Entretien tripartite Seyed Mohammad Marandi/Diesen/Mercouris
par Mendelssohn Moses
Au moment où nous rédigeons ces lignes concernant l'entretien du 17 décembre 2023 1 avec le savant iranien Seyed Mohammad Marandi, est survenu lors de la commémoration du général Qassem Soleimani à Karmen, un attentat où au moins 100 personnes ont trouvé la mort.
Il se fait que Mendelssohn allait introduire cette note par un incident survenu en 2024 en cette zone d'occupation US autrefois appelée «France». Dans la pharmacie d'une petite ville du Nord, Mendelssohn patiente en écoutant malgré lui le bruitage «rock» et «cool» habituel ; cette fois, les paroles hurlées en américain attirent son attention - il est question de nécrophilie. Mendelssohn s'avance pour suggérer au pharmacien de couper la chanson, car «sans doute ne savez-vous pas ce qu'ils racontent». «Oh que oui que je sais, répondit le pharmacien. «Cool ! C'est un groupe nécrophile, le Lieeving Ded...»
Sur un tout autre registre, celui des pays qui ont la rage de vivre, le 17 décembre 2023, le professeur Seyed Mohammad Marandi était l'invité d'un entretien à trois avec Alexander Mercouris et le professeur Glenn Diesen.
Angliciste, spécialiste des questions internationales, faisant la navette entre la Chine et la Russie plusieurs fois par an, Marandi est également conseiller à la délégation iranienne en matière nucléaire à Vienne.
Afin de faciliter la tâche des non-anglophones, nous résumons ici quelques-uns des éléments notables d'un entretien dont la lucidité l'en dispute à l'objectivité et à l'optimisme.
La Route de la Soie - Ceinture et Route
Depuis longtemps, une décennie au moins et le livre blanc académique «China's Westward March» vers l'Asie occidentale, le projet existe sous forme d'esquisse, dont la réalisation s'accélère désormais à cause de la SMO en Ukraine.
Avant la SMO, l'Iran n'avait pas réussi à convaincre la Russie et la Chine de rompre avec le système financier dominé par les USA ; ces pays se sont montrés excessivement prudents, jusqu'à ce que la SMO n'arrache le masque de la tromperie occidentale.
Par ailleurs, cela coïncidait avec l'arrivée du président Raïssi, moins orienté vers l'Occident que ne l'était son prédécesseur Rohani.
Changement en Russie et en Chine
Avec l'avalanche de sanctions contre la Russie, celle-ci a d'une part cherché conseil auprès de l'Iran, habitué des sanctions, tandis que d'autre part, les routes commerciales Nord-Sud, et du Golfe Persique ont soudain revêtu une importance accrue.
Un processus d'intégration sur le plan économique, mais également militaire et politique est lancé.
La Chine s'est rendu compte que l'excès de prudence devenait imprudence, et qu'elle était la prochaine sur la Liste noire après la Russie et l'Iran. L'assaut contre Gaza n'a fait que rendre plus aiguë cette conscience en Chine.
Les Chinois avec lesquels le Prof. Marandi s'est entretenu en trois villes chinoises depuis le 7 octobre, ont pour la plupart radicalement changé leur opinion d'Israël, auparavant plutôt «positive».
Si au moment de l'URSS, l'Iran pouvait estimer sa frontière septentrionale (Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan...) menacée, ce n'est plus le cas depuis des décennies. Mais, en 1989, la Russie s'était orientée vers l'Occident. Que les choses ont changé depuis !
L'Iran, une puissance
L'influence de l'Iran se fait sentir tant au Yémen qu'au Liban, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, dans le Golf Persique.
L'Iran y a des alliés ; ce ne sont PAS des «proxies» susceptibles d'être coulés un à un par les USA. L'Iran ne dicte pas à ses alliés ce qu'ils doivent ou ne doivent pas faire. Ainsi, les sanctions contre l'Iran n'auront aucun effet sur ses alliés. Il y a un lien, «a bond».
