19/01/2021 tlaxcala-int.org  31 min #184455

L'Holocauste, le militarisme et les conseils de Machiavel : comment la peur s'est emparée d'Israël

 Eva Illouz אווה אילוז إيفا إيلوز

Israël est peut-être l'État le mieux défendu au monde, mais l'existence de son peuple repose sur un ethos de peur constante

Soldats, près du kibboutz Be'eri, travaillant à l'extinction des incendies déclenchés par les ballons incendiaires envoyés de Gaza l'été dernier. Photo Ohad Zwigenberg

Dans son célèbre manuel pour les souverains, dédié à Laurent de Médicis, Niccolò Machiavelli conseille à son prince éponyme d'apprendre à susciter l'amour et la peur chez ses sujets. Être aimé et craint en même temps est la meilleure façon d'exercer le pouvoir, mais s'il faut choisir entre les deux, conseille Macchiaveli, mieux vaut être craint, car la crainte du prince le protégera et maintiendra l'ordre social (à condition que le prince ne soit pas cruel). La peur (inculquée aux autres) est sans doute l'émotion la plus appréciée des tyrans, la plupart, sinon tous, l'utilisant pour construire leur régime.

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Au cours de sa courte histoire (inférieure à l'espérance de vie moyenne de la population mondiale), Israël a été impliqué dans une dizaine de conflits ou guerres militaires et dans d'innombrables opérations comprenant des bombardements, des frappes aériennes et des incursions dans des territoires. Bien qu'Israël ne soit pas le seul pays à être engagé dans des conflits prolongés, il est l'un des rares États à avoir mené un conflit armé avec tous ses voisins, à avoir un conflit militaire continu de faible intensité avec une population enchevêtrée avec la sienne, et à identifier 20 % de ses citoyens comme étant alignés avec des ennemis (potentiels ou réels). Israël est donc tout à fait unique en ce sens qu'il est défini par les ennemis situés hors de ses frontières, par les ennemis proches de ses non frontières et par la présence (réelle et imaginaire) d'ennemis similaires à l'intérieur de ses frontières. En ce sens, Israël affiche ce que le juriste nazi Carl Schmitt a défini comme l'essence du « politique » : c'est-à-dire la distinction claire qu'il fait entre ami et ennemi, et son potentiel de guerre (avec l'ennemi) et de meurtre. (C'est la raison pour laquelle le théoricien du régime nazi méprise le libéralisme, précisément pour son effacement du rôle constitutif de l'inimitié en politique). Peu de pays sont construits aussi solidement qu'Israël sur la distinction entre l'ami et l'ennemi. Cette distinction est profondément ancrée dans la société, la politique et la morale israéliennes.

L'Holocauste a changé à jamais la conscience juive, tant en Israël que dans la Diaspora. Le génocide des Juifs d'Europe a donné un sens presque métaphysique à l'antisémitisme, faisant apparaître la haine des Juifs comme éternelle, inévitable et totale, faisant partie de l'ordre de l'univers. Les grands ennemis ont pris des formes diverses, mais tous faisaient partie d'une chaîne infinie du mal : Amalek, les Romains, l'Inquisition chrétienne, les fermiers polonais qui ont mené des pogroms - tous semblaient faire partie d'une chaîne historique dont le sommet était Hitler. C'est ainsi qu'a été créé le récit central qui façonne la conscience juive moderne : le monde a commencé à être défini par son intention et sa détermination à détruire les Juifs.

Cette perception a progressivement façonné l'attitude des sionistes envers les Arabes. En revanche, en 1923, le leader révisionniste Ze'ev Jabotinsky ne comprenait pas l'opposition de la population arabe au sionisme comme étant antisémite, la considérant plutôt comme la résistance naturelle d'une population autochtone à une force colonialiste. Alors que le conflit militaire en Palestine s'intensifiait et que l'antisémitisme commençait à être perçu comme la force centrale de l'histoire juive, le rejet du sionisme par les Arabes en est venu à être considéré comme une continuation de l'antisémitisme historique. La notion de « ils veulent nous jeter à la mer » recèle un mélange d'hostilité arabe anticolonialiste réelle et d'intrigue et de personnages typiques du subconscient juif qui a été façonné par le traumatisme antisémite.

