraient se poursuivre pendant des années et qu'elles auraient lieu « au Liban, en Turquie, au Qatar et ailleurs... ».
Par ailleurs, alors que des rapports révèlent les 𝕏 inquiétudes des Américains quant aux actions d'Israël qui pourraient déclencher une guerre plus large au Liban, les experts estiment que le Hezbollah cherche à éviter de donner à son ennemi ce qu'il veut.
« Il ne va pas attiser le feu qui a été allumé par les Israéliens », a indiqué Hage Ali.
Les responsables israéliens ont menacé à plusieurs reprises le Hezbollah et le Liban depuis le début de leurs affrontements frontaliers le 8 octobre, au lendemain de l'attaque surprise du Hamas contre des villes du sud d'Israël. Netanyahou a même déclaré qu'ils « transformeraient Beyrouth et le Sud-Liban » en « Gaza et Khan Younès » si une guerre devait éclater.
Israël a également exigé que les forces d'élite al-Radwan du Hezbollah se retirent au nord de la rivière Litani au Liban, pour créer une sorte de zone tampon sécurisée, tout en affirmant qu'il y parviendrait par la force si cela s'avérait nécessaire.
Si une guerre aujourd'hui pourrait être désastreuse pour le Liban déjà en crise, elle n'aboutirait pas nécessairement à la défaite du Hezbollah souhaitée par Israël.
Le groupe a déjà mené une guerre contre Israël en 2006, qui s'est terminée par l' échec d'Israël à atteindre ses objectifs déclarés. Depuis, il a considérablement renforcé son arsenal et acquis des années d'expérience dans la guerre civile syrienne, en combattant aux côtés du gouvernement syrien.
Les affrontements actuels avec Israël ont tué au moins 140 combattants du Hezbollah, un nombre indéterminé de soldats israéliens et des dizaines de civils du côté libanais. Les régions du nord d'Israël ont été évacuées et des dizaines de milliers d'habitants libanais des villes du sud ont été déplacés à l'intérieur du pays.
Certains experts considèrent que les représailles du Hezbollah pourraient s'inscrire dans la lignée de ce que le groupe et ses alliés ont fait à la suite de l'assassinat de personnalités telles que le général iranien Soleimani, lorsque plusieurs missiles balistiques avaient été tirés sur une base aérienne américaine en Irak.
Amal Saad estime que l'assassinat d'Arouri est davantage motivé par la volonté d'Israël de donner « l'apparence d'une victoire symbolique à sa population », alors qu'il n'a pas obtenu de résultats militaires à Gaza.
« S'il voulait provoquer une guerre totale à la suite de la riposte du Hezbollah, je ne pense pas qu'il se serait contenté de prendre pour cible un responsable du Hamas. »
Quant au Hezbollah, Mohanad Hage Ali affirme que « rien » ne pourrait l'inciter à déclencher une guerre, à moins qu'Israël ne lance une invasion complète du Sud-Liban ou ne bombarde massivement Dahiyeh.
« La décision de lancer ou de commencer une guerre appartient à Israël, autrement le Hezbollah n'en prendra pas l'initiative », a-t-il ajouté.
Traduit de l'anglais ( original).
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