08/11/2025 reseauinternational.net  4min #295711

L'Europe achète américain et espère que ça vole

par Mounir Kilani

Entre achats américains et équipements souvent défaillants, l'Europe se réarme... mais reste dépendante. Un panorama ironique des ratés et absurdités de la défense européenne.

On nous vend la «souveraineté européenne» à grand renfort de discours solennels et de communiqués victorieux. Pendant ce temps, sur le terrain, les faits dessinent une autre réalité, plus douce-amère, où la farce le dispute au tragique. Feuilletons ce catalogue des armements défaillants, où chaque pays y va de son anecdote savoureuse.

Belgique : les F-35 ou l'ivresse des cimes sans ciel

Le 13 octobre 2025, cérémonie à Florennes : trois F-35 belges, fleurons de la technologie américaine, se posent sous les applaudissements. Le quatrième, plus timide, reste cloué au sol aux Açores, victime d'une «maintenance non planifiée». Un symbole presque trop parfait. Pour la modique somme de 5,6 milliards d'euros, la Belgique a acquis 34 de ces «Ferrari des airs». Le hic ? Son espace aérien est trop exigu pour y former ses pilotes. Il faudra donc payer un supplément pour les envoyer s'entraîner... en Italie. On achète des avions sans avoir de ciel où les faire voler : l'élégance de la dépendance.

Suisse : les drones frileux des Alpes

La neutre Confédération, elle aussi, succombe aux sirènes de l'atlantisme. Pour 250 millions de francs suisses, elle s'offre en 2015 six drones israéliens Hermes 900. Problème : ces engins sophistiqués refusent de voler dès que le thermomètre flirte avec le zéro. Après dix ans de réflexion, l'été 2025 devrait sceller l'abandon pur et simple du programme. Kafka s'invite au-dessus des glaciers : la neutralité armée se mue en neutralité paralysée.

Allemagne : le Puma, bête de somme... à la retraite anticipée

Le Puma, blindé supposé indestructible, participe à un exercice de tir. Dix-huit engins sont engagés ; dix-huit connaissent des pannes - moteurs, électronique, tourelle. La Bundeswehr, sans surprise, ressort ses vieux Marder, des modèles datant de 1970. La robustesse teutonne serait-elle devenue un mythe ?

Royaume-Uni : l'Ajax, sourd et lent

Le programme Ajax est une merveille d'efficacité... dans l'absurde. Coût : 6,3 milliards de livres sterling. Ses vibrations sont si violentes que 330 soldats ont perdu l'audition, cinq étant même réformés. Lors des essais, sa vitesse fut limitée à 30 km/h. Livraison reportée à 2029. Un bijou de technologie, assurément.

Norvège : des sous-marins... sans torpilles

La Norvège commande six sous-marins U212 CD pour 5,5 milliards d'euros. Première livraison prévue en 2029. En attendant ? Aucune torpille lourde compatible avant 2032. Les vieux Ula, datant de 1989, assureront le service minimum. L'art de commander un costume sur mesure sans prévoir de boutons.

L'Est n'est pas en reste : le club atlantiste s'agrandit

Et comme la solidarité transatlantique n'a pas de frontières, l'Europe de l'Est rejoint joyeusement le bal des déconvenues : la Pologne avec ses Leopard 2A8 qui prennent 3 ans de retard, la Roumanie avec son Patriot «urgent» livré en 2027, la Bulgarie avec son F-16 cloué au sol 6 mois. Preuve que l'Est aussi sait payer la note atlantiste avec élégance.

Le théâtre d'ombres

Theo Francken, ministre belge de la Défense, brandit la menace de Moscou : «Si Bruxelles est frappée, l'OTAN rasera Moscou». Medvedev se contente d'un laconique : «Imbécile». Pendant ce temps, en Europe, les chaînes de montage tournent au ralenti, comme si la guerre était mise en veilleuse... ou que l'absurde gouvernait les usines.

Les chiffres du SIPRI 2025 sont éloquents : entre 2020 et 2024, 64% des armes importées par l'Europe viennent des États-Unis, avec une augmentation de 105% en cinq ans. L'Europe finance l'industrie d'outre-Atlantique... et paie le prix fort pour des équipements souvent défaillants.

Ce faisant, l'Europe creuse son déficit commercial stratégique tout en affaiblissant sa propre base industrielle.

Conclusion en forme de paradoxe

On nous vante la «base industrielle européenne», la «souveraineté stratégique»... mais le scénario reste inchangé : on achète américain, on paie le prix fort, on attend les livraisons, et on brandit la menace de l'Est quand tout flanche. Alors, la grande question : quand relancerons-nous nos propres usines ? La réponse ? Peut-être bientôt... si tout fonctionne comme prévu. Ce qui, hélas, est rarement le cas.

La situation rappelle cette phrase de Clemenceau : «La guerre est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des militaires». Aujourd'hui, confier la défense européenne aux seuls fournisseurs américains relève du même pari risqué : on paie cher, on attend des livraisons, et on espère que tout fonctionnera... un peu comme si l'absurde avait pris le commandement.

sources :

 rts.ch
 zonebourse.com
 defensenews.com
2025%20AT%20Press%20Release%20FRE.pdf

 reseauinternational.net