par Alastair Crooke
Tout comme l'Occident n'a pas compris la Russie et a été pris par surprise, la Maison-Blanche ignore fermement la dimension biblique de la «fin des temps» de la «façon israélienne de penser la guerre».
Jacques Baud, un officier militaire suisse qui étudie depuis longtemps les «façons de penser» la guerre (du Pacte de Varsovie à l'OTAN, auprès de laquelle il a été détaché par son gouvernement), a écrit un nouveau livre intitulé « L'art russe de la guerre : comment l'Occident a conduit l'Ukraine à la défaite». Le thème de son livre est essentiellement le suivant : Les autres comprennent mieux l'Occident que l'Occident ne les comprend.
Baud écrit que la raison fondamentale pour laquelle l'Occident porte des «œillères» est «le résultat d'une approche que nous avons déjà vue dans les vagues d'attaques terroristes - l'adversaire est si stupidement diabolisé que nous nous abstenons de comprendre sa façon de penser. En conséquence, nous sommes incapables de développer des stratégies, d'articuler nos forces ou même de les équiper pour les réalités de la guerre».
«En Occident, nous avons tendance à nous concentrer sur le moment [immédiat] et à essayer de voir comment il pourrait évoluer. Nous voulons une réponse immédiate à la situation que nous voyons - aujourd'hui. L'idée que «de la compréhension de la genèse de la crise découle la manière de la résoudre» est totalement étrangère à l'Occident. En septembre 2023, un journaliste anglophone m'a même sorti le «test du canard» : «si ça ressemble à un canard, que ça nage comme un canard et que ça cancane comme un canard, c'est probablement un canard». En d'autres termes, tout ce dont l'Occident a besoin pour évaluer une situation, c'est d'une image qui corresponde à ses préjugés. La réalité est beaucoup plus subtile que le modèle du canard...».
«La raison pour laquelle les Russes sont meilleurs que les Occidentaux en Ukraine est qu'ils considèrent le conflit comme un processus [organique], alors que nous le voyons comme une série d'actions distinctes et séparées. Les Russes voient les événements comme un film. Nous les voyons comme des photographies. Ils voient la forêt, tandis que nous nous concentrons sur les arbres. C'est pourquoi nous situons le début du conflit ukrainien au 24 février 2022 - ou le début du conflit palestinien au 7 octobre 2023. Nous ignorons les contextes qui nous dérangent et nous menons des conflits que nous ne comprenons pas. C'est pourquoi nous perdons nos guerres...».
Baud, dans son livre, donne un excellent compte-rendu de l'évolution militaire dérivée de ce «système de pensée» occidental. Néanmoins, l'explication est quelque peu incomplète. Oui, les «Autres» ont une compréhension «organique» et «processuelle» des crises, mais ce n'est pas tout.
Le philosophe français Emmanuel Todd, dans « La Défaite», suggère que - avec des États-Unis en constante révolte contre leur propre passé - l'Occident a sombré dans le nihilisme et dans «un dogmatisme stupéfiant à travers le spectre des élites occidentales - une sorte de solipsisme idéologique les empêchant de voir le monde tel qu'il est en réalité».
Je me souviens avoir demandé un jour à l'ancienne secrétaire d'État Madeleine Albright pourquoi elle avait interdit à Yasser Arafat de consulter diverses autorités islamiques sur la proposition radicale des États-Unis de diviser horizontalement la souveraineté sur la mosquée Al-Aqsa, de sorte que le Waqf islamique conserve la souveraineté sur le sol, tandis que le «dessous» relèverait de la souveraineté d'Israël. Elle a affirmé avec fermeté que le département d'État américain avait pour principe d'ignorer toute dimension religieuse et de rester laïque.
Il y a d'autres exemples : Dick Cheney a insisté sur le fait que tout ce qui était nécessaire en géopolitique était de comprendre «la nature sous-jacente des gens» (du point de vue occidental). Les faits et l'histoire n'ont pas d'importance. Comme l'a fait remarquer Baud, ce qui compte, c'est l'image qui correspond aux préjugés.
La conséquence ne se limite pas à ne pas voir le monde «tel qu'il est», mais représente une téléologie idéologique de refus de le voir «tel qu'il est».
Baud explique longuement pourquoi l'Occident a été systématiquement surpris par la Russie en Ukraine, et observe comment ce préjugé profondément ancré donne à la Russie l'avantage de la surprise - au point que «le récit occidental a conduit l'Ukraine à sous-estimer totalement les capacités russes, ce qui a été un facteur majeur de sa défaite».
Le point essentiel est que les idées de Baud ne s'appliquent pas seulement à la mise en œuvre d'une action militaire en tant que telle. Elles s'appliquent également, en tant que «système de pensée», à la mauvaise interprétation de la géopolitique.
Tout comme l'Occident n'a pas compris la Russie et a été pris par surprise, la Maison-Blanche ignore fermement la dimension biblique de la «fin des temps» dans la «façon de penser la guerre» israélienne, préférant s'en tenir à son image «libérale-laïque» d'Israël.
De même, l'Occident refuse de comprendre l'opposition des Palestiniens et des Résistants au sionisme et, comme l'observe Baud, «c'est une approche que nous avons déjà vue dans les vagues d'attaques terroristes - l'adversaire est si stupidement diabolisé que nous nous abstenons de comprendre son mode de pensée».
L'Occident retombe ainsi dans ses vieilles réponses tactiques coloniales par défaut à ce qu'il observe (par exemple contre les Hash'd A-Shaabi en Irak, ou Ansarullah au Yémen), les considérant simplement comme des éruptions déconnectées «rebelles» ou «mutines», à réprimer avec une bonne dose de puissance de feu - c'est-à-dire comme des événements discontinus et tactiques.
Il n'y a donc pas de véritable enquête sur les raisons de ces irruptions néocoloniales irritantes, ni d'intérêt pour leur histoire.
Jacques Baud conclut : Le résultat de cette approche est que nos frustrations sont traduites par des médias sans scrupules en récits qui alimentent la haine et augmentent le sentiment de vulnérabilité.
source : Al Mayadeen