29/05/2021 les-crises.fr  20min #190233

Guerres et coups d'État : La fabrique médiatique du consentement

Source :  Fair, Alan MacLeod

Traduit les lecteurs Les-Crises

Comment le langage médiatique encourage la gauche à soutenir les guerres, les coups d'État et les interventions.

Dans un article précédent (FAIR.org, 3/3/21), nous avons exploré quelques exemples d'études de cas de pays sur la façon dont la presse aide à fabriquer un consentement pour un changement de régime et d'autres actions américaines à l'étranger parmi les audiences de gauche, un groupe traditionnellement opposé aux conflits.

Un certain niveau d'adhésion, ou du moins une hésitation à résister, parmi la moitié la plus à gauche des États-Unis est nécessaire pour garantir que les interventions américaines soient menées avec un minimum d'opposition nationale. À cette fin, les entreprises médiatiques invoquent le langage des droits de l'homme et de l'humanitarisme pour convaincre les gens du centre-gauche d'accepter, voire de soutenir les actions américaines à l'étranger, une sorte de traitement du syndrome du Vietnam qui dure depuis 50 ans dans le pays.

Voici quelques-uns des clichés utilisés par les médias de l'establishment pour convaincre les gauchistes sceptiques que, cette fois, les choses pourraient être différentes et qu'une intervention progressiste pourrait être soutenue par tous.

Pensez aux femmes !

La grande majorité du monde était contre l'attaque américaine contre l'Afghanistan qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001. Cependant, l'idée bénéficiait d'un soutien écrasant de l'opinion publique américaine, y compris des Démocrates. En fait, lorsque Gallup (Brookings, 9/1/20) a posé une question sur l'occupation en 2019, le soutien au maintien des troupes sur place était légèrement plus important chez les Démocrates que chez les Républicains - 38 % contre 34 % - et légèrement moins important pour le retrait des troupes (21 % contre 23 %).

La couverture médiatique peut expliquer en parti ce phénomène, en convainquant certains et en fournissant au moins une couverture aux gens au pouvoir. Ce n'était pas une guerre d'agression, ont-ils insisté. Ils n'étaient pas simplement là pour capturer Oussama ben Laden (que les talibans ont en fait proposé de leur remettre) ; il s'agissait d'un combat pour apporter la liberté aux femmes opprimées du pays. Comme l'a dit la première dame Laura Bush :

Nous respectons nos mères, nos sœurs et nos filles. Combattre la brutalité contre les femmes et les enfants n'est pas l'expression d'une culture spécifique ; c'est l'acceptation de notre humanité commune - un engagement partagé par les personnes de bonne volonté sur tous les continents La lutte contre le terrorisme est aussi une lutte pour les droits et la dignité des femmes.

Les guerres ne sont pas menées pour libérer les femmes (FAIR.org, 26/07/17), et bombarder des gens n'est jamais une activité féministe (FAIR.org, 28/06/20). Mais le New York Times a été l'un des principaux responsables de la construction de la croyance en une guerre féministe fantôme. Dans les semaines qui ont suivi l'invasion (2/12/01), il a fait un reportage sur le « retour joyeux » des femmes sur les campus universitaires, en présentant le profil d'une étudiante qui monte les marches d'abord timidement, le corps couvert de coton bleu du visage aux pieds. Lorsqu'elle s'est approchée de la porte, elle a relevé le tissu sur sa tête, révélant des joues rondes, des boucles de cheveux sombres et les yeux bruns d'une étudiante.

L'outrance du symbolisme était difficile à manquer : C'était un pays changé, et tout cela grâce à l'invasion.

Le Time magazine a également lourdement joué sur cet angle. Six semaines après l'invasion (26/11/01), il a déclaré à ses lecteurs que « le plus grand spectacle de libération de masse depuis la lutte pour le suffrage » était en train de se produire, alors que « des visages féminins, timides et rayonnants, émergeaient des caves sombres », enlevant leurs voiles et les piétinant symboliquement. Si le message n'était pas assez clair, l'article disait directement aux lecteurs que « le spectacle de la jubilation était un cadeau de Noël, un rappel des raisons pour lesquelles la guerre valait la peine d'être menée, au-delà de la simple autodéfense. »

« A quel point leur vie sera-t-elle meilleure maintenant ? » a demandé le Time (3/12/01). Guère mieux, en fin de compte.