Le motif qui occupait une place centrale dans la pensée des dirigeants sionistes était la survie. En avril 1956, dans le cadre d'une série de combats contre les soldats égyptiens et les fédayins, Roi Rotberg, un agent de sécurité de 21 ans du kibboutz Nahal Oz, a été tué et son corps mutilé. L'éloge funèbre prononcé par le chef d'état-major des forces de défense israéliennes, Moshe Dayan, est devenu l'un des plus influents de l'histoire israélienne : « Ne rejetons pas la faute sur les meurtriers. Que pouvons-nous dire contre leur terrible haine à notre égard ?... Nous sommes une génération de colons, et sans le casque d'acier et le feu du canon, nous ne pourrons pas planter un arbre et construire une maison. Nos enfants n'auront pas de vie si nous ne creusons pas d'abris, et sans la clôture en fil de fer barbelé et la mitrailleuse, nous ne pourrons pas paver des routes et puiser de l'eau. Des millions de Juifs, qui ont été massacrés en l'absence d'un pays, nous regardent depuis les cendres de l'histoire israélienne et nous ordonnent de nous installer et de reconstruire un pays pour notre peuple... Ne reculons pas à la vue de la haine qui consomme et remplit la vie de centaines de milliers d'Arabes qui nous entourent et anticipent le moment où ils pourront verser notre sang. Ne baissons pas les yeux, de peur que nos bras ne s'affaiblissent. Tel est le destin de notre génération ».

Le discours de Dayan est un excellent exemple de ce qui deviendrait un modèle de pensée significatif dans la psyché israélienne. Dayan place au centre de la conscience israélienne les Juifs qui ont été tués dans le monde entier tout au long de l'histoire. La nation doit agir en pensant à eux. Les Arabes deviennent un monolithe, plein de haine, qui continue et reflète l'ancienne menace de destruction. Le langage de Dayan assimile la puissante armée nazie aux fédayins mal armés qui attaquaient les colons israéliens. Ainsi, les fils barbelés et les mitrailleuses deviennent inévitables, une part d'une lutte nécessaire pour la survie.

Selon les mots de l'historien Idith Zertal, l'ennemi - c'est-à-dire les Arabes - a subi la nazification, même si cet ennemi n'avait aucun lien avec le massacre des Juifs d'Europe. En 1982, tout en expliquant pourquoi il a mené la première guerre du Liban, le Premier ministre Menachem Begin a déclaré « L'alternative à cela est Treblinka, et nous avons décidé qu'il n'y aura pas d'autre Treblinka. » Par conséquent, le Liban n'était pas seulement une mission militaire, mais une occasion de réparer l'histoire des Juifs.

Moshe Dayan. Photo Moshe Friedan, GPO

L'autodéfense sioniste a commencé par un ensemble de milices qui se battaient sur trois fronts : contre les autochtones arabes, contre les autorités britanniques et contre d'autres groupes clandestins juifs (Lehi, Haganah, etc., entre eux). Ces trois fronts simultanés ont fait du combat militaire un élément clé de l'identité sioniste naissante. La plupart des luttes nationales s'achèvent une fois l'État créé. Les soldats sont démobilisés et rendent leurs armes à cet État, qui passe à la tâche de construire ou de reconstruire une société civile. Mais ce n'est pas le cas en Israël, où la sécurité militaire et les services secrets sont devenus l'âme et la colonne vertébrale de l'appareil d'État, façonnant la politique publique ainsi que le langage et les perspectives ordinaires des citoyens, inculquant ce que le sociologue Baruch Kimmerling a appelé le « militarisme cognitif ». Le militarisme cognitif est une vision du monde dans laquelle la société civile adopte, en bloc, la façon de penser des militaires - les civils sont des militaires en attente, les institutions civiles se préparent constamment à la possibilité d'une guerre, la guerre est l'horizon de la réflexion et de la planification, les problèmes sont conçus comme des questions de sécurité et la victoire est toujours l'objectif.

