Israël a fait de Gaza l'unique camp de concentration du XXIe siècle
Par le Mustafa Fetouri pour Middle East Monitor, le 11 avril 2025
La définition élémentaire d'un "camp de concentration" est simple : un grand espace où un groupe conséquent de personnes, généralement des civils, sont emprisonnées sans procédure régulière. On peut les garder en détention pour plusieurs raisons, notamment leur appartenance ethnique ou religieuse, ou parce qu'ils s'opposent aux autorités qui ont ordonné leur détention.
L'Encyclopaedia Britannica va plus loin, décrivant le groupe ciblé, en raison de son appartenance et de son identification à un certain mode de vie, comme appartenant à "une autre" catégorie, et pas seulement en tant qu'individus. Elle explique également qu'un camp de concentration ne doit pas être décrit comme une "prison", car cela impliquerait que ceux qui y sont détenus ont enfreint la loi et que la procédure légale a été suivie. Et pourquoi des personnes peuvent-elles être détenues dans un tel endroit ? "Pour des raisons de sécurité [et] de répression ou de châtiment collectif", indique l'encyclopédie.
Aucune distinction d'âge ou d'état de santé n'est faite à l'intérieur des camps de concentration, de sorte que les personnes détenues peuvent être des enfants, des femmes, des personnes âgées ou des malades chroniques. Pire encore, pendant leur détention, elles n'ont généralement pas accès aux soins de santé, à des espaces de vie décents, ni aux produits de première nécessité tels que l'eau, la nourriture et l'électricité. Elles ne reçoivent généralement que le strict minimum. vital.
On peut donc en déduire qu'un tel camp existe dans la bande de Gaza.
L'enclave correspond parfaitement à cette description, si ce n'est qu'elle est décrite comme une prison à ciel ouvert - mais nous y reviendrons. Le groupe de personnes détenues dans le camp de concentration de Gaza est composé de Palestiniens, d'Arabes, principalement musulmans, pour la plupart des civils. À ma connaissance, aucun média grand public, en particulier en Occident, n'a souligné qu'en octobre 2023, Israël avait déjà commencé à transformer l'enclave en un camp de concentration du XXIe siècle.
Entre 2007 et 2023, au début du génocide actuel, Israël contrôlait déjà tous les check-points d'entrée et de sortie de Gaza, limitant l'accès aux denrées alimentaires, aux médicaments, au carburant et tout le reste, y compris les machines et les articles de consommation courante. Cette politique a asphyxié l'économie palestinienne de l'enclave, faisant grimper le taux de chômage à près de 85 %, contre environ 46 % avant la guerre. Près de 90 % de la population, soit environ deux millions de personnes, ont été déplacées au moins deux fois, essayant de survivre aux bombardements aveugles de l'armée israélienne.
De plus, la politique standard d'Israël est de s'assurer que la majorité des Palestiniens sont pacifiés et ne résistent pas à l'occupation de leur terre, ce qui constitue pourtant leur droit légitime. Cette stratégie a été formulée dans une métaphore selon laquelle il est nécessaire de "tondre le gazon" de temps en temps, un euphémisme malsain pour bombarder Gaza afin de prévenir la résistance. Dans un article intitulé "Tondre le gazon : la stratégie d'Israël pour un conflit prolongé et insoluble", deux universitaires israéliens analysent la stratégie comme une guerre permanente, sans fin en vue.
Depuis octobre 2023, on parle de "détruire la pelouse". L'ancien ministre israélien de la Défense a utilisé un terme plus spécifique l'année dernière, lorsqu'il a commenté les mesures prises par Israël pour mettre fin à la résistance en Cisjordanie occupée. Yoav Gallant, inculpé par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, a déclaré :
"Nous tondons l'herbe, [mais] le moment viendra où nous extirperons les racines".
Dans de nombreux reportages, Gaza est décrite comme une prison à ciel ouvert, mais à la lumière du génocide en cours, une telle description est un euphémisme et potentiellement trompeuse puisqu'elle implique que les personnes détenues auraient fait l'objet d'une procédure légale régulière, auraient été inculpées et reconnues coupables, ou seraient en attente d'une condamnation par un tribunal légitime.
Ce n'est pourtant pas le cas.
La population tout entière est réprimée, sans distinction, sans aucune procédure régulière. En outre, elle y est contrainte par une puissance occupante sans aucune justification légale pour l'occupation permanente des terres palestiniennes.
Qui que vous soyez à Gaza, vous n'avez pas assez à manger, à boire, ni assez de médicaments et de carburant, voire absolument rien. Les bébés, les enfants, les femmes et les personnes âgées ne font pas exception. Tous souffrent de ce que Gallant a ordonné en 2023 : un
"blocus total de la bande de Gaza. Pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant ; tout est bouclé".
Tout cela fait partie de la volonté d'Israël de transformer la bande de Gaza en camp de concentration. Le génocide en cours s'inscrit dans une stratégie à long terme de nettoyage ethnique afin d'expulser tous les Palestiniens de Gaza pour que Donald Trump puisse avoir sa "Riviera du Moyen-Orient". Son plan est bien sûr non seulement fondamentalement vicieux, mais encore illégal et constitue potentiellement un crime contre l'humanité.
Reste à savoir combien de temps Israël et ses soutiens pourront maintenir de telles stratégies après les avoir mises en œuvre pendant des décennies sans obtenir les résultats escomptés. Si Israël veut mettre fin à la Résistance palestinienne à Gaza et au-delà, il doit d'abord mettre fin à l'occupation des terres volées ces huit dernières décennies, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, et notamment à Jérusalem-Est (ainsi qu'en Syrie et au Liban).
Israël ne connaîtra pas la paix tant que les Palestiniens ne seront pas considérés comme des êtres humains et non comme des " animaux humains" (Gallant, encore lui), tant qu'ils ne seront pas considérés comme des personnes ayant des droits légitimes en Israël même et au-delà. Il est illusoire de croire qu'une puissance militaire écrasante et meurtrière pourra un jour détruire l'identité palestinienne et forcer le peuple de Palestine à accepter le statu quo. Des décennies d'oppression, de massacres et de nettoyage ethnique n'ont pas empêché l'émergence du Hamas et d'autres groupes de résistance, ni n'ont sapé leur capacité à riposter malgré de lourdes pertes. La Résistance est un symptôme de l'occupation militaire brutale d'Israël, pas sa cause. Mettez fin à l'occupation, et la Résistance n'aura plus lieu d'être, et ce qui est sûrement le seul camp de concentration du XXIe siècle au monde pourra reprendre une vie normale.