Quelques jours plus tard, la couverture du Time (3/12/01) présentait le portrait d'une femme afghane blonde à la peau claire, avec les mots : « Lever le voile : l'histoire choquante de la façon dont les talibans ont brutalisé les femmes d'Afghanistan. » Dans quelle mesure leurs vies seront-elles meilleures maintenant ?

Ce qui était représentatif d'un phénomène beaucoup plus large. Une étude de Carol Stabile et Deepa Kumar publiée dans Media, Culture & Society (01/09/05) a révélé qu'en 1999, 29 articles de journaux américains et 37 reportages télévisés ont été consacrés aux droits des femmes en Afghanistan. Entre 2000 et le 11 septembre 2001, ces chiffres étaient respectivement de 15 et 33. Cependant, au cours des 16 semaines entre le 12 septembre et le 1er janvier 2002, les Américains ont été inondés d'articles sur le sujet, avec 93 articles de journaux et 628 reportages télévisés sur le sujet. Une fois que les véritables objectifs de la guerre ont été atteints, ces chiffres sont tombés en chute libre.

Les messages anti-guerre étaient largement absents de la couverture médiatique. En effet, comme l'a noté le fondateur de FAIR, Jeff Cohen, dans son livre Cable News Confidential, les dirigeants de CNN ont donné pour instruction à leur personnel de contrer constamment toute image de victimes civiles par des messages en faveur de la guerre, même si « cela peut devenir une rengaine. » Ce type de couverture a contribué à pousser 75% des électeurs Démocrates à soutenir la guerre terrestre.

À mesure que la réalité se confirmait, il devenait de plus en plus difficile de prétendre que les droits des femmes en Afghanistan s'amélioraient sérieusement. Les femmes sont toujours confrontées aux mêmes problèmes qu'auparavant. Comme l'a déclaré une femme membre du parlement afghan à Phyllis Bennis de l'Institute for Policy Studies (CounterSpin, 17/02/21), les femmes en Afghanistan ont trois ennemis principaux :

Le premier est le Taliban. Le deuxième est ce groupe de seigneurs de la guerre, déguisé en gouvernement, que les États-Unis soutiennent. Et le troisième, c'est l'occupation américaine Si l'Occident pouvait se débarrasser de l'occupation américaine, il n'y en aurait plus que deux.

Cependant, le Time a réussi à trouver un moyen de tirer sur la corde sensible du public de gauche pour soutenir la poursuite de l'occupation. En présentant l'image choquante d'une jeune femme de 18 ans à qui on a coupé l'oreille et le nez, un article de couverture de 2010 (9/8/10) demandait aux lecteurs de se demander « ce qui se passera si nous quittons l'Afghanistan », ce qui implique clairement que les États-Unis devaient rester pour empêcher d'autres brutalités - malgré le fait que la mutilation de la femme a eu lieu après huit ans d'occupation américaine (Extra !, 10/10).

Vox (4/3/21) a affirmé que l'occupation américaine de l'Afghanistan s'est traduite par « de meilleurs droits pour les femmes et les enfants » sans pour autant fournir de preuves.

En réalité, près de 20 ans d'occupation n'ont fait qu'engendrer une situation où zéro pour cent des Afghans se considèrent comme « prospères », tandis que 85 % « souffrent », selon un sondage Gallup. Seule une fille sur trois va à l'école, et encore moins à l'université.

Et tout cela ne tient pas compte du fait que les États-Unis ont soutenu les groupes islamistes radicaux et leur prise de contrôle du pays en premier lieu, un mouvement qui a considérablement réduit les droits des femmes. Avant l'arrivée des talibans, la moitié des étudiants universitaires étaient des femmes, de même que 40% des médecins, 70% des enseignants et 30% des fonctionnaires du pays, ce qui reflète les réformes du gouvernement soutenu par les Soviétiques, que les États-Unis ont détruits en y consacrant des ressources massives.

Aujourd'hui, dans la moitié des provinces du pays, moins de 20 % des enseignants sont des femmes (et dans beaucoup, moins de 10 %). Seulement 37% des adolescentes savent lire (contre 66% des garçons). Pendant ce temps, être une femme gynécologue est désormais considéré comme « l'un des emplois les plus dangereux au monde » (New Statesman, 24/09/14). Voilà pour le nouvel âge d'or.

