Journal dde.crisis de Philippe Grasset
27 octobre 2022 (17H40) - L'Arabie Saoudite, malgré ses nombreux méfaits, - ou peut-être à cause d'eux, je ne sais, - est en passe de devenir l'adversaire le plus irritant, le plus déterminé et finalement, peut-être le plus dangereux des États-Unis. D'une certaine façon, on peut penser que les USA ont trouvé en l'Arabie, et dans l'état d'esprit de son jeune dirigeant MbS (Mohammed bin Salman), un pays plus cynique, plus vicieux et plus déterminé qu'eux-mêmes. C'est une grande surprise de notre temps, par rapport à celui où l'on jugeait la vieille maison Saoud pourrie et encombrée de rois et princes réduits à l'état universel de vieillards cacochymes, et donc promise à une éternelle soumission.
Je conseille de mettre de côté ici tous les arguments, larmoiements et rigueur morale, concernant les actes déshonorants et condamnables de l'Arabie 'New-Age', et de MbS lui-même. On en compte de nombreux, qui mettent en charpie droits de l'homme et démocratie. Mais on ne me fera pas dire une seule seconde que les États-Unis sont à cet égard moins chargés que l'Arabie, bien au contraire, et avec la plus complète impudence depuis des lunes et des lunes, et aujourd'hui plus que jamais. Inutile de s'attarder au décompte, l'histoire elle-même a fait ses comptes, et il n'y a rien de grandiose, rien de métahistorique si l'on veut, qui puisse faire passer là-dessus au nom d'un enjeu spirituel qui justifierait d'exister pour sauver le monde ; au contraire, les USA,ne savent que détruire, détruire, détruire.... Bref, si vous dites Khashoggi et Yemen par exemple, entre autres nombreuses choses, on vous répondrait par le détail Guantanamo, Kennedy, Julian Assange, les camps de torture de la CIA, les millions de morts entre Hiroshima, la Corée, le Vietnam, la Yougoslavie, l'Irak, et jusqu'à l'entretien cynique et impudent de la guerre en Ukraine après avoir encerclé de missiles la Russie qu'ils avaient auparavant vidée de son sang durant les années 1990. Encore ne remonte-t-on pas trop dans l'histoire avec le traitement conjugué des Indiens et des bisons. Bref, on voudra bien avoir la décence de mettre mettra de côté la morale qui constitue l'arme fascinatoire favorite de l'hollywoodisme yankee, et l'on en viendra aux faits les plus récents en laissant les ex-Young Leaders se débrouiller de leurs lourds passés de trahison assumée.
D'abord, je pense qu'il y a une affaire d'hommes. MbS ne peut pas sentir ni supporter Biden, auquel il préfère sans aucun doute Trump et ses manières grossières mais dépourvues de tout simulacre. Ce n'est pas moi qui le dis mais le Wall Street 'Journal', selon le rapport que s'empresse d'en faire RT.com, et je crois bien que cette détestation donne des ailes au jeune Sultan jusqu'à croire qu'après tout il irait jusqu'à se perdre ainsi dans une bonne action.
« Les relations américano-saoudiennes se "fracturent" en raison de l'aversion et de la méfiance entre le président Joe Biden et le prince héritier Mohammed bin Salman, a rapporté lundi le Wall Street 'Journal', citant des sources gouvernementales à Ryad.» Le prince héritier, âgé de 37 ans, qui dirige au quotidien la monarchie du Golfe et est le fils du roi Salman, "se moque du président Biden en privé", se moque de ses nombreuses gaffes publiques et "met en doute son acuité mentale", selon les sources du journal.
» Les deux hommes "ne s'aiment pas et ne se font pas confiance" et le prince "préfèrerait de beaucoup" les relations qu'il avait avec l''ancien président Donald Trump. »
Là-dessus, les Saoudiens se sont payés le luxe diplomatique de condescendre à démentir les propos ainsi prêtés au jeune MbS. Cela vaut confirmation, naturellement, lorsque le ministre saoudien des affaires étrangères parle du « plus grand respect » que « les dirigeants saoudiens », sans parler spécifiquement de MbS, éprouvent « pour les présidents américains », sans parler spécifiquement de Joe Biden. Il suffit de remplir comme il se doit les espaces laissés en blanc dans cette déclaration de convenance.
« Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan, a démenti les allégations selon lesquelles le prince héritier se serait moqué de M. Biden, les qualifiant d'allégations "entièrement fausses" formulées par des sources anonymes. Les dirigeants de Riyad ont toujours le "plus grand respect" pour les présidents américains, a-t-il déclaré au Journal. »
Ainsi ne doit-on s'étonner en rien lorsqu'on découvre les détails de l'actuelle affaire qui dévaste ce qu'il reste de relations entre les deux pays. Il apparaît manifeste que MbS a joué un jeu volontairement ambigu pour faire croire à la partie US qu'il allait "secrètement" augmenter la productions de pétrole pour faire baisser les prix et renforcer la position tremblotante de Biden à la veille des élections du 8 novembre, alors qu'il avait déjà décidé de faire exactement le contraire. Même les habituels "responsables américains" disent à leur habituel confesseur, le New York 'Times', l'état de colère où ils se trouvent. Diantre, rencontrer un " sonuvabitch" censé être " notre sonuvabitch " et qui vous traite vous-même comme un "sonuvabitch", il y a de quoi l'avoir mauvaise.
