
Par Jamal Kanj, le 15 septembre 2025
La tentative d'assassinat manquée de la semaine dernière contre l'équipe de négociation palestinienne à Doha, au Qatar, soulève des questions cruciales qui vont bien au-delà de l'attaque elle-même. Au cœur de cette situation, trois questions interdépendantes se posent : le recours croissant à l'intelligence artificielle (IA) pour cibler des individus, l'échec ou la négligence délibérée du système de défense aérienne géré par les États-Unis, et la position vulnérable du Qatar, qui accueille à la fois une importante base américaine et des négociations de cessez-le-feu.
L'utilisation de l'IA fera l'objet d'une analyse ultérieure. En attendant, le raid sur le Qatar n'est pas un événement isolé. Le ciel de Doha est surveillé par la base aérienne américaine d' Al Udeid, la plus grande installation militaire américaine au Moyen-Orient. Cette base n'est pas un avant-poste marginal, c'est le quartier général avancé du Commandement central américain ( USCENTCOM) qui supervise les opérations militaires américaines pour tout le Moyen-Orient.
En théorie, rien ne peut traverser l'espace aérien qatari ou la région voisine sans être détecté par le système avancé de défense aérienne et antimissile intégrée ( IAMD), qui assure la couverture aérienne du Conseil de coopération du Golfe (CCG) : Qatar, Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis et Jordanie. L'architecture IAMD est intégrée au réseau de commandement et de contrôle américain et est exploitée par l'USCENTCOM depuis la base américaine située au Qatar.
Or, les avions israéliens ont violé cet espace aérien pourtant ostensiblement protégé par le système de défense IAMD. Plus d'une douzaine d'avions israéliens ont parcouru plus de 2 000 kilomètres sans déclencher d'alarme ni activer la défense aérienne IAMD. La décision du CENTCOM de ne pas activer l'IAMD, ou son incapacité à le faire, soulève deux questions cruciales qui exigent des explications : s'agissait-il d'un choix délibéré qui a mis le Qatar en danger, ou d'une défaillance catastrophique du système ?
La première hypothèse laisse entendre que l'armée américaine était pleinement consciente de l'approche des avions israéliens et a choisi de ne pas intervenir. Une telle décision ne pouvait pas être prise par les commandants locaux seuls. Autoriser une armée étrangère à pénétrer dans un espace aérien protégé où se trouve la plus grande base américaine aurait nécessité l'aval des plus hautes instances du gouvernement américain. Si tel était le cas, Washington aurait donc donné son feu vert à l'opération, sacrifiant ainsi la souveraineté de son allié et la vie des négociateurs palestiniens.
La deuxième hypothèse est encore plus inquiétante : l'IAMD n'aurait pas détecté les avions étrangers. Une telle défaillance révèlerait une vulnérabilité flagrante au cœur même du dispositif de sécurité régional américain. Comment la plus grande et la plus avancée des bases militaires du Moyen-Orient a-t-elle pu ne pas remarquer une intrusion d'avions hostiles dans son espace aérien immédiat ? Un tel échec remettrait en cause la raison d'être même de la base et la crédibilité de l'IAMD ainsi que des garanties de sécurité américaines accordées aux pays de la région.
Pour le Qatar, le message est clair. Malgré la présence de plus de 10 000 soldats américains et les milliards dépensés pour entretenir et soutenir la base, son espace aérien n'est pas sécurisé. L'accueil d'une base américaine ne garantit pas une protection. Pire encore, la base ne fournit qu'une protection illusoire et sert avant tout les intérêts d'autres alliés des États-Unis, même au détriment de son pays hôte.
Si le ciel au-dessus de Doha n'est pas défendu par l'IAMD et la base aérienne d'Al Udeid, que protège-t-il donc ? Israël ?
À ce jour, l'IAMD a été activé à deux reprises, uniquement pour protéger Israël, un pays qui ne fait pas partie du système IAMD : d'abord, pour défendre Israël contre les représailles de l'Iran en avril 2024, puis pour contrer les salves de missiles iraniens sur la base aérienne d'Al Udeid, après l'attaque conjointe israélo-américaine contre les sites nucléaires iraniens.
L'attaque israélienne contre Doha a démontré la porosité et la compromission intentionnelle du dispositif de sécurité américain au-dessus du Qatar. Incapable d'assumer l'échec des États-Unis à détecter et à empêcher l'attaque contre un "allié majeur", Trump a fait des promesses vaines en affirmant que cela " ne se reproduira plus jamais". Il s'agissait bien sûr pour son administration d'esquiver la véritable question : pourquoi la base américaine, construite et financée par le Qatar, est-elle restée silencieuse alors que des avions israéliens de fabrication américaine bombardaient une zone résidentielle voisine ?
Le 11 septembre 2025, la réponse des États-Unis est venue clairement de New York. L'administration Trump a en effet empêché le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de voter une résolution condamnant l'attaque israélienne contre Doha. En lieu et place, le CSNU a publié un communiqué de presse de routine se contentant de dénoncer le raid. Au lieu d'exiger une résolution contraignante, le Qatar et ses médias ont présenté cette déclaration inutile comme une victoire diplomatique majeure.
Ce type de déclaration n'est qu'une déclaration non contraignante, et non une résolution ayant force de loi. Une résolution nécessite un vote formel et revêt une valeur juridique, alors qu'un communiqué de presse n'est qu'une déclaration lue par le président du Conseil. Présenter une note de presse comme étant une "résolution" ressemble à une tentative délibérée de couvrir l'administration Trump et dissimuler son soutien implicite à l'opération israélienne. En acceptant un communiqué de presse succinct, le Qatar a choisi de protéger Trump d'un vote définitif plutôt que de contraindre les États-Unis à révéler leur véritable posture face aux actions d'Israël.
Outre les considérations géopolitiques immédiates, le raid aérien israélien sur le Qatar envoie un avertissement sévère aux autres pays de la région : que vaut une alliance militaire avec les États-Unis si le protecteur présumé décide quelles menaces bloquer et lesquelles cautionner ? La réalité est limpide : Washington a choisi de privilégier les intérêts de son allié financé, Israël, qui a reçu plus de 17,9 milliards de dollars au cours des deux dernières années seulement, plutôt que la nation hôte qui finance la base militaire américaine à hauteur de 10 milliards de dollars.
Qui sait quel pays Washington privilégiera ensuite, et aux dépens de qui ? Telle est la réalité de ce type d'alliances, dans lesquelles les pays hôtes deviennent vulnérables dès lors que les États-Unis décident que les intérêts d'un autre allié priment sur les leurs.
Le sommet arabe et islamique d'urgence qui se tient cette semaine à Doha sera-t-il à la hauteur de cette nouvelle réalité ? Ou sera-t-il le théâtre d'un deuxième acte de la mascarade du Conseil de sécurité de l'ONU, avec une nouvelle déclaration vaine offrant à Trump une nouvelle occasion de trahir ses alliés ?
Traduit par Spirit of Free Speech