Par Sean Mathews
L'administration Biden est réticente à mener des frappes directes contre les Houthis, craignant que cela ne perturbe les pourparlers de paix saoudiens, expliquent des responsables à MEE
Des responsables occidentaux confient en coulisses aux membres de l'industrie du transport maritime de continuer à s'attendre à des attaques houthies contre des navires en mer Rouge, selon deux hauts responsables arabes et occidentaux, qui ont requis l'anonymat lors d'un entretien avec Middle East Eye au sujet de ces conversations privées.
Ces avertissements, selon ces responsables, reflètent la situation délicate dans laquelle se trouve l'administration Biden, qui s'efforce de dissuader les Houthis après leur attaque de plusieurs heures contre trois navires commerciaux en mer Rouge le dimanche 3 novembre.
Un destroyer de la marine américaine a également été attaqué après son arrivée sur les lieux et a abattu trois drones tirés depuis le Yémen sous contrôle houthi.
« L'administration Biden craint que des frappes directes contre les Houthis ou leur requalification comme organisation terroriste en représailles ne mettent en péril non seulement le processus de paix au Yémen, mais aussi le rapprochement plus général entre l'Iran et l'Arabie saoudite », rapporte à Middle East Eye un haut responsable occidental.
MEE a sollicité une réaction du département d'État américain, mais n'avait pas reçu de réponse au moment de la publication de cet article.
Les attaques des Houthis contre des navires commerciaux sont un test particulièrement exaspérant des capacités de dissuasion de l'administration Biden, selon des responsables arabes et occidentaux.
« Le Hezbollah est comme une voiture de sport et les Houthis sont comme un pick-up. Le Hezbollah a une position confortable et ne veut pas être bombardé, les Houthis s'en fichent »- Un responsable arabe proche des États-Unis
La dernière fois que les États-Unis ont publiquement pris des mesures militaires contre les Houthis, c'était en 2016, lorsqu'ils ont lancé des missiles de croisière Tomahawk sur des sites de radars côtiers houthis après l'attaque d'un navire de guerre américain.
Aujourd'hui, des responsables arabes et occidentaux affirment que l'administration Biden rechigne à lancer de telles frappes contre les Houthis parce qu'elle craint que cela ne fasse péricliter le processus de paix entre eux et l'Arabie saoudite.
« L'administration Biden est beaucoup plus à l'aise avec l'utilisation de la force contre les supplétifs iraniens en Irak et en Syrie qu'au Yémen », indique à MEE Michael Knights, expert des groupes soutenus par l'Iran au Washington Institute for Near East Policy.
« Les Houthis ont compris qu'ils pouvaient faire à peu près tout ce qu'ils voulaient sans en subir les conséquences. Pour l'administration Biden, c'est un dilemme cauchemardesque en matière de dissuasion », ajoute-t-il.
Les Saoudiens ignorent les attaques maritimes
Le Yémen a sombré dans la guerre civile en 2014 lorsque les Houthis, alignés sur l'Iran, se sont emparés de la capitale, Sanaa. Un an plus tard, l' Arabie saoudite a pris la tête d'une coalition de pays arabes, parmi lesquels les Émirats arabes unis, visant à rétablir le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
La coalition dirigée par l'Arabie saoudite a lancé des milliers de frappes aériennes sur le Yémen, qui n'ont pas réussi à déloger les Houthis et ont entraîné la mort de centaines de milliers de civils ainsi qu'une crise humanitaire majeure. Les Houthis ont riposté en lançant des missiles et des drones sur des infrastructures civiles en Arabie saoudite et aux Émirats.
Le cessez-le-feu négocié par l'ONU a expiré en octobre dernier, mais les combats restent en grande partie suspendus.
Les pourparlers pour mettre fin à la guerre se sont accélérés après le rétablissement des liens entre l'Arabie saoudite et l'Iran en mars. Puis, moins d'un mois avant le début des combats à Gaza, des représentants houthis ont effectué une visite exceptionnelle à Riyad, dans le but de mettre au point les derniers détails d'une trêve à long terme.
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Mohammed al-Basha, analyste spécialisé sur le Yémen au sein de la société de recherche Navanti Group, basée en Virginie, déclare à MEE que les États-Unis sont à la « croisée des chemins » alors qu'ils réfléchissent à la manière de répondre à la menace houthie.
