15/12/2024 investigaction.net  5min #263566

Iramis Rosique: «Dépendre des combustibles fossiles est insoutenable pour Cuba»

Jessica Dos Santos

La Habana, Cuba, 4 de diciembre 2024 / AFP

Iramis Rosique Cardenas, biochimiste, professeur d'université, chercheur de l'Institut de Philosophie de Cuba et membre du comité de rédaction de la revue numérique La Tizza, nous explique le contexte de la crise énergétique qui a placé Cuba au centre de l'actualité médiatique. 

Qu'en est-il réellement du système électrique cubain ? Quels sont les problèmes de fond?

Nous traversons actuellement une crise énergétique due à deux facteurs qui la distinguent des autres périodes de crise énergétique. Le premier facteur concerne la pénurie de carburant. Cette difficulté découle du fait que Cuba n'est pas un grand producteur de pétrole et doit s'approvisionner sur le marché international qui présente les caractéristiques que l'on sait. En outre, Cuba connaît également une crise financière, conséquence de tous les évènements naturels et sanitaires qui ont nui à son économie, et derrière tout cela on trouve la panoplie des sanctions économiques étatsuniennes qui visent à anéantir la capacité de Cuba d'accéder au marché international ce qui se répercute sur l'approvisionnement en carburant.

A cela s'ajoute la propre situation du Venezuela; celle-ci a fait que les engagements que le Venezuela avait pris envers Cuba en matière de fourniture de carburant n'ont pu être tenus. En fait, en 2024, les seuls pays à avoir livré du pétrole à Cuba sont le Mexique et La Russie. L'autre facteur concerne l'entretien des centrales thermoélectriques, ce qui est relativement nouveau.

En effet, les crises énergétiques de 2002 et des années 90, n'avaient rien à voir avec le mauvais état des centrales thermoélectriques, mais avec la difficulté pour se procurer du carburant. Or, aujourd'hui, non seulement il n'y a pas de combustible, mais en plus les centrales fonctionnent très en deçà de leur capacité car un certain nombre de leurs turbines sont en panne.

De plus, le réseau de distribution créé pendant la révolution énergétique par Fidel Castro est en très mauvais état. Les pièces défectueuses n'ont pas pu être remplacées et, qui plus est, ce réseau, en partie, a dû être réorienté pour fournir l'énergie nécessaire à de nouveaux espaces vitaux tels que les hôpitaux, les unités de production, etc. et cela s'est fait au détriment des secteurs résidentiels contrairement à ce qui était initialement prévu.

Y a-t-il une solution ? Et si oui, que faut-il faire ?

Il existe de nombreuses solutions à ce problème, mais elles impliquent toutes un financement, une possibilité d'accès aux devises qui permettrait la réparation des centrales thermoélectriques, d'accéder au combustible ou bien le changement de matrice énergétique ce qui était l'un des paris de la révolution énergétique, et il faut bien l'avouer : dans les années 2010, Cuba n'a pas travaillé de manière intensive pour mettre en place une transition énergétique. À présent, nous nous précipitons pour installer 2 000 mégawatts de panneaux solaires, au pire moment de notre économie, ce qui aurait pu être fait en 2015, 2016 ou 2018 mais ce n'était pas alors considéré comme une priorité. Voilà les solutions, le changement de matrice énergétique et la relance de l'économie qui permettrait de respecter les cycles de maintenance des générateurs thermoélectriques.

Est-ce que les investissements dans des secteurs privés ont également contribué à la détérioration du système ?

Je ne dirais pas exactement qu'il s'agit de l'investissement dans des secteurs privés. Il y a un problème de non-investissement dans la maintenance, qui relève de l'Etat; c'est un problème de liquidité, mais en 2016 ce n'était pas exactement le problème, c'est que cela n'était pas une priorité. Qu'en est-il du secteur privé dans cette affaire ? Le fait est que Cuba continue d'avoir la même matrice de production d'énergie que dans les années 90, mais notre société n'avait pas alors le même degré d'électrification qu'aujourd'hui, il n'y avait pas le même nombre d'équipements à haute consommation électrique et il n'y avait pas non plus de secteur privé qui réalise, par exemple, des activités industrielles et des activités très consommatrices d'énergie.

Ainsi, la matrice de production d'énergie à Cuba est restée la même depuis 30 ans, mais la consommation d'électricité a été multipliée, notamment dans le secteur résidentiel. Même dans le secteur public, il y a eu des investissements : il y a plus d'hôtels, d'autres industries, et tout cela a changé la matrice de consommation, et cela s'est fait sans modifier la matrice de production, sans construire de nouvelles centrales, sans installer davantage de panneaux solaires, sans construire ces centrales hydroélectriques un temps envisagées sur les fleuves à haut débit des provinces de l'Est du pays, sans construire plus d'éoliennes. Tout cela fait partie du problème et cela inclut, bien sûr, le secteur privé.

Compte tenu de la situation, quels sont les scénarios possibles et à venir pour le pays ?

Eh bien, le scénario le plus prometteur, qui est, certes, peu prometteur, mais qui reste néanmoins prometteur, c'est cette solution de panneaux solaires, grâce à un crédit contracté auprès du Vietnam. Ce projet vise à installer 2 000 mégawatts d'énergie photovoltaïque, et, sans aucun doute, cela atténuera sans doute une grande partie de la dépendance à l'égard du Réseau Énergétique National. Je pense que c'est un premier pas pour l'immédiat. Une information circule aussi selon laquelle la Russie a accordé des crédits pour la réparation des centrales thermoélectriques. Voilà donc le scénario à court terme.

Mais, j'ignore si ce sera la politique stratégique mise en œuvre par ce gouvernement, ou par celui qui lui succédera, ou dans la prochaine décennie; à mon avis, la solution, c'est la transition énergétique vers les énergies renouvelables, puisqu'il semble évident que personne ne va nous faire cadeau d'une centrale nucléaire. Ce qui est certain, c'est que notre dépendance aux combustibles fossiles est une saignée pour nous ; c'est une politique intenable pour Cuba.

Traduit par Manuel Colinas Balbona.

Relecture par Sylvie Carrasco.

Source: Investig'Action

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