Le slogan « pensez aux femmes » est loin d'être propre à l'Afghanistan. En fait, les propagandistes impériaux britanniques du XIXe siècle ont utilisé le sort des femmes hindoues en Inde et des femmes musulmanes en Égypte comme prétexte pour envahir et conquérir ces pays. La longévité de cette tactique témoigne sans doute de son efficacité.

Il attaque son propre peuple !

L'une des nombreuses justifications utilisées pour obtenir le consentement du public à la désastreuse guerre en Irak était que Saddam Hussein était un monstre qui représentait un danger pour son propre pays. « Il ne fait aucun doute que le dirigeant de l'Irak est un homme mauvais. Après tout, il a gazé son propre peuple. Et nous savons qu'il travaille sur des armes de destruction massive », déclarait fréquemment le président George W. Bush, les médias reprenant ses propos à la lettre.

Au cours de la période précédant la guerre en Irak, le New York Times s'est soudainement montré extrêmement préoccupé par les crimes de Hussein contre les civils. Le correspondant étranger John F. Burns (26/01/03), par exemple, l'a comparé à Staline et l'a dénoncé pour avoir plongé l'Irak dans un « bain de sang aux proportions médiévales ». La pierre angulaire de l'argument de Burns en faveur d'un changement de régime était, ironiquement, le traitement des prisonniers à la prison d'Abu Ghraib. Comment cela s'est-il passé ?

La preuve offerte par McClatchy (21/02/11) que Kadhafi avait été accusé de « génocide » était une seule interview sur Al Jazeera.

Au moment où l'OTAN décidait d'intervenir en Libye pour renverser Moammar Kadhafi, les principaux médias étaient remplis de dénonciations passionnées de son régime, la plupart affirmant aux lecteurs qu'il avait attaqué « son propre peuple » (par exemple, McClatchy, 21/02/11 ; Washington Post, 11/03/11 ; New York Times, 15/03/11).

Le Washington Post (1/4/11), qui approuve l'intervention, rapporte : « un massacre de civils, assimilable à des crimes contre l'humanité » se serait probablement produit sans l'intervention de l'OTAN. Il comparait le massacre supposé imminent à l'Holocauste, laissant entendre que les actions des États-Unis « faisaient suite à une réflexion de la communauté internationale sur les échecs de la prévention du génocide dans les années 1990 ». Le chroniqueur du New York Times Ross Douthat (21/03/11) a également fait l'éloge de l'attaque comme étant « le bel idéal d'une intervention internationaliste libérale », affirmant que son « objectif humanitaire » était évident pour tous.

L'expression « Il tue son propre peuple » (ou le « gaze ») est devenue courante dans les comptes rendus médiatiques des méfaits de l'ennemi, car elle alimente directement la nouvelle doctrine de la responsabilité de protéger, un cadre juridique qui autorise l'intervention militaire dans d'autres pays sous des auspices humanitaires. Dans la pratique, cependant, elle était généralement invoquée pour renverser des États adverses. Les données de Google Trends montrent que les droits de l'homme en Libye n'ont suscité qu'un intérêt mineur jusqu'au début de 2011, avant de connaître un pic important en mars (date de l'intervention de l'OTAN), puis sont retombés rapidement à des niveaux négligeables et y sont restés depuis. Une majorité d'électeurs Démocrates ont soutenu l'intervention, presque à égalité avec les Républicains.

Le fait que le discours sur les droits de l'homme en Libye se soit réduit à rien suggère que soit la situation s'est radicalement améliorée là-bas, soit qu'il y avait des arrière-pensées pour tout ce discours sur les droits de l'homme en premier lieu. Ce n'est manifestement pas le cas (FAIR.org, 28/11/17). Le fait que les médias se soient désintéressés de la situation des droits de l'homme juste après une intervention militaire réussie suggère fortement que leur nouvelle passion n'était pas authentique, et qu'elle était un outil pour vendre la guerre depuis le début.