Deux exemples suffiront à illustrer comment la « sécurité » a façonné le style de gouvernance et la culture israélienne de manière profonde et durable : comme Ronen Bergman le montre dans son remarquable livre Lève-toi et tue le premier, les assassinats ciblés ont été intégrés dans l'appareil d'État d'Israël dès le début. Selon lui, par l'intermédiaire du Mossad, Israël a assassiné plus de personnes que tout autre pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale. Des fonctionnaires britanniques, des scientifiques allemands (d'anciens nazis travaillant avec des Égyptiens pour développer des missiles), des membres de l'OLP, du Hamas, du Hezbollah, des scientifiques nucléaires iraniens - tous ont été régulièrement et presque systématiquement assassinés par Israël afin de les empêcher de développer des armes contre Israël, ou soit pour prévenir une action contre Israël, soit pour exercer des représailles. Cela a été considéré comme allant de soi qu'Israël avait non seulement le droit, mais aussi l'obligation, d'assurer sa sécurité à l'extérieur du territoire, en exécutant des meurtres en dehors des limites de son système juridique (l'État lui-même a une longue histoire de mépris du droit international).

Le deuxième exemple est la démographie, qui dans la plupart des pays est considérée comme une question économique, mais en Israël, est devenue une question de sécurité. La « menace démographique » est devenue une expression ordinaire, facilement compréhensible par tous : le nombre de naissances juives devait supplanter celui des naissances non juives (un point de vue qui rappelle, de façon gênante, celui des tenants de la suprématie blanche, l'un des rares autres groupes pour lesquels la démographie constitue également une menace pour la sécurité).

La sécurité, les combats militaires et la violation de la loi forment une matrice unique au cœur et dans l'âme de la politique et de la psyché israéliennes. Israël est l'un des pays qui consacrent la plus grande partie de leur budget à leur industrie de la sécurité. Il possède les industries de surveillance, de sécurité et de cybersécurité les plus avancées au monde, dont certaines sont spécialisées dans l'aide aux États voyous et aux individus riches pour qu'ils puissent échapper à la loi et commettre divers crimes. Les agences de défense israéliennes peuvent pister les résidents de l'Autorité palestinienne sans limitations importantes.

La sécurité n'est pas seulement une vaste gamme d'armes, de technologies et de techniques. C'est avant tout une idée, un concept et une façon de s'orienter dans le monde. Les concepts qui sont constamment présents dans la conscience et les actions créent des « chemins » de pensée, de sentiment et d'action. La « sécurité » divise le monde entre ennemis et amis.

Ironiquement, un État et une culture qui font de la sécurité leur option par défaut feront également de la peur une partie intrinsèque de la conscience nationale. Imaginez que je marche dans la rue de manière nonchalante, en pensant à la prochaine robe que j'achèterai, puis que j'entre dans un magasin et que je voie deux gardes armés de mitraillettes. Cela changera automatiquement le cours de ma pensée : Je vais soudain prendre conscience de menaces terroristes auxquelles je n'avais probablement pas pensé il y a quelques instants. Les mitraillettes me feront simultanément craindre une menace à laquelle je n'avais pas pensé et me rassureront sur le fait qu'elles peuvent la contrer.

Un État militarisé fonctionne exactement comme cela : l'accent constant mis sur la force et la puissance, les urgences et les menaces militaires, les armes, le langage militaire, la célébration de la victoire et la commémoration des pertes militaires créent une atmosphère de vulnérabilité et de peur. Les forces de sécurité semblent être leur nécessaire et unique refuge. Une fois que la peur est au centre de la psyché collective, le langage de la défense devient inévitable et naturel. La pensée devient automatiquement « nous contre eux », « il n'y aura jamais de paix ».

Le monde est soit pour nous, soit contre nous. C'est le seul prisme à travers lequel de nombreux Israéliens observent la politique internationale. C'est ainsi qu'un dirigeant révoltant comme Donald Trump peut être considéré comme un allié et que son comportement scandaleux est ignoré ou considéré avec bienveillance. C'est parce qu'il appartient au camp des amis. Son « statut d'ami » lui confère une immunité à nos yeux, bien qu'il soit un président dont la stature morale est la plus basse que l'Amérique ait jamais connue.

