07/12/2025 2 articles dedefensa.org  9min #298325

L'ébranlement en cavalcade

 Ouverture libre 

• Sous l'impulsion du sous-secrétaire chargé de la politique au Pentagone, Elbridge A. Colby, l'administration Trump, vient de publier son 'National Security Strategy'. • Présentation des grandes lignes de la stratégie trumpiste, inspiration clairement du type néo-'America First'. • Le chapitre le plus alléchant est le constat de rupture entre les USA et l'Europe assaisonné d'une critique dévastatrice des tendances au déclin et à l'effondrement civilisationnel de notre continent. • Commentaires de Johnson et de Mercouris, texte d'Helena Fritz.

On ne peut pas juger, c'est-à-dire prendre position en disant "ceci est bien", "ceci n'est pas bon". Trop rapide, trop énorme, comme une puissante force de la nature qui se déchaîne... Face à cela, pauvres petits esprits, tentant de mesurer et de maîtriser la rage du monde même s'il la comprend, s'il la partage même, - mais lui-même la subissant... La période est celle des ouragans baptisés des noms des dieux.

Aujourd'hui, toute l'attention se porte sur le nouveau document sur la 'Stratégie de Sécurité Nationale' (SSN en français, NSS en anglais). Il s'agit d'une définition de la nouvelle stratégie US définie par la nouvelle administration, comme le fait en général chaque nouvelle administration. Il n'y a aucune périodicité, aucune obligation, il s'agit au fond d'une sorte d'affirmation symbolique. D'une façon générale, ces propositions n'ont rien de révolutionnaire ni de schismatique mais ne font qu'enchaîner sur les précédentes avec quelques modifications pour "marquer sa différence".

Avec Trump 2.0, ce n'est pas le cas. Son SSN propose un changement radical, que Larry C. Johnson (le même article publié  sur son site et  sur RT.com) présente comme suit :

« La Stratégie de sécurité nationale (SSN) 2025 des États-Unis, publiée par la Maison Blanche le 4 décembre 2025, marque un tournant potentiellement profond dans la politique étrangère américaine sous la seconde administration Trump, par rapport à son premier mandat. Ce document de 33 pages adopte explicitement la doctrine « L'Amérique d'abord », rejetant l'hégémonie mondiale et les croisades idéologiques au profit d'un réalisme pragmatique et transactionnel axé sur la protection des intérêts nationaux fondamentaux : la sécurité intérieure, la prospérité économique et la domination régionale dans l'hémisphère occidental. »

Un peu plus loin, le même Johnson détaille les principaux points de cette révision extraordinaire de la politique extérieure et de sécurité nationale des Etats-Unis. Mentionnons-en trois sur quatre, le quatrième étant consacré à la Chine et apportant le moins de nouveauté.

Ici, pour Johnson comme pour les autres auteurs consultés, et pour nous également et sans peine contrainte ni surprise, l'essentiel est l'abandon de l'hégémon au profit d'un monde multipolaire et l'abandon de l'Europe comme allié principal justifié en partie non négligeable par de très sévères critiques... Parmi celles-ci, nous retiendrons les critiques civilisationnelles et culturelles qui, effectivement, rappellent le Kremlin et les concordances de traditionalisme entre Russie et USA relevées depuis le début de la précédente décennie par des citoyens américains  de cette tendance :

« • D'un rôle de gendarme du monde à celui d'hégémon régional : Contrairement à la SSN de Biden pour 2022 (qui met l'accent sur les alliances et la compétition entre grandes puissances) ou à celle de Trump en 2017 (qui qualifiait la Chine et la Russie de révisionnistes), ce document met fin au "fardeau perpétuel" des États-Unis à l'étranger. Il privilégie les Amériques par rapport à l'Eurasie, reléguant l'Europe et le Moyen-Orient au second plan.

• Recul idéologique : La promotion de la démocratie est explicitement abandonnée - "nous recherchons des relations commerciales pacifiques sans imposer de changement démocratique" (qu'on le dise aux Vénézuéliens !). Les régimes autoritaires ne sont pas jugés et l'UE est qualifiée d'"antidémocratique".

