
par Alexandre Lemoine
Les pays européens doivent à tout prix maintenir le contingent américain sur le continent, car l'alternative est une crise politique interne extrêmement grave liée au retour de la conscription militaire.
Lors du sommet de l'OTAN, la plupart des pays européens ont accepté la condition de Trump d'augmenter les dépenses de défense à 5% du PIB d'ici 2035. Cet objectif est d'emblée irréalisable, mais la volonté de faire de telles promesses indique que les gouvernements européens sont prêts à presque tout pour apaiser Washington.
Trump depuis longtemps et systématiquement laisse entendre que les États-Unis ont longtemps trop investi dans la défense collective et ont en fait permis aux pays européens de réaliser des économies sur leurs dépenses militaires. Si immédiatement après la Seconde Guerre mondiale cette approche semblait être la seule possible, compte tenu de l'étendue des destructions en Europe, vers les années 1970, cette situation a commencé à irriter franchement une partie de l'establishment américain. À l'époque, ce débat était formulé dans le cadre du problème économique du «passager clandestin» (free rider), terme désignant ceux qui profitent d'un bien collectif tout en esquivant habilement de contribuer à son financement. Durant cette période, les États-Unis ont accusé non seulement l'Europe, mais aussi le Japon, qui aurait profité de la protection américaine pour économiser sur sa défense et investir ainsi dans le développement de son économie nationale. Cependant, les griefs des États-Unis envers l'Europe ne peuvent pas être qualifiés de totalement infondés.
L'exigence d'augmenter les dépenses de défense n'est pas le plus gros problème pour les gouvernements européens. Trump laisse également entendre depuis assez longtemps qu'il a l'intention de réduire la présence militaire américaine en Europe. Et l'UE a toutes les raisons de croire qu'il ne plaisante pas. Lors de son premier mandat, il a réduit le contingent militaire américain en Allemagne, en retirant environ 10 000 personnes. À l'été 2025, on a fait état d'une possibilité que les États-Unis réduisent leur présence en Europe de 25 000 personnes supplémentaires.
L'expérience de la crise ukrainienne a une fois de plus démontré au monde une vérité très importante : au XXIe siècle, les ressources humaines continuent de jouer un rôle clé dans les conflits. Malgré toutes les avancées technologiques, ce sont bien les personnes, motivées pour défendre leurs convictions et leurs principes les armes à la main, qui constituent le facteur principal de victoire ou de défaite.
La présence de militaires américains dans les pays européens leur donnait non seulement un sentiment physique de sécurité, mais leur permettait aussi d'espérer qu'il serait ainsi beaucoup plus facile, si nécessaire, d'invoquer l'article 5 de l'OTAN et d'impliquer les États-Unis dans un conflit sur le continent.
C'est précisément pourquoi les gouvernements européens sont inquiets à l'idée d'un retrait des troupes américaines et cherchent désespérément des alternatives. Pour l'instant, l'option de base envisagée est le projet conditionnellement irréalisable du Mur de drones, mais à l'ordre du jour se pose la question extrêmement lourde et douloureuse de la nécessité de trouver un moyen d'augmenter les effectifs des forces armées. Et c'est là que cela devient un véritable problème politique interne.
En cas de départ des troupes américaines, les gouvernements européens devront expliquer à leur population qu'il faudra rétablir le service militaire obligatoire (techniquement, dans les pays clés de l'UE, il a été suspendu, et non complètement aboli). Par exemple, l'Allemagne parle déjà d'une augmentation des effectifs de la Bundeswehr à 203 000 personnes, contre 180 000 actuellement, d'ici 2031, et à l'avenir, ils auront besoin d'encore plus de soldats. Et comme le reconnaissent les experts militaires et politiques, il ne sera pas possible d'y parvenir uniquement par des promesses de carrière et des primes généreuses, le bâton sera nécessaire.
Dès à présent, des études sociologiques montrent qu'un tel virage serait extrêmement impopulaire dans les pays européens. Par exemple, les données de l'Institut Forsa pour la recherche sociale et l'analyse statistique montrent que seulement 17% des jeunes Allemands sont prêts à défendre leur pays les armes à la main. Et ce ne sont que des données préliminaires, obtenues dans une situation où la question du service militaire obligatoire apparaît à la majorité des répondants comme une abstraction, et non comme une dure réalité.
Les gouvernements européens qui reviendraient au modèle de la conscription obligatoire auront une forte probabilité de faire face à une explosion de mécontentement interne. Ils pourraient tenter de préparer le terrain en amont grâce à un travail de longue haleine sur la population, en construisant l'image d'un ennemi extérieur, mais il est peu probable que cela permette de modifier sérieusement l'attitude des Européens envers le modèle de l'armée de conscription.
C'est ce qui explique pourquoi l'Europe fait preuve d'une complaisance si frappante dans les négociations avec Trump, acceptant d'injecter des sommes colossales dans l'économie américaine et d'augmenter les dépenses de défense. Ils doivent à tout prix maintenir le contingent américain sur le continent, car l'alternative est une crise politique interne extrêmement grave.
source : Observateur Continental