« Nous pourrions être sur le point de conclure un accord avec les Saoudiens et les Houthis, ce qui conduirait les décideurs américains à faire preuve de prudence quant à l'imposition de sanctions ou au lancement d'une frappe militaire », affirme-t-il.
Mardi dernier, le vice-ministre houthi des Affaires étrangères 𝕏 a menacé de fermer le détroit de Bab al-Mandeb et a déclaré que les actions des Houthis se poursuivraient jusqu'à ce que « l'agression » d'Israël à Gaza prenne fin.
« C'est la menace la plus directe que nous ayons vue de la part des Houthis depuis le début de la guerre à Gaza », poursuit Mohammed al-Basha. « Cela mettra davantage à l'épreuve les capacités de dissuasion de l'administration Biden. »
Le 7 novembre, le Wall Street Journal (WSJ) a rapporté que les États-Unis avaient demandé à Israël de ne pas répondre aux attaques de missiles et de drones des Houthis. Les forces houthies tirent des drones et des missiles balistiques sur Israël depuis des semaines. Israël et les États-Unis en ont abattu la plupart.
Les États-Unis ont demandé à Israël de laisser l'armée américaine répondre aux Houthis, au lieu de risquer une réponse israélienne qui pourrait étendre le conflit, ont déclaré les États-Unis et d'autres responsables gouvernementaux, selon le WSJ.
Des attaques houthies « en préparation depuis des mois »
Des responsables américains estiment que les frappes houthies ont été « rendues possibles » par l'Iran, mais adoptent par ailleurs le ton de la désescalade.
Lundi dernier, ils ont esquivé les questions posées pour savoir si un drone qui s'approchait du navire de guerre américain répondant aux appels de détresse des navires commerciaux la veille était une cible délibérée de l'attaque houthie.
Cependant, le haut responsable occidental familier avec les Houthis suggère qu'ils auraient espéré infliger des pertes américaines lors de l'attaque du 3 novembre, laquelle semblait être « en préparation depuis des mois » et a démontré une capacité sophistiquée à surveiller et à cartographier plusieurs navires en mer ainsi qu'à pré-déployer des forces pour l'attaque.
« Au Yémen, parmi les groupes islamistes, les Houthis sont considérés comme des héros »- Raiman al-Hamdani, expert du Yémen
« Les Houthis ont renforcé leurs forces navales pour cette journée et ils ont l'équipement nécessaire pour continuer. Ces attaques se poursuivront », conclut ce responsable.
Depuis le début de la guerre à Gaza, on recense au moins 76 attaques contre les forces américaines en Irak et en Syrie. Bien que les attaques aient cessé pendant la trêve temporaire entre le Hamas et Israël, elles ont repris lorsque celle-ci s'est effondrée le 1er décembre.
Alors même que la guerre à Gaza fait rage, les États-Unis continuent les pourparlers en coulisses à Oman avec l'Iran, assure un responsable arabe à MEE.
Initialement, l'administration Biden semblait réticente à infliger des pertes aux groupes soutenus par l'Iran en réponse à leurs attaques contre des cibles américaines, préférant frapper les dépôts d'armes et les infrastructures.
Le calcul de Washington a changé à mesure que le rythme des attaques s'est accéléré. Certains à Washington ont exprimé leur frustration, estimant que les États-Unis n'en faisaient pas assez contre les forces soutenues par l'Iran.
Le 3 novembre, les États-Unis ont déclaré avoir tué au moins cinq combattants soutenus par l'Iran en Irak alors qu'ils se préparaient à lancer une frappe de drone contre une base américaine en Syrie.
« Ce qu'ils font est extrêmement populaire »
Les attaques des Houthis sont une pilule amère à avaler pour l'administration Biden, car elle a fait de la fin de la guerre au Yémen une priorité absolue de sa politique étrangère.
Biden a retiré les Houthis de la liste américaine des organisations terroristes et a gelé la vente de certaines armes offensives à Riyad en réponse à sa campagne de bombardement au Yémen.
Des influenceurs houthis ont posté des 𝕏 vidéos où on les voit brandir des AK-47 et danser sur le pont du navire détourné, le Galaxy Leader. Dans d'autres clips, on les voit fumer la chicha et distribuer du khat, un stimulant local, aux otages.
