
Par Ahmad Ibsais, le 1er décembre 2025
Les mots de Rama Hussain, écrivain toujours à Gaza, survivante du génocide.
Fadi Al-Za'im, un jeune homme de 29 ans originaire de Gaza, titulaire d'un doctorat en droit international, nourrissait un rêve immense : défendre la justice dans les tribunaux, et offrir à ses trois jeunes enfants un avenir sûr et digne.
Avant la guerre, sa vie était rythmée par ses aspirations et projets. Chaque matin, il enfilait son costume noir et partait au tribunal où il exerçait le droit pénal. Chez lui, dans le quartier de Tel Al-Hawa, les rires de ses trois enfants emplissaient la maison. L'aîné avait quatre ans, le plus jeune moins d'un an. La vie était simple, mais pleine d'espoir.
Puis vint le 7 octobre, et tout a changé.
Sa maison a été détruite. Sa profession et sa passion pour la justice ont brusquement perdu tout sens dans une ville ravagée par la guerre. Comme des centaines de milliers d'autres, Fadi est devenu un réfugié, contraint, avec sa famille, de s'abriter dans logement de fortune à Al-Nuseirat. Dans cet asile, la survie a été sa priorité, plus la justice.
Les déplacés conservaient précieusement des billets de banque usés dans les tentes bricolées. Après deux ans de blocus, ces billets avaient si souvent changé de main qu'ils étaient abîmés, décolorés et partiellement déchirés. Les remplacer relevait de l'impossible, car les taxes s'étaient envolées à plus de 50 %, un montant que la plupart des familles étaient incapables de payer.
Fadi, qui avait travaillé dans un bureau de change, a imaginé une solution ingénieuse pour les aider. Avec quelques outils simples et un peu de dextérité, il a commencé à réparer ces billets fragiles en recousant les bords déchirés et en les assemblant de nouveau, leur accordant un second souffle. La nouvelle s'est vite répandue et bientôt, on venait non seulement pour récupérer son argent, mais aussi pour échapper au poids accablant de la pénurie.
C'était bien plus qu'un simple échange. C'était un acte de résistance silencieuse.
L'homme qui avait autrefois rédigé une thèse sur la justice internationale rendait désormais justice autrement, allégeant la peine d'un père incapable d'acheter du lait ou d'une mère inquiète en quête de médicaments pour son bébé.
Pour Fadi, chaque billet réparé symbolisait Gaza : éprouvée, meurtrie, mais refusant de se laisser abattre. Une ville qui, à l'image de ses habitants, lutte pour survivre en se rafistolant, encore et encore, avec le peu d'espoir qui lui reste.
Fadi Al-Za'im est bien plus qu'un simple avocat ou rapiéceur de billets. Il illustre l'histoire de Gaza, dont les rêves implosent sous les décombres, mais renaissent grâce aux gestes les plus simples, aux moyens les plus rudimentaires, et à la force inébranlable de ceux qui jamais ne renonceront.
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Abu Mahmoud, un ancien prisonnier de 45 ans de Beit Hanoun dans la bande de Gaza, était autrefois coiffeur et père de cinq enfants. Après des années d'emprisonnement aux mains de l'armée israélienne, il croyait avoir affronté le pire, jusqu'à ce que la guerre lui enlève tout le reste. Son fils aîné, âgé de 16 ans, a été tué en allant chercher de l'eau lors de leur neuvième déplacement. La famille a passé des jours à chercher son corps dans des morgues improvisées pleines de congélateurs pour la glace et le fromage.
Mais l'histoire d'Abu Mahmoud ne s'est pas arrêtée là. Le 28 décembre 2024, alors qu'il tentait de fuir vers le sud, il a été arrêté à un checkpoint israélien dans un contexte extrême. Il raconte les arrestations arbitraires, les humiliations publiques et la torture, comme les décharges électriques, la nudité forcée et la détention dans un froid glacial. Il a ensuite été transféré dans un centre de détention connu sous le nom de Cidyteman, où les détenus sont soumis à la "torture disco", ligotés, les yeux bandés, pendant sept jours à l'isolement, et exposés non-stop à de la musique à plein volume.
Abu Mahmoud a survécu, mais son histoire illustre la terrible réalité des déplacements incessants, de la détention et du harcèlement psychologique à Gaza. Un récit non seulement de perte, mais aussi de résilience indomptable face à la déshumanisation systématique.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Ce texte a été écrit par Rama Hussain à Gaza. Elle n'a pas de substack, mais vous pouvez la trouver et la suivre sur Instagram sur @rama_hussain95 ! J'espère que vous aurez pris un moment pour apprécier les mots de Rama, son engagement et sa force à continuer de documenter le génocide de Gaza alors qu'elle le vit au quotidien.