Dans le contexte de l'intégration de l'Asie, l'Iran a pour ainsi dire «bénéficié» de l'opprobre jeté sur la politique US ; il n'est plus isolé et depuis leur rencontre à Beijing, discute même avec l'Arabie saoudite.
Guerre médiatique anglo-US contre l'Iran
Depuis des décennies, les USA et l'Angleterre en particulier, mais aussi la France et l'Allemagne, déploient des milliers de locuteurs de Farsi pour déverser à travers la télévision, la radio, des chaînes Télégram etc., des émissions uniformément hostiles à l'Iran. Voice of America, BBC, Iran International la liste est longue ; une cyber-armée au nombre de plusieurs milliers de personnes est d'ailleurs basée en Albanie.
Cette propagande, haineuse, s'est avérée fort efficace dans les milieux aisés néo-libéraux iraniens, y compris auprès des étudiants et collègues du Prof. Marandi. Du moins, elle l'était jusqu'aux massacre en cours à Gaza.
Actuellement, les USA semblent vouloir désinvestir l'effort vis à vis de l'Iran pour se focaliser sur la Chine.
Tous les accords économiques irano-russes sont accueillis par un barrage de propagande négative de la part des mass-média anglo-US.
Il est regrettable que la Russie n'ait aucune chaîne en Farsi, et l'Iran aucune chaîne en russe.
Par ailleurs l'Iran est confronté à des opérations terroristes de la part de groupes Kurdes, et d'autres groupes opérant notamment dans le No-Man's Land longeant la frontière irano-pakistanienne.
Imprudence de la marine américaine
Les USA semblent n'avoir pas réalisé que 1970 c'était il y a un demi-siècle ; leurs bâtiments de surface sont exposés aux missiles de croisière iraniens. Si les USA avaient l'intention de frapper l'Iran, ils retireraient leurs bâtiments vers la mer Rouge.
La Guerre en Syrie, la Russie et le général Soleimani
Le rapprochement avec la Russie s'est intensifié à partir de la coopération militaire irano-russe contre l'État islamique en Syrie, où l'aviation russe a sauvé des milliers de vies iraniennes qui autrement, auraient été sacrifiées en des opérations terrestres. Le rôle de Soleimani y fut capital.
L'Asie centrale dans la politique iranienne
Pour le président Raïssi, l'Asie centrale - Ouzbékistan, Afghanistan, Tadjikistan... est une priorité. D'ailleurs le sommet 2022 de l'Organisation de coopération de Shanghai a eu lieu à Samarcande.
L'influence turque dans cette région est loin d'être prépondérante.
La Chine est en train de revoir sa conduite des affaires commerciales, face au harcèlement incessant US. Elle va vraisemblablement investir beaucoup plus en Iran, d'autant plus que les obstacles bureaucratiques sont en train d'être levés chez nous.
Mais la cause principale de tous ces changements gigantesques - changements qui se manifestent sous la forme de «changement de phase» - est l'irrationalité de politique US.
La question palestinienne
L'Iran n'est pas hostile au peuple juif, ni à Israël en tant que tel.
En Iran, on trouve des restaurants cacher et des synagogues ; la Constitution iranienne exige que chaque communauté religieuse, dont les juifs, aient un parlementaire au moins pour les représenter.
Cependant, l'Iran est hostile à la politique d'apartheid.
Et les Palestiniens ont le droit de retour.
L'Iran ne demande pas l'expulsion des juifs de Palestine ; on peine d'ailleurs à imaginer comment les 700 000 colons, sionistes extrêmes, laisseraient la Cisjordanie et Jérusalem Est. Cela dit, une solution à deux États n'est pas faisable. Il faudra un seul État englobant tous les peuples de Palestine avec les mêmes droits.
Israël qui se dit colosse a des pieds d'argile. Les Chinois le savent, et n'investiront plus.
La caravane est passée.