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« Si vous êtes un militant houthi en ce moment, vous avez la tête dans les nuages », commente à MEE Raiman al-Hamdani, analyste et chercheur yéménite au sein de l'ARK Group. « Leurs performances depuis le début de la guerre à Gaza sont une aubaine pour la propagande houthie. »
« Dans tout le Yémen, parmi les groupes islamistes, les Houthis sont considérés comme des héros. Tout ce qu'ils font est extrêmement populaire. Ils ont perturbé des échanges commerciaux d'une valeur de deux milliards de dollars et forcé Israël à dérouter ses navires de la mer Rouge. »
Les Houthis ont frappé les rouages de la projection de grande puissance des États-Unis dans la région : la protection des voies de communication maritimes.
« Si vous ne pouvez pas garantir la liberté de mouvement dans les mers, votre crédibilité de superpuissance en prend un coup », juge Michael Knights.
Le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a suggéré que l'objectif immédiat de Washington était maintenant de se défendre contre de futures attaques, plutôt que de frapper les positions houthies au Yémen.
Il a ajouté que les États-Unis étaient en pourparlers avec leurs alliés pour établir une force opérationnelle navale chargée de protéger les navires traversant la mer Rouge. Les États-Unis ont également dépêché Timothy Lenderking, leur envoyé pour le Yémen, dans le Golfe la semaine dernière pour évoquer la sécurité maritime.
Sullivan a lancé un appel à l'aide internationale pour faire face aux attaques, affirmant que les trois navires ciblés par les Houthis n'étaient pas nécessairement tous liés à Israël, mais à une quinzaine de pays.
« C'est un problème pour le monde entier, pour tous les pays qui dépendent du commerce maritime pour soutenir leur économie », a-t-il déclaré. « D'ailleurs, c'est le cas de tous les pays. »
Les analystes qui se sont entretenus avec MEE se sont montrés sceptiques quant au fonctionnement du nouveau groupe de travail. Une force maritime multinationale existe déjà pour assurer le maintien de l'ordre en mer Rouge, à Bab al-Mandeb et dans le golfe d'Aden.
Une autre option pour Washington pourrait être des frappes secrètes, que les États-Unis ont les capacités de mener au Yémen, avance le responsable occidental, sans entrer dans les détails.
« Une énorme tolérance à la douleur »
Lundi dernier, des journalistes au Yémen 𝕏 ont rapporté que quatre frappes de drones avaient été menées contre cinq sites militaires houthis à Sanaa. Les médias saoudiens attribuent l'attaque à Israël.
« Des choses explosent constamment au Yémen », indique Michael Knights à MEE. « On peut imaginer que si les États-Unis et Israël agissaient, ils agiraient secrètement », ajoute-t-il, précisant que les petits bateaux des Houthis, leur flotte limitée d'hélicoptères et leurs installations de stockage de drones seraient les cibles les plus probables.
« Alors que la plupart des supplétifs de l'Iran sont partisans du moindre effort pour aider le Hamas tout en montrant qu'ils sont de son côté, les Houthis font tout ce qu'ils peuvent, en se demandant comment faire leur maximum »- Michael Knights, analyste
On pense généralement que les États-Unis mènent un programme secret de drones au Yémen ciblant les membres d'al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).
En mars, l'organisation a annoncé que deux de ses membres, dont son responsable des médias, avaient été tués par un drone présumé américain dans le centre du Yémen.
Le responsable arabe proche des États-Unis affirme à MEE que des frappes de représailles contre les Houthis ne dissuaderont sans doute pas le groupe.
« En matière de supplétifs de l'Iran, le Hezbollah est comme une voiture de sport et les Houthis sont comme un pick-up. Le Hezbollah a une position confortable et ne veut pas être bombardé, les Houthis s'en fichent.
« Alors que la plupart des supplétifs de l'Iran sont partisans du moindre effort pour aider le Hamas tout en montrant qu'ils sont de son côté, les Houthis font tout ce qu'ils peuvent, en se demandant comment faire leur maximum », explique Michael Knights.
« Ils ont une énorme tolérance à la douleur. »
Traduit de l'anglais ( original) par VECTranslation.
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