L'adieu à Victoria ?
Andrea Marcigliano
Source: electomagazine.it
Victoria Nuland s'en va. Après 35 ans de service, sous sept présidents différents et dix secrétaires d'État - démocrates et républicains - la populaire Toria, comme on l'appelle dans les palais de Washington, a annoncé son... départ à la retraite. Son patron, le secrétaire d'État Blinken, l'a rapidement confirmé. Avec, comme à l'accoutumée, des remerciements et des éloges somptueux.
Il a accepté sa requête et a immédiatement procédé à la nomination d'un autre sous-secrétaire comme adjoint aux affaires politiques à titre intérimaire, John R. Bass. Qui, jusqu'à présent, ne s'occupait que d'environnement, d'écologie, de transition verte.
Un changement, même temporaire, qui ne peut que nous laisser perplexes. Car il est certain que ce bon Bass n'aura que très peu à dire sur la politique américaine dans le monde. Et ce, à une époque que l'on pourrait qualifier de critique. Gaza, les révolutions africaines, la mer Rouge... et, surtout, la confrontation avec Moscou en Ukraine.
Oui, l'Ukraine. Dans les événements récents, Nuland a toujours joué un rôle d'une importance fondamentale. Même s'il est apparemment relativement discret.
C'est en effet elle qui a tissé la toile, et tenu les ficelles, du changement de régime, ou plutôt du coup d'État de la place Maïdan. Qui a violemment défenestré le président élu, Victor Yanoukovitch, soupçonné d'être trop proche de Poutine.
Ce qui, soit dit en passant, est discutable. Yanoukovitch cherchait simplement à entretenir de bonnes relations avec la Russie pour des raisons économiques. Et il a accordé des garanties à la minorité russophone - près de 40 % de la population - qui avait largement contribué à son élection.
Dans les jours agités de la place Maïdan, Nuland était à Kiev en personne. Elle dirigeait, dit-on, les événements. Et c'est elle qui a choisi le nouveau chef de gouvernement (qui n'a été élu par personne), Arsenij Yatsenyouk, un économiste qui a poussé Kiev de plus en plus dans l'orbite occidentale pendant la transition.
Plus tard, aux Etats-Unis, Nuland a été accusée d'avoir dépensé plus de dix millions de dollars pour cette opération. Elle n'en a admis que cinq.
Mais c'est toujours elle qui a poussé Yatsenyouk à placer trois "outsiders" à des postes clés du gouvernement. Un Américain, bien que d'origine ukrainienne, un Géorgien et un Lituanien. Tous trois appréciés à Washington. Et tous les trois sélectionnés (un véritable casting) par deux sociétés privées. Appartenant à George Soros.
En revanche, Toria est une experte de la Russie. Conseillère, sur le sujet, de nombreux présidents. À l'exception, bien sûr, de Trump. Quand, pour la seule fois en près de quarante ans, elle a été écartée de Washington.
En revanche, elle est l'épouse de Robert Kagan. Considéré comme l'un des porte-drapeaux idéologiques du nouvel "interventionnisme démocratique", visant à exporter l'idéologie américaine dans le monde entier.
D'autre part, elle est elle-même russe. Ou plutôt, fille d'un médecin juif qui a fui la Bessarabie russe pour se réfugier aux États-Unis. Et son manque de sympathie pour Moscou est bien connu. Toute son action politique, toute sa vie même, a eu pour but de faire éclater la Russie. Pour que l'Ours ne soit plus une menace pour les intérêts américains.
Américains, il faut le souligner. Et elle a toujours interprété l'OTAN comme un simple instrument de Washington.
Les Européens ? On a besoin d'eux, mais ils ne comptent pas.
C'est précisément lors d'une conversation téléphonique - filtrée - avec l'ambassadeur américain en Ukraine, lorsqu'il lui a fait part de certains doutes des alliés, en particulier des Allemands, concernant le candidat qu'elle avait choisi pour diriger le gouvernement de Kiev, qu'elle a répondu catégoriquement : "Fuck the EU" (J'emmerde l'UE) !
C'est dans cette phrase que réside toute la femme.
Aujourd'hui, elle s'en va. Volontairement ? Là encore, on peut s'interroger. L'échec retentissant de sa récente mission en Afrique française a peut-être eu une influence. Ce qui lui a valu les moqueries publiques de Maria Zakharova. Une autre femme de fer, porte-parole de Poutine.
Mais il est peut-être plus probable qu'elle soit devenue encombrante. Et embarrassante. Surtout pour les cercles de Washington, dont Blinken est proche, qui commencent à envisager la nécessité de traiter avec Poutine.
Et à cet horizon, il n'y a certainement pas de place pour Toria.