• Relations conflictuelles avec les alliés : L'Europe fait face à de vives critiques concernant l'immigration, les restrictions à la liberté d'expression et les risques d'"effacement civilisationnel" (par exemple, les bouleversements démographiques qui rendront les nations "méconnaissables dans 20 ans"). Les États-Unis promettent de soutenir les partis européens "patriotiques" qui résistent à cette situation, ce qui provoque chez les dirigeants européens des accusations rappelant celles du Kremlin. »

Une autre critique intéressante à suivre est celle d'Alexander Mercouris , bien sûr. D'une façon générale, Mercouris est très mitigée, notamment sur la vision du type 'doctrine de Monroe' de l'Amérique Latine, une vision qui envisage un retour à une domination absolue...

« Comme un retour sur le passé... D'ailleurs, beaucoup de choses dans ce document sont un retour sur le passé... »

Même jugement sur les parties concernant le Moyen-Orient, la Chine, etc. En fait, le morceau de choix est bien l'Europe, non seulement les relations avec l'Europe mais la critique dévastatrice de l'Europe. Et l'on voit le calme et mesuré Mercouris lire plusieurs passages avec une délectation évidente, surtout les plus polémiques, allant même jusqu'à signifier son complet accord.

Mercouris ne cache pas qu'il s'agit, selon son jugement, de la partie la plus importante du document, et lui-même insistant plus qu'à son tour sur la critique civilisationnelle...

« Ce document révèle des informations cruciales sur les relations avec l'Europe. il faut dire que les commentaires sur l'Europe sont absolument et totalement cinglants. Il indique que l'Europe continentale a vu sa part du PIB mondial chuter de 25% en 1990 à 14% aujourd'hui. D'ailleurs, il en va de même si l'on utilise les chiffres de la parité de pouvoir d'achat pour les États-Unis eux-mêmes. Je dis ça en passant. Et il précise que cela est dû en partie à des réglementations nationales et transnationales qui nuisent à la créativité et à l'activité.

» "Ce déclin économique est toutefois éclipsé par la perspective réelle et plus sombre d'un déclin civilisationnel de l'Europe. Les grands enjeux auxquels l'Europe est confrontée incluent les activités de l'Union européenne et d'autres instances transnationales qui sapent la liberté politique et la souveraineté, les politiques migratoires qui dénaturent le continent et créent des conflits, la censure de la liberté d'expression et la répression de l'opposition politique, la chute vertigineuse du taux de natalité et la perte des identités nationales et de la confiance en soi.

» "Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent sera méconnaissable d'ici 20 ans, voire moins. De ce fait, il est loin d'être évident que certains pays européens disposeront d'économies et de forces armées suffisamment robustes pour demeurer des alliés fiables. Nombre de ces nations persistent dans leur voie actuelle. Nous voulons que l'Europe reste européenne, qu'elle retrouve sa confiance civilisationnelle et qu'elle abandonne son approche réglementaire étouffante et inefficace."

» Et ailleurs dans le document, il est dit qu'il est même possible que le caractère de certains pays européens change complètement au cours des 20 prochaines années. Ils pourraient cesser d'être européens à long terme. Il est plus que plausible que d'ici quelques décennies au plus tard, certains membres de l'OTAN deviennent majoritairement non européens. Dès lors, la question reste ouverte de savoir s'ils envisageront leur place dans le monde ou leur alliance avec les Etats-Unis de la même manière que ceux qui ont signé la charte de l'OTAN.

» Eh bien, je peux absolument garantir que les dirigeants européens seront furieux. Ils bouillonneront de colère en lisant... quelque chose comme ça. »

Bien entendu, après avoir lu ce passage du programme de Mercouris, il paraît opportun de rappeler celui qu'on a lu chez Johnson, qui s'exprime également en termes très concrets, annonçant officiellement l'intention des USA de soutenir avec des moyens qu'on suppose éprouvés ("révolution de couleur") les oppositions "patriotiques" :

«...Les États-Unis promettent de soutenir les partis européens "patriotiques" qui résistent à cette situation, ce qui provoque chez les dirigeants européens des accusations rappelant celles du Kremlin. »

Il reste bien sûr à voir si cette stratégie sera appliquée, si Trump aura les moyens et la capacité de le faire, s'il ne sera pas rattrapé d'ici là par une casserole brûlante qui aura sa peau. Le document va enflammer l'opposition démocrate comme il enflamme d'ores et déjà l'Europe, mais les démocrates simplement parce que c'est Trump et nullement pour nos beaux yeux, à nous Européens...