Ils n'insistent pas trop, tout de même, sur la roublardise hagarde de leur chef, sur le sans-gêne crachotant du vieillard de la Maison-Blanche qui marche comme dans de la crotte sur toutes ses promesses électorales de ne jamais se rendre dans le pays de l'assassin de Khashoggi, dans ce pays-'pariah' ; salut à l'homme qu'il vient implorer après l'avoir insulté, ceci et cela sans la moindre conscience, ni de l'infamie de sa démarche, ni de l'opinion qu'ont les autres de cette infamie ; un débris gâteux venant intimer l'ordre de pomper encore plus pour remplir les urnes et recevant une poignée de mains (ou poing contre poing, type-Covid) en guise de bras d'honneur... A ce niveau d'indécence, MbS apparaîtrait presque comme le chevalier blanc de l'or noir.
Esgourdez donc la belle affaire, zieutez attentivement l'Empereur du Monde en action !... RT.com, toujours, interdit de lecture dans nos grands espaces démocratiques.
« Le président Joe Biden aurait effectué sa visite controversée de juillet en Arabie saoudite, rompant ainsi sa promesse électorale de fuir le royaume, parce que son administration pensait avoir obtenu un accord secret permettant à Ryad d'augmenter l'offre de pétrole. Au lieu de cela, Ryad a fait le contraire, en amenant l'OPEP à réduire ses objectifs de production.» L'augmentation de la production était censée intervenir de septembre à la fin de cette année, contribuant ainsi à réduire l'inflation et justifiant le voyage de M. Biden à Ryad, a rapporté le New York Times mercredi, citant des entretiens avec des responsables gouvernementaux américains et du Moyen-Orient non identifiés.
» Plusieurs législateurs américains ont réagi en suggérant que Washington devrait punir l'Arabie saoudite en interrompant les ventes d'armes ou en retirant son soutien militaire au royaume. Biden a accusé Riyad de se ranger du côté de la Russie dans le conflit ukrainien et a mis en garde contre des représailles, déclarant : "Il y aura des conséquences".
» Les membres du Congrès qui avaient reçu des informations confidentielles sur l'accord pétrolier secret "se sont montrés furieux que le prince héritier Mohammed bin Salman ait dupé l'administration", a déclaré le Times. Des responsables américains ont déclaré au journal que, même quelques jours avant l'annonce de l'OPEP, bin Salman leur avait assuré qu'il n'y aurait pas de réduction de la production. Lorsqu'ils ont appris par la suite que l'Arabie saoudite avait changé de position sur la question, les responsables de l'administration ont tenté en vain de "faire changer d'avis les conseillers de la Cour à Ryad".
» Les responsables saoudiens ont déclaré plus tôt ce mois-ci que la décision de l'OPEP était fondée uniquement sur des considérations économiques, et non sur la politique, et que Washington a essayé de retarder le mouvement pendant plusieurs semaines. Un tel retard aurait pu faire passer l'annonce après le 8 novembre, date des élections de mi-mandat. L'inflation américaine reste proche de son plus haut niveau depuis 40 ans et constitue la principale préoccupation des électeurs américains, selon les sondages.
» Le Times écrit même certains de ses plus fervents partisans ont fait valoir que la décision de Biden de rencontrer quand même bin Salman, après que son administration ait pensé qu'elle avait conclu un accord pétrolier secret en mai, était le pire exemple du "sacrifice des principes par opportunisme politique, - pour ne rien obtenir en échange". "Il existe maintenant un très grand embarras dans nos relations avec l'Arabie, alors que les Saoudiens poursuivent allègrement leur chemin', a déclaré le député Gerald Connolly, démocrate de Virginie.
» En juin, Biden avait publiquement nié qu'il demanderait aux responsables saoudiens d'augmenter l'offre de pétrole. "Ce qui s'est passé au cours des six derniers mois est une histoire pleine d'accords volés à des poignées de main, de vœux pieux, de signaux incompris et d'accusations de promesses non tenues" conclut le Times. »
La conclusion du 'Times' est shakespearienne. Il nous manque juste l'idiot pour nous raconter l'histoire, mais les candidats ne manquent pas. La façon dont les américanistes ont réussi à faire passer cette vieille barcasse pourrie de fric qu'était l'Arabie, en une manœuvrière habile et sans scrupule qui les roule dans la farine est édifiante. Tout ce qu'entreprend 'D.C.-la-gâteuse', aujourd'hui, pourrit sur pied, et tout ce qui s'oppose à elle retrouve une seconde jeunesse. On comprend que MbS s'amuse bien lorsqu'il rencontre Poutine et ne cesse de faire annoncer qu'il entend bien intégrer les BRICS, histoire de faire les BRICAS en attendant de se réconcilier avec l'Iran.
L'histoire, lorsqu'elle se fait métahistoire, est une finaude en plus d'être pleine de grâce. Le choix du pauvre vieux Joe pour piloter l'empire en décomposition est une idée de génie, surtout secondé par l'idiote-qui-rit-tout-le-temps. Cela permet à Neil Ferguson, qui jusqu'ici tressait des couronnes de laurier à l'empire du monde, de terminer son dernier article sur ce constat bien désenchanté :
« Pourtant, peut-on imaginer la Maison Blanche comme un futur Palazzo Ducale, notre Capitole comme le Capitole romain, une ruine où quelque futur historien s'assiéra un jour "pour réfléchir" ?» La réponse est la suivante : Très facilement, si nous poursuivons la deuxième guerre froide au point de basculer dans la troisième guerre mondiale. »
Même pas besoin d'une Troisième dernière, il suffit d'une 'Third Woke War' pour faire l'affaire.