Dans les déserts médicaux, le droit à l'avortement maintenant garanti par la Constitution peut sembler lointain, faute de médecins et d'hôpitaux. Sur le plateau des Millevaches, le planning familial de Peyrelevade tente de réduire cette inégalité.
C'est une étape historique pour les droits des femmes. Lundi 4 mars, le Parlement français réuni en Congrès a voté l'inscription du droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Mais encore faut-il y avoir accès, à l'avortement. Ce qui n'est pas évidement partout sur le territoire français.
Dans les zones rurales, il existe très peu de structures d'écoute et de conseils sur l'avortement, la sexualité, le genre, la contraception. Ce manque se creuse avec la fermeture des hôpitaux et maternités, souvent accompagnée de celle des centres de santé sexuelle, où les consultations avec des professionnels de santé, dont des gynécologues, sont gratuites et confidentielles. Les femmes vivant dans des déserts médicaux rencontrent donc de plus en plus de difficultés d'accès à la contraception et à l'avortement. En cas de grossesse non désirée, elles font face à des délais beaucoup plus longs qu'en ville.
Délais plus longs qu'en ville
Alors, l'association du Planning familial prend le relais. Comme à Felletin, dans la Creuse. Là, c'est sur le parking d'un Intermarché qu'une camionnette blanche, fournit informations et conseils sur tous ces sujets. Ouverte sur le côté et prolongée d'un auvent, l'installation intrigue Aymeri, 26 ans, les bras chargés de courses : « Le planning familial », lit-il les yeux plissés vers une banderole. « C'est quoi ça ? ».
Le Planning familial est une association créée dans les années 1960 et active depuis partout en France pour l'accès à la contraception et à l'éducation sexuelle entre autres. Faire connaître les actions de l'association, c'est justement l'objectif de Mara Tschopp, présente ce jour-là sur le parking de l'hypermarché : « Les gens ne savent pas forcément à quoi ça sert, c'est pour ça qu'on se déplace », dit-elle sous l'habitacle du centre de consultation et stand de prévention installé sur roues.
En 2015, cette conseillère conjugale et formatrice a cofondé l'antenne du Planning familial de Peyrelevade, dans un petit village corrézien d'à peine 800 habitants. C'était alors le tout premier Planning familial du département. Il a depuis été rejoint par celui de Tulle, en 2021. Le planning familial de Peyrelevade reste le seul du Plateau des Millevaches, un grand parc naturel enclavé, qui s'étend aussi dans la Creuse et la Haute-Vienne.
« On a voulu créer une association territoriale qui couvre plusieurs départements, car c'est plus ancré que les délimitations administratives, explique Mara Tschopp. On était un groupe d'habitant·es et on s'est rendu compte qu'il n'existait pas, sur le plateau, de ressource sur la vie sexuelle ou sur le féminisme. » Il faut parfois rouler longtemps pour atteindre un centre médical et toutes les femmes ne possèdent pas de permis de conduire ou de véhicule. « Ici, ça a n'existe pas ici les transports en commun », rappelle l'animatrice de Peyrelevade, situé à plus d'une heure en voiture de Limoges ou Clermont-Ferrand.
Stocker des contraceptifs d'urgence
L'implantation locale du planning familial permet de mieux orienter les femmes vers des soignants libéraux ou des structures adaptées aux besoins, et aussi de mieux cerner les problématiques du territoire. Quand elle s'est formée à la maison-mère parisienne du Planning familial, les mises en situation étaient « très urbaines » et « pensées pour la ville », reprend-elle. Le public rural fait face à des problématiques différentes, liées au manque d'anonymat, de mobilité ou encore d'accès à la prévention.
Les animatrices du planning familial de Peyrelevade sont le plus souvent confrontées à des cas de violences intrafamiliales.
©Caroline Peyronel
Par exemple, sur le Plateau des Millevaches, les pharmacies sont moins nombreuses qu'en ville, et avec des amplitudes horaires plus réduites. Pas facile dans ces conditions de se procurer une pilule du lendemain un dimanche. « On ne s'y attendait pas, mais ici, on a beaucoup plus de cas de violences que de demandes d'interruption volontaire de grossesse », indique Mara Tschopp.