Il est vrai que, pendant ce temps-là et pour tout arranger, l'UE ressemble à un vieux 'Titanic' construit en un bois pourri singulièrement rongé par le cancer préféré des démocraties, qui est le cancer généralisé de corruption... Finalement, n'est-ce pas, voilà bel et bien le seul caractère démocratique qu'affichent la Commission européenne et les diverses institutions, - mais avec quelle vigueur, quelle main ferme pour présenter l'obole à ses lobbyistes et divers influenceurs-Système, avec en plus une place d'honneur réservée aux dames, - pour satisfaire les féministes, cela.

Qu'importe : appliquée ou pas, cette stratégie a été officiellement écrite et actée. La grande bataille interne de l'Europe a été portée sur la place publique, comme dirait en soupirant de bonheur le gentil Raphaël Glucksmann. Il va enflammer un débat déjà grondant comme un incendie et faire plus encore chuter les chiffres de la popularité des gouvernants dans les sondage des gouvernements, jusqu'à donner une légitimité aux oppositions "patriotiques" qui pourraient éventuellement demander désormais leur adhésion à l'OTAN, et peut-être même emporter dans la tourmente quelques généraux pourtant si bien rétribués par LCI.

... Car, que va-t-il se passer à l'OTAN ? Que vont faire les uns et les autres, déjà divisés entre eux sur des problèmes essentiels, de ces officiels américanistes portant sur eux le regard officiel et méprisant de la stratégie trumpiste ? Que vont faire tous ces pays en voie complète de décadence sous les coups délicieux d'une sulfureuse auto-flagellation de ces bases US constellant l'Europe et devenant de facto des boutefeux encourageant les opposition des gouvernements en place ? Dès lors, les vigilants chercheurs de FakeNews pourront s'atteler à chercher les interventions étrangères au niveau de l'information, désormais beaucoup plus dans le gouvernement US que venant des Russes pourtant jugés épouvantables.

Donc, un document des plus intéressants. Nous nous sommes permis d'emprunter une fois de plus à la talentueuse Helena Fritz son analyse du document NSS-2025, dans son style à la fois extrêmement concis et tout autant précis pour nous suggérer les points principaux et les possibilités de développement dans la logique qu'ils établissent. Elle aussi, bien entendu, s'attache particulièrement au traitement fait à l'Europe, sur son site 'Telegram', - 'Elena Fritz Global Forum',  du 5 décembre.

Notre conclusion ?

Oh, elle sera bien modeste, et comme d'habitude, à notre façon, juste de quoi refermer la parenthèse de notre commentaire.

Eh bien ! Nous dirions que les dieux nous observent cette fois avec une certaine passion, comme si nous étions à une finale de Wimbledon (british oblige, sous surveillance du MI6), eux dans les tribunes officielles et nous sur le court bien entendu. Surprise surprise ! Ils ne font pas que rire d'un air moqueur, il y a aussi quelque chose de grave en eux, comme s'ils avaient de la peine à comprendre. Ils se disent : "Mais quelle folie de fureur et de chaos... Comment donc en sont-ils arrivés là ?" Excellente question, nous allons former une commission d'enquête...

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07/12/2025 dedefensa.org  2min #298326

 L'ébranlement en cavalcade

Un message crucial pour l'Europe

Elena Fritz

Les États-Unis ont redéfini leur ordre stratégique. Le point le plus important pour nous, en Europe, est le suivant :

Les États-Unis abandonnent l'aire atlantique et alignent toute leur structure sur l'Indo-Pacifique.

L'Europe n'est plus le cœur stratégique, mais une région secondaire administrée.

Quelles sont les conséquences pour nous ?

• L'Europe ne sera plus dirigée, mais simplement stabilisée.