Comme pour la Libye, le pic des discussions sur les droits de l'homme en Syrie a coïncidé avec le bombardement américain du pays en avril 2017. Il est resté élevé pendant toute la période initiale de la guerre civile, bien qu'il se soit essoufflé ces dernières années, alors que la victoire du gouvernement de Bachar el-Assad devient de plus en plus certaine. Pour les médias grand public, Assad est un dictateur qui « gaze son propre peuple » (par exemple, Vox, 4/4/17 ; Bloomberg, 4/12/18 ; New York Times, 25/6/18 ; Economist, 18/6/20) et, par conséquent, il faut faire quelque chose, ce qui implique probablement des avions militaires. (Dans un sondage réalisé en 2019, les Démocrates sont beaucoup plus nombreux que les Républicains à s'opposer au retrait des troupes américaines de Syrie : 66 % contre 23 % - Brookings, 9/1/20).

Un argument interventionniste libéral de premier ordre peut être trouvé dans le Huffington Post (26/08/13), où l'avocat Josh Scheinert a fait valoir que « les civils syriens ont payé le prix le plus élevé » pour l'hésitation d'Obama, et a exigé que « cela doit changer. » Scheinert a écrit qu'il voulait « croire qu'en tant que communauté mondiale, lorsqu'il s'agissait des pires atrocités, et pas seulement des vraiment mauvaises, nous aurions pu tourner la page sur notre sombre histoire d'échecs. » Par échecs, il n'entend pas la participation active ou le leadership des États-Unis dans les coups d'État, les guerres et les génocides en Amérique latine et en Asie du Sud-Est (pour n'en citer que quelques-uns), mais les moments où l'armée américaine n'est pas intervenue.

Natalie Nougayrède du Guardian (1/3/19) a présenté l'arrestation de Bachar el-Assad comme une affaire de procédure juridique plutôt qu'une invasion militaire.

La chroniqueuse du Guardian Natalie Nougayrède (1/03/19) a avancé un argument similaire, affirmant que « Assad peut encore être amené devant la justice - et que le rôle de l'Europe est crucial. Les violations massives des droits de l'homme ne doivent pas rester impunies, a-t-elle soutenu, affirmant que son arrestation aurait un effet dissuasif sur la poursuite du massacre. » Bien sûr, la seule façon réaliste d'arrêter Assad, comme elle l'a sûrement compris, serait d'envoyer une force d'invasion dans le pays pour renverser le gouvernement et l'enlever. Ainsi, elle a réussi à faire passer ce qui était un assaut militaire total à l'échelle de l'Irak pour une réponse juridique restreinte visant à prévenir les violations des droits de l'homme.

Parfois, les atrocités sont tout simplement inventées de toutes pièces, comme les escouades de viols de Kadhafi approvisionnées en Viagra, les soldats de Saddam tuant des bébés dans des incubateurs, ou le canular de la « fille gay à Damas ». Le président Lyndon Johnson a utilisé l'imaginaire « agression ouverte en haute mer » connue sous le nom d'incident du golfe du Tonkin pour convaincre le Congrès d'autoriser la guerre du Vietnam (FAIR.org, 5/8/17).

Si l'on remonte plus loin dans le temps, des incidents tels que l'explosion de l'USS Maine - qui a donné l'impulsion à l'intervention américaine dans la guerre d'indépendance cubaine - et la propagande britannique de la Première Guerre mondiale sur les Allemands qui transperçaient les bébés à la baïonnette, crucifiaient les prisonniers et coupaient la tête des enfants, ont contribué à fouetter un public pacifiste et sceptique pour le plonger dans une ferveur sanguinaire.

Nous devons sauver la démocratie !

Ce slogan a été largement utilisé contre le Venezuela, comme l'illustre le Washington Post. Le comité éditorial du journal a publié éditorial après éditorial exigeant un coup d'État (ou plus) afin de soi-disant sauver la démocratie.

Plutôt que de « rester les bras croisés alors que le Venezuela s'oriente vers une guerre civile », le Washington Post (30/06/17) semble vouloir que les États-Unis interviennent activement pour rendre la guerre civile plus probable.

