04/10/2018 les-crises.fr  7 min #146571

Bolton: La Cpi menace la souveraineté des Etats-Unis

L'attaque de Trump contre la Cpi est le visage inacceptable de l'exceptionnalisme américain. Par Simon Tisdall

Source :  The Guardian, Simon Tisdall, 10-09-2018

Sous couvert d'une lutte pour la souveraineté, l'Amérique vise à mettre fin à la justice internationale

Simon Tisdall

Lundi 10 septembre 2018

Donald Trump et John Bolton. Photographie : Rex/Shutterstock/REX/Shutterstock

Le titre du discours de John Bolton à Washington - « Protéger les principes constitutionnels et la souveraineté des États-Unis contre les menaces internationales » - semblait assez inoffensif, quoique un peu pompeux.

Mais son texte représente  l'attaque la plus dévastatrice et la plus débridée de l'administration Trump à ce jour contre l'ordre mondial fondé sur des règles et son fleuron juridique, la Cour pénale internationale.

Pour parler franchement, il s'agit d'une tentative de Donald Trump de mettre fin à la CPI, le tribunal pénal le plus important au monde, et avec lui, au concept même de justice internationale. Bolton est l'homme au couteau. Et il y a de fortes chances qu'ils réussissent.

John Bolton critique vivement la Cour pénale internationale

Le troisième choix de Trump en tant que conseiller à la sécurité nationale est un assassin adéquat. Avec ses compagnons Paul Wolfowitz et Richard Perle, Bolton a mené la charge pour l'invasion illégale de l'Irak par George W Bush en 2003.

Ne se laissant pas décourager par les erreurs du passé et refusant d'en tirer des leçons, Bolton a maintenant l'intention de faire tomber le régime iranien. Il est peu probable qu'il se laisse entraver par des considérations de légalité non plus cette fois-ci.

Comme beaucoup de conservateurs américains, Bolton a toujours détesté la CPI. Bien que le Statut de Rome portant création de la Cour soit entré en vigueur en 2002 et que 123 États en soient signataires, les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde et d'autres pays comme Israël n'ont pas ratifié ou ont rejeté ce traité.

Cela n'a pas empêché les États-Unis de poursuivre une politique de deux poids, deux mesures flagrante. Washington a souvent soutenu les procédures de la CPI lorsqu'elles répondent aux intérêts américains.

Le refus des grandes puissances de permettre des règles du jeu équitables a affaibli la CPI et on lui a reproché de concentrer ses enquêtes sur des pays moins riches et moins influents, principalement en Afrique.

Cet aspect a changé sous la direction de Fatou Bensouda, procureure en chef du tribunal depuis 2012. C'est son intention d'ouvrir une enquête officielle sur les crimes qui pourraient être commis en  Afghanistan depuis 2001 par des militaires et des civils américains, ainsi que par les talibans, qui a tant alarmé Washington.

À première vue, les États-Unis ont beaucoup de comptes à rendre en termes d'allégations de meurtres et de détentions illégales, de restitutions forcées [en anglais, « rendition » désigne l'action de transférer un prisonnier d'un pays à un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures normales d'extradition, NdT], de tortures et de lourdes pertes civiles qui pourraient constituer des crimes de guerre.

Bensouda a également rouvert une enquête préliminaire sur les crimes de guerre présumés commis par des ressortissants britanniques en Irak, de 2003 à 2008. Puisque la Grande-Bretagne est un État partie du Statut de Rome, il ne fait aucun doute que ses citoyens sont soumis aux tribunaux.

Pourtant, une partie de l'objectif de Bolton était de suggérer que les sanctions américaines et d'autres mesures punitives contre la CPI et son personnel pourraient aider les alliés des États-Unis s'ils se retrouvaient, eux aussi, sur le banc des accusés. Cette catégorie peut inclure Israël, étant donné l'enquête préliminaire de la CPI en cours en Palestine.

Les sanctions américaines, si elles sont appliquées, pourraient porter un coup fatal à la CPI. Les États africains tentés par le retrait, comme l'Afrique du Sud, peuvent décider de le faire. Les pays non membres seront encouragés à limiter ou à refuser la coopération.

Un bon exemple est le Myanmar, où  la CPI tente d'affirmer sa compétence à l'égard des crimes contre l'humanité qui auraient été infligés à la minorité Rohingya - contre les souhaits de ce régime.

La disparition de la CPI serait la bienvenue en Russie, où  le régime de Vladimir Poutine partage l'hostilité de Trump à l'égard des règles et normes juridiques transnationales contraignantes et son désir d'agir en toute impunité. La Russie fait actuellement face à une enquête préliminaire de la CPI en Ukraine.

De même, la Chine, qui bafoue le droit international dans la mer de Chine méridionale et à Taïwan, ne regrettera sans doute pas la fin du tribunal. Mais la décision américaine laisse présager un autre affrontement avec l'Europe, où la CPI est très considérée.

La démarche de Bolton s'inscrit dans un ensemble d'actions unilatérales qui a vu les États-Unis se retirer du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, rejeter à la fois le pacte multilatéral sur les activités nucléaires de l'Iran et l'accord sur le climat de Paris, lever de nouvelles barrières commerciales et douanières et menacer de quitter l'OTAN et l'OMC.

Trump affirme qu'il se bat pour la souveraineté américaine. Mais pour le reste du monde, cela ressemble au visage inacceptable de l'exceptionnalisme américain.

Source :  The Guardian, Simon Tisdall, 10-09-2018

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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