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La mentalité sécuritaire divise le monde en ennemis et en amis, et c'est pourquoi sa légitimité se nourrit de la peur. C'est également le mode de pensée de base inculqué aux soldats, en particulier ceux qui servent plus près des Palestiniens. Le témoignage d'un ancien soldat en fournit une preuve directe.

Nadav Weiman est directeur adjoint et chef du département de plaidoyer de l'ONG anti-occupation [des territoires occupés en 1967, NdT] Breaking the Silence. De 2005 à 2008, il a servi comme sniper dans une unité d'élite de la brigade Nahal. Lorsque je l'ai rencontré récemment, je lui ai demandé de me dire ce qu'il se rappelait, de son temps de soldat, de sa perception des Palestiniens.

Weiman : « Nous ne les avons pas appelés Palestiniens, mais Arabes. Les Arabes sont une entité, pas des individus ou des gens qui ont des désirs. Ils sont une entité et cette entité est l'ennemi et vous devez avoir peur d'eux tous. Vous avez vraiment peur. On nous dit constamment que les Palestiniens sont des terroristes, qu'ils éduquent leurs enfants au meurtre. J'étais au lycée pendant la deuxième intifada [2000-2005], je suis de Tel-Aviv, les bus explosaient autour de nous, des amis de mon frère ont été tués dans l'armée. Alors quand je me suis engagé, mes amis et moi pensions qu'ils étaient tous des terroristes jusqu'à preuve du contraire. Même une femme enceinte qui passe devant vous peut cacher quelque chose dans son ventre, même un enfant sur le chemin de l'école - son cartable peut contenir des explosifs ».

Où a-t-il appris à voir les choses de cette façon, me suis-je demandé. D'où cal vient-il ? Weiman est-il arrivé à l'armée avec cette notion toute faite, voulais-je savoir. Ou est-ce quelque chose qu'il a acquis pendant sa formation militaire ?

« Je suis arrivé à l'armée avec cette idée toute faite. J'ai été élevé à Ramat Aviv Gimmel [un quartier aisé et laïc], dans le nord de Tel-Aviv, et je n'ai pas parlé à des Palestiniens. J'avais des amis des Scouts de la mer d'Israël à Jaffa, et je n'avais pas réalisé qu'ils étaient Palestiniens. Alors pour moi, les Palestiniens étaient quelque chose de lointain, une sorte d'ennemi qui est au-delà des montagnes obscures. Pendant la deuxième intifada, c'était notre plus grande peur - rencontrer une attaque terroriste. À cet égard, ils [les Palestiniens] sont mauvais et ils sont nos ennemis. Et dans l'armée, on vous apprend cela du matin au soir. Il y a des leçons de « connaissance de l'ennemi » qui vous apprennent qui est votre ennemi. Vous apprenez à connaître les différentes organisations palestiniennes et toutes leurs branches, et quels types d'armes elles possèdent. Et chaque semaine, vous apprenez les problèmes des autres opérations [de l'IDF], où des soldats ont été blessés ou tués.

« Alors, qui m'a appris ? D'une part, la réalité m'a appris, et la peur dans laquelle j'ai grandi, et la famille très militariste dont je suis issu. D'autre part, dans l'armée, on m'a appris qu'il n'existe pas de Palestinien « innocent » ou « coupable » - un Palestinien est soit « impliqué », soit « non impliqué ». Quand nous allions arrêter des Palestiniens, nous les appelions terroristes, et nous ne les avons jamais appelés par leur nom, nous les avons appelés « Johnny ». C'est une sorte de... c'est une sorte de nom [générique] qui les tient à distance. Comme si on venait d'attraper quelqu'un dans le Far West. Nous disions « 'Le Johnny est sous notre garde », « Avec le Johnny en route vers la voiture ». Donc le langage vous tient à l'écart et la réalité vous ramène à la haine et à la colère contre les Palestiniens qui veulent simplement nous tuer.

Nadav Weiman : « Quand nous allions arrêter des Palestiniens, nous les appelions terroristes, et nous ne les avons jamais appelés par leur nom, nous les avons appelés « Johnny ». Comme si on venat d'attraper quelqu'un dans le Far West. » Photo Ilan Assayag

« Arrive le moment où vous terminez votre formation militaire... Vous êtes au sommet du monde... Puis vous atteignez les territoires occupés. Vous allez à la base et vous êtes un soldat avec des armes, et soudain tous les Palestiniens que vous voyez vous regardent avec un regard de peur et de haine. Ils ont terriblement peur de moi parce que je suis un soldat et en une seconde, la situation peut s'envenimer et je ferai ce que je veux - violence ou arrestations ou je ne sais quoi - mais ils me détestent aussi parce que je suis un soldat occupant ».

Weiman raconte comment la peur imprègne tout le service militaire et lui a permis de faire ce qu'un sniper est censé faire : tirer sur l'ennemi. Sans sa propre peur, il serait en fait beaucoup plus difficile de déshumaniser les Palestiniens ou d'être inconscient de la peur qu'ils ressentent. La peur est un moyen de guerre.

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Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a intuitivement compris que la peur est au cœur de l'âme israélienne, et il a utilisé cette compréhension sans relâche, de manière manipulatrice - non pas pour l'intérêt collectif (comme on pourrait soutenir que David Ben-Gourion l'a fait) mais pour ses propres intérêts électoraux. Le commentateur politique Peter Beinart a très bien résumé la situation : « Pour Benjamin Netanyahou, Israël est toujours confronté au même ennemi. Appelez-le Amalek, appelez-le Haman, appelez-le l'Allemagne nazie - il cherche la même chose : la destruction du peuple juif ».

La peur est l'outil politique le plus sûr et le plus à portée de main de Netanyahou, et cela peut expliquer comment il est devenu le premier ministre le plus longtemps en fonction dans l'histoire d'Israël.

La peur fait partie de la stratégie politique de Netanyahou depuis le début. Lorsqu'il a fait passer le Premier ministre Yitzhak Rabin pour un traître en 1995, il savait déjà comment créer un climat de peur autour des accords d'Oslo. Dans son discours de 2015 devant le Congrès usaméricain, où il a condamné l'accord nucléaire avec l'Iran, Netanyahou a déclaré que l'époque où les Juifs étaient passifs face à un ennemi meurtrier était révolue. Chaque fois que la question de l'Iran est soulevée, il diabolise la République islamique en évoquant l'analogie avec l'Holocauste, qui cloue le bec à tout le monde. Et pour vaincre les Palestiniens, il va jusqu'à inventer le bobard que c'est le mufti de Jérusalem, le Hajj Amin al-Husseini, qui aurait suggéré aux nazis l'idée de la Solution finale.

Lors de la conférence de Munich sur la sécurité en 2018, Netanyahou a parlé de l'Holocauste, et au Forum mondial de l'Holocauste à Yad Vashem en janvier dernier, il a parlé de sécurité, mêlant parfaitement cette idée et la Shoah. Une fois qu'il a estimé que les défis politiques et diplomatiques constituaient des menaces d'anéantissement, Netanyahou a écarté la possibilité de discussions stratégiques sérieuses. Il a plutôt créé deux camps : l'un qui défendrait la survie de l'État d'Israël et un autre qui le menacerait. Ainsi, il a qualifié de dangereux les membres arabes de la Knesset et les organisations des droits humains arabes, et a fait ce que les dirigeants fascistes font habituellement : tracer une ligne droite entre les ennemis extérieurs et les ennemis intérieurs. Il a introduit la peur à l'intérieur des frontières d'Israël et a fait de la gauche et de ses partenaires arabes un ennemi, équivalent aux autres ennemis, extérieurs et potentiels.

La peur est devenue le principal contenu politique de la droite israélienne. Plus sa politique se heurte à la réalité de la démographie palestinienne, plus la droite devient dépendante de l'instillation d'un sentiment de peur.

Comme la crise du coronavirus le montre encore plus clairement, la peur, tant imaginaire que réelle, est un puissant outil politique. Elle l'emporte sur toutes les émotions et considérations. Elle rase toute l'arène politique. La peur est le commandant en chef de toutes les émotions. Par conséquent, quiconque exploite la peur de manière crédible est capable de commander l'arène politique. Les citoyens doivent faire preuve d'une extraordinaire sobriété d'esprit pour voir à travers le bluff des manipulateurs de la peur et pour distinguer les menaces réelles de celles qui ont été inventées. Les citoyens, comme ceux d'Israël, qui vivent dans l'ombre de grands traumatismes historiques et sont mentalement et émotionnellement formés pour vivre dans la peur et la combattre, n'ont pas et ne peuvent pas avoir la maturité politique des citoyens véritablement démocratiques. Ils cèderont toujours à leur peur.

Dans l'Israël d'aujourd'hui, la peur est si dominante que même ceux qui se présentent contre Netanyahou ont recours à un langage sécuritaire brutal. Même le leader de Kahol Lavan, Benny Gantz, qui a cherché à se positionner comme l'alternative morale à Netanyahou, s'est vanté que pendant la guerre de 2014, lorsqu'il était chef d'état-major de l'IDF, il a renvoyé des parties de la bande de Gaza « à l'âge de pierre » et s'est vanté que 1 364 Palestiniens ont été tués dans les hostilités.

Cela souligne la perte totale de la boussole morale dans l'arène politique.

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La peur dont joue sans relâche Netanyahou est très différente de celle que ressentent les gens ordinaires qui vivent sous la menace des missiles et des roquettes lancés depuis Gaza. La peur qu'il invoque est sans cesse manipulée et manipulatrice. Il mélange les faits et la fiction. Elle est intégrée dans des histoires d'annihilation et de victoire.

Pour comprendre ce que nous pouvons appeler la « vraie peur », bien différente de la peur fictive, avant le déclenchement de la pandémie, je me suis rendue avec Avital Sicron, étudiante en maîtrise de sociologie à l'Université hébraïque de Jérusalem, au kibboutz Nir Yitzhak, dans le nord-ouest du Néguev, la même région, adjacente à Gaza, où Roi Rotberg a été tué il y a près de 70 ans. J'ai interviewé trois femmes du kibboutz, Esty, Hava et Ofra, qui vivent toutes les trois dans ce kibboutz depuis l'âge de 20 ans. Elles sont arrivées dans la région il y a 45 ans, en 1975, avec le mouvement de jeunesse socialiste-sioniste Hashomer Hatzair. Leur intention était de coloniser la terre et de créer une présence juive dans les coins reculés du pays. Dans la cuisine spacieuse et propre d'Esty, nous avons eu une longue conversation autour d'une tasse de thé chaud, et j'ai essayé de comprendre ce que l'on ressent lorsqu'on vit avec une peur constante.

Je leur ai demandé comment leurs sentiments sur la vie, et plus particulièrement sur la vie près de la frontière avec Gaza, avaient changé au fil du temps.

Netanyahou. Chaque fois que la question de l'Iran est soulevée, il diabolise la République islamique en évoquant l'analogie flagrante avec l'Holocauste. Photo Emil Salman

Hava : « Je peux dire que je faisais tout le temps de l'auto-stop, et nous n'avions pas du tout peur. Les Arabes circulaient aussi sur cette route, et nous n'avions jamais peur. Je pense que l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de vivre ici était la distance [du centre] et le calme. C'était calme. Maintenant, ça ne l'est plus. Je pense que c'est arrivé progressivement. Gaza était ouverte, nous y sommes allés en visite, vers 1976. Puis des colonies ont commencé à s'y installer et les Arabes n'ont plus été autorisés à utiliser nos routes. C'était progressif, pas soudain. Je pense que lorsque les colonies de Gaza ont été évacuées [en 2005], c'est là que les tirs ont commencé ».

Ofra : « Ça a commencé petit. Aujourd'hui, c'est grand. Petit, ç veut dire que ça n'était pas encore vraiment effrayant. Nous n'avions pas de système d'alerte aux raids aériens, les attaques n'étaient pas annoncées à la télévision. Ce n'était pas encore organisé, nous n'étions pas encore protégés. L'armée nous a dit de rester dans le couloir [quand il y avait des roquettes].

« Nous étions très naïfs, pensant que si nous tenions dans le couloir, tout irait bien. J'ai réalisé le danger quand un enfant a été tué au [kibboutz] Nahal Oz, alors qu'il était dans sa maison, qui était protégée [par des murs fortifiés]. C'est la première fois que je me suis rendue compte que des gens en mouraient. C'est dangereux. C'était il y a environ cinq ans. Je ne connais pas les noms des opérations [à Gaza]. Je sais que lorsque [les attaques de roquettes après le retrait des colonies] ont commencé, ma fille était adolescente, et elle avait l'habitude de m'appeler, et je lui ai dit de se tenir dans le couloir. C'est devenu une partie de notre routine habituelle. Puis ils ont commencé à protéger les bâtiments et ont ajouté une mamad [« espace résidentiel sécurisé », une pièce normale mais renforcée au sein de la maison, Net] dans chaque maison. Même avant cela, ils avaient recouvert de ciment tous les bâtiments des enfants, les jardins d'enfants. Et à chaque fois qu'il y avait un incident, nous devions y amener les enfants ».

Hava : « À cette époque, nos maisons n'étaient pas encore protégées. »

Esty : « Les gens dormaient dans les jardins d'enfants. »

Ofra : « Au début, je le sentais à peine. On passait à autre chose après chaque événement. Et puis un bon ami du kibboutz Nirim a été tué. Le jour même où ils ont dit que la guerre [Opération Bord de Protection, 2014] était terminée, un missile a frappé le kibboutz et a tué Ze'ev [Etzion] et Shahar [Melamed]. Ze'evik [diminutif de Ze'ev, NdT] était un ami. Sa femme travaille ici, dans les jardins d'enfants. C'était effrayant. »

Esty : « Quand c'est calme, je suis dans le déni. Je n'y pense pas. Mais quand quelque chose arrive, même un petit quelque chose, comme quelques « alertes rouges », peut-être même pas ici, ça me paralyse. Je ne quitte pas la maison, je m'assois près de la mamad. Je planifie à l'avance mes pauses toilettes et ma douche. Ça me paralyse ».

Ofra : « Nous avons transféré notre lit dans la mamad. »

Esty : « On l'a fait aussi. »

Ofra : « C'est l'option la plus sûre. »

Alors, qu'est-ce que vous avez arrêté de faire ?

Ofra : « Je ne quitte pas le kibboutz quand je me promène. Parce que j'ai peur d'être en terrain découvert quand ça arrive. Alors, je marche dans la cour, le long de la clôture. Et même là, après un incident, il me faut environ une semaine pour retourner me promener. C'est effrayant. Ma fille se promenait [pendant une attaque]. Je ne l'oublierai jamais. Elle m'a appelé, terrifiée ; ils tiraient, elle était au milieu, et il n'y a rien que vous puissiez faire, vous êtes complètement impuissant.

« Quelquefois, les missiles sont passés juste au-dessus de nos têtes. Vous entendez ce sifflement. Je ne peux pas le décrire. C'est comme une douleur physique. C'est avant l'alerte rouge. On a l'impression d'avoir une crise cardiaque. Et puis vous entendez un boum. Je ferme les yeux et j'attends qu'il tombe, pour qu'on sache où il est tombé. Une fois, il est tombé très près de ma maison, près du bétail. Vraiment près. Et il y a eu un silence pendant quelques instants. Tu as peur de bouger parce que tu ne sais pas ce que tu trouveras quand tu ouvriras la porte. »

La peur, la vraie peur, s'empare de ces femmes et a transformé leur vie. Leurs propres maisons ont commencé à porter les traces de la peur : leurs habitudes à l'intérieur de la maison, les fenêtