«C'est le cœur lourd que j'annonce que le gouvernement va abroger les trois nouvelles lois agricoles. Nous allons entamer le processus constitutionnel d'abrogation de ces trois lois lors de la session parlementaire qui débute à la fin du mois», a déclaré le Premier ministre indien Narendra Modi, cité par le Times of India, dans un discours à la nation prononcé ce 19 novembre.
«J'appelle tous les agriculteurs participant aux manifestations à rentrer chez eux, à retrouver leurs proches, leur ferme et leur famille, en ce jour propice de Guru Purab», a jouté le Premier ministre, en référence à la fête religieuse célébrant la naissance de Guru Nanak, fondateur du sikhisme. De nombreux agriculteurs protestataires appartiennent à cette religion, minoritaire dans le pays, mais très présente dans le nord de l'Inde et près de la capitale.
Dans les campements d'agriculteurs à la frontière de Delhi, la méfiance reste de mise, même si l'on se réjouit à l'idée de rentrer bientôt chez soi. «Nous ne lui faisons pas confiance. Tant qu'il ne l'aura pas transposé par écrit, nous ne partirons pas», a déclaré à l'AFP Mohan Singh, un fermier du Pendjab de 52 ans, qui campe là depuis le mois de mai. «S'il tient parole, nous serons heureux», a-t-il ajouté.
Les réformes agricoles ont été votées en septembre 2020 pour autoriser les agriculteurs à vendre leur production aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les marchés contrôlés par l'Etat qui leur assurent un «prix de soutien minimal» (PSM) pour certaines denrées.
Craintes pour les revenus des agriculteurs
Nombre de petits exploitants agricoles s'y opposent depuis novembre 2020 dans le cadre de manifestations de masse, s'estimant menacés par cette libéralisation qui, selon eux, risque de les obliger à brader leur production aux grandes entreprises pour les écouler.
Depuis, les agriculteurs campent sur les routes aux portes de New Delhi, où un réseau de solidarité s'est mis en place. Chaque jour, des tracteurs leur livrent des carrioles de bois et de vivres. Ce mouvement agricole constitue l'un des plus grands défis auxquels Narendra Modi a dû faire face depuis son arrivée au pouvoir de en 2014.
Les manifestations ont pris un tour particulièrement violent en janvier, au cours d'un rassemblement d'agriculteurs venus avec leurs tracteurs à New Delhi, le jour de la fête nationale célébrant la République indienne. La contestation a alors dégénéré en affrontements avec les forces de l'ordre, durant lesquels un agriculteur a perdu la vie et des centaines de policiers ont été blessés.
Le mois dernier, dans l'Etat d'Uttar Pradesh, huit personnes, dont quatre agriculteurs, sont mortes dans des heurts survenus au cours d'une visite du ministre des Affaires intérieures, Ajay Mishra. Ces derniers mois, les sites de la contestation paysanne se sont clairsemés, mais un contingent de militants déterminés est resté sur place, et des manifestations importantes étaient attendues ce mois-ci pour marquer le premier anniversaire de leur bras de fer avec le gouvernement.
Un secteur qui emploie 70% de la population
Le poids du secteur agricole est considérable en Inde, où il assure la subsistance de près de 70% des 1,3 milliard d'habitants, et contribue à environ 15% du PIB. Le revirement de Naredra Modi survient avant d'importantes élections dans plusieurs Etats, notamment au Pendjab - d'où proviennent de nombreux agriculteurs - et l'Uttar Pradesh, le plus peuplé de l'Inde avec 220 millions d'habitants.
Selon Hartosh Singh Bal, rédacteur politique du magazine Caravan, cité par l'AFP, les réformes n'avaient de toute façon aucun avenir. «Les lois agricoles étaient mortes nées et c'était encore une question d'ego de la part de Modi de s'opposer à ce que le gouvernement les abroge», estime l'expert.
En revanche, pour Gautam Chikermane, vice-président du groupe de réflexion Observer Research Foundation, basé à New Delhi, et cité par l'AFP «c'est la pire décision de Modi [et] un jour noir dans l'histoire des réformes économiques de l'Inde». Pour ce chercheur, le recul du gouvernement laisse le secteur agricole indien «condamné à son sort pour les 25 prochaines années.»
Lire aussi En Inde, Pepsico s'inquiète de l'affaire des producteurs pirates de la patate à chips FC5