Face à ce constat, le planning des Millevaches et ses quatre salariées ont établi une liste de "personnes ressources", chargées de stocker des contraceptifs d'urgence dans plusieurs villages alentours, pour agir rapidement. Le même système est mis en place pour les tests de grossesse. « On en a mis gratuitement et en libre-service dans les WC de tiers-lieux partenaires », comme des cafés associatifs, se félicite la Corrézienne. Cela permet également aux femmes de ne pas affronter le regard parfois jugeant des pharmacien·nes ou des médecins, dans des villages où l'anonymat n'existe pas.
Le Planning des Millevaches assure aussi des consultations, des actions de sensibilisation et oriente ensuite vers d'autres professionnels de santé ou des associations selon le motif. Ses salariés mettent à disposition des livres féministes et de la documentation, organisent des ateliers de prévention et interviennent auprès des scolaires. Elles fournissent des préservatifs et contraceptifs d'urgence gratuitement. Mais le planning ne peut pas prescrire la pilule, car il n'a pas de vocation médicale.
« Nous vivons sur un petit territoire où tout le monde se croise », reprend Mara Tschopp, en finissant d'installer les tracts de prévention, préservatifs, pins et stickers à message, sur un panneau en bois. Justement, sur le parking, un homme de passage remarque qu'il a « déjà vu » l'animatrice. « Elle vit dans mon village », ajoute-t-il. Cette proximité avec la population peut être un atout pour acquérir la confiance des gens, mais également un frein, qui les empêche de se confier, par peur des "qu'en dira-t-on".
Confidentialité assurée
Pour se parer à d'éventuels malaises dans l'espace public, les animateur·ices du Planning ont alors élaboré une stratégie. « On annonce un cadre de confidentialité, souligne Mara. Par exemple, si on revoit des personnes rencontrées au planning en dehors du local, on ne viendra pas leur parler. On ne parle évidement pas de ce qu'on sait sur les autres à la prochaine fête du village ! »
Mais pour elle, le problème principal reste l'ignorance de l'existence de ce planning familial dans la région. C'est pour cette raison qu'en 2021, les éducateur·ices ont créé un dispositif itinérant. Un utilitaire dépliable stationne dans les cours des établissements scolaires et près des supermarchés pour permettre à la population de venir poser des questions plus facilement.
Ce soir d'hiver, peu de gens se pressent devant le camion. Maria Tschopp n'est pas étonnée. Selon son expérience, « il faut être patient ». L'année de l'ouverture du planning à Peyrelevade, elle n'a reçu aucune visite. Marina, 28 ans, passe devant le planning ambulant mais ne s'arrête pas. « Je n'en ai pas besoin personnellement » affirme-t-elle.
Pallier l'absence de l'État
Nombreuses sont celles qui n'osent pas franchir le pas. « Ce n'est pas évident de trouver des formes pour que la population se sente concernée, affirme l'éducatrice. Il a fallu quatre ans pour que des personnes viennent régulièrement au local. » Une femme l'interpelle au loin, c'est la gérante de l'Intermarché, Stéphanie Ober. « Vous devriez vous mettre à l'écart du magasin parce que plus ce sera confidentiel, plus il y aura de monde », suggère-t-elle. Pour la responsable du supermarché, faire venir le planning est un service d'intérêt général : « Comme on est loin de tout, il faut venir à nous. »
Malgré ses actions favorables, le planning familial de Peyrelevade a vu ses soutiens publics diminuer ces dernières années. « Il faudrait que l'Éducation nationale nous ouvre plus facilement ses portes et qu'on soit davantage soutenu par les pouvoirs publics, à travers des campagnes d'affichage et plus de prévention. »
Emma Conquet
Photo de une : Mara Tschopp a co-fondé le planning familial de Peyrelevade/©Caroline Peyronel
P.-S.
Pour toute question relatives à la vie sentimentale, à la sexualité, au genre ou encore à la famille, vous pouvez contacter une permanence du planning familial, du lundi au vendredi de 9h à 20h et le samedi de 9h à 13h au 0800081111 ou bien poser des questions sur le tchat, via ce lien : ivg-contraception-sexualites.org