Le Post (30/06/17) a fortement soutenu une vague de violence de l'opposition en 2017 qui a tué au moins 163 personnes, y compris un incident où un leader de l'opposition a volé un hélicoptère militaire et l'a utilisé pour bombarder la Cour suprême et le ministère de l'Intérieur. Le Post a fortement (et faussement) laissé entendre qu'il s'agissait d'un coup monté de l'intérieur par le « régime » Maduro, qui avait recours à une répression de plus en plus « exagérée et brutale » de manifestations qui ont le « soutien de la grande majorité des Vénézuéliens. »

En fait, cette « vaste majorité » s'est avérée représenter moins de 3 % du pays, comme l'a montré un sondage réalisé cette semaine-là par un cabinet lié à l'opposition. Quatre-vingt-cinq pour cent des personnes interrogées étaient opposées aux tactiques du mouvement, et 56 % à toute forme d'action de l'opposition, même si elle était entièrement pacifique. Ce sondage s'inscrit dans une longue tendance des médias à invisibiliser la majorité des Vénézuéliens, seuls ceux qui approuvent les ambitions de Washington étant dignes d'être qualifiés de « peuple vénézuélien » (FAIR.org, 31/01/19).

Le même éditorial a fait un certain nombre de prédictions incendiaires selon lesquelles si les États-Unis n'agissaient pas, Maduro « éliminerait l'Assemblée nationale contrôlée par l'opposition et transformerait le Venezuela en un régime calqué sur celui de Cuba ». Rien de tout cela ne s'est avéré vrai. Le Post semblait déconcerté par le manque d'appétit des voisins du Venezuela pour un coup d'État américain, expliquant cela en disant aux lecteurs qu'ils avaient été « soudoyés par Caracas avec du pétrole à prix réduit ».

Un mois plus tard, le comité de rédaction du Post (27/07/17) nous informait encore que la violente tentative de coup d'État soutenue par les États-Unis était en fait une manifestation pacifique soutenue par la « grande majorité de son propre peuple, et que le régime sans foi ni loi du Venezuela » était celui-là même qui menait un coup d'État contre la démocratie. Le message était qu'il fallait agir maintenant, car Maduro était sur le point « d'abolir l'Assemblée nationale et d'annuler les futures élections, » ce qui une fois encore, ne s'est pas produit.

« La réponse des États-Unis et des autres démocraties [au Venezuela] a toujours été inadéquate », déplore le conseil. Étant donné que les États-Unis font tout ce qu'ils peuvent pour éviter une intervention militaire active dans le pays, les implications de ce qui devrait être fait sont claires.

Au cas où cela ne serait pas assez évident, cependant, le Post (15/11/17) a également publié une chronique intitulée « Les chances d'un coup militaire au Venezuela augmentent. Mais les coups d'État peuvent parfois mener à la démocratie. » L'article affirmait que Maduro avait « réprimé les dissidents par la force et fait peu de cas des institutions démocratiques du pays ». L'armée, note l'article, « joue un rôle clé pour déterminer si un pays va évoluer vers une véritable démocratie ».

« Ortega a dirigé le Nicaragua pendant 11 ans après la révolution de 1979, jusqu'à son éviction lors de la première élection véritablement démocratique du pays », a écrit le Washington Post (12/08/16) - ignorant les élections de 1984, car pour le Post, les élections ne sont démocratiques que si le candidat favorisé par les États-Unis gagne.

Le Washington Post (12/08/16) a également prétendu qu'une action contre le Nicaragua était nécessaire pour sauver la démocratie. Le président de gauche Daniel Ortega, a déclaré le conseil aux lecteurs, a fait preuve d'un « mépris étonnant des normes démocratiques, notamment en supervisant une abrogation bidon de la limite des mandats constitutionnels, la fraude électorale, l'intimidation de l'opposition et le contrôle des principaux médias. » Comment les États-Unis, qui, selon le Post, « ont dépensé tant d'argent et de capital politique pour promouvoir la démocratie au Nicaragua dans les années 1980, peuvent-ils rester assis et n'offrir qu'une légère opposition verbale ? »

Le niveau de mépris affiché ici pour la vérité historique de base est stupéfiant. En réalité, le gouvernement américain des années 1980 a formé, armé et financé des escadrons de la mort d'extrême droite qui ont fait des ravages au Nicaragua et dans le reste de la région, tuant des centaines de milliers de personnes dans des génocides dont la région ne se remettra jamais. Outre le fait que ses responsables ont été reconnus coupables par les tribunaux américains, l'administration Reagan a été jugée et condamnée par la Cour internationale de justice pour 15 chefs d'accusation liés à l'usage illégal de la force. Ce sont ces actions, vraisemblablement, que le Post a décrites aux lecteurs comme étant la « promotion de la démocratie », utilisant ainsi un passé mythique pour convaincre des audiences de gauche que la « promotion de la démocratie » est nécessaire aujourd'hui.

Les États-Unis soutiennent depuis des années un mouvement de protestation national visant à renverser Ortega. Cependant, ce mouvement n'est pas allé très loin, principalement en raison du large soutien de l'opinion publique et de l'impopularité de l'opposition.

Les médias ont critiqué les États-Unis, mais en général uniquement parce qu'ils ne faisaient pas assez pour assurer un changement de gouvernement. « Ce que l'Amérique doit faire pour aider le Nicaragua à restaurer la démocratie », titrait le Hill (30/01/20). L'article conseillait aux États-Unis de « diversifier leur stratégie et d'accroître les sanctions à l'encontre des initiés du régime complices des violations des droits de l'homme. Deux ans après le début du soulèvement de masse au Nicaragua, pourquoi Daniel Ortega est-il toujours au pouvoir ? », grommelait un titre du Washington Post (5/01/20), déçu que la démocratie™ n'ait pas encore été restaurée.

Malheureusement, même une grande partie des médias de gauche américains se sont alignés sur la presse pour condamner les administrations progressistes d'Amérique latine, favorisant ainsi les tentatives de changement de régime soutenues par les États-Unis (FAIR.org, 12/10/19, 22/01/20).

Qui est habilité à parler des droits de l'homme ?

La recherche de sources est un élément clé du journalisme ; le choix des sources détermine le ton et l'argumentation de tout ce que produit un organisme d'information (Extra !, 2/01/06). Cependant, il existe une myriade de personnes ou d'organisations susceptibles de convenir, et les journalistes eux-mêmes sont largement maîtres de leur choix. Les médias peuvent donc décider efficacement quels arguments sont entendus et lesquels ne le sont pas, simplement en s'adressant aux personnes qui reflètent les opinions qu'ils souhaitent promouvoir.

Au début de l'invasion de l'Irak, les médias étaient saturés de voix pro-guerre, tandis que la dissidence était largement étouffée. Une étude de FAIR (1/05/03) sur les informations télévisées au début de l'année 2003 a révélé que 64% de toutes les sources étaient favorables à une attaque, tandis que seulement une sur dix exprimait une opposition à cette idée. En conséquence, les téléspectateurs ont été bombardés par des voix plaidant pour une intervention.

Si l'on se tourne vers la période récente, une recherche sur les groupes de réflexion pro-paix tels que l'Institute for Policy Studies et le Center for Economic and Policy Research donne 86 et 53 résultats, respectivement, dans le New York Times au cours des cinq dernières années, en remontant jusqu'au début de 2016. Les organisations faucons sont référencées beaucoup plus fréquemment ; le Center for American Progress, dont la directrice exécutive Neera Tanden a appelé les « pays riches en pétrole » à payer les États-Unis pour le privilège d'être bombardés (FAIR.org, 3/03/21), figure dans 432 articles du Times depuis 2016, tandis que le groupe de réflexion conservateur Heritage Foundation apparaît dans 529 articles sur la même période, ce qui suggère que ce que nous avons vu pendant l'invasion de l'Irak est la règle plutôt que l'exception.

Si des chroniqueurs américains bien payés commencent à se préoccuper des droits de l'homme dans votre pays, c'est signe que vous êtes sur le point d'être bombardé. Il est également remarquable de constater la rapidité avec laquelle ces mêmes experts perdent leur vif intérêt pour les droits de l'homme dans un pays après une intervention américaine. Par conséquent, la prochaine fois que vous entendrez parler sans cesse de la liberté, des droits de l'homme et de la démocratie dans un autre pays, méfiez-vous des arrière-pensées ; ces animaux médiatiques au sang froid pourraient bien verser des larmes de crocodile au service de l'empire.

Alan MacLeod @AlanRMacLeod est membre du groupe média de l'université de Glasgow. Son dernier livre, Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent, a été publié par Routledge en mai 2019.

Source :  Fair, Alan MacLeod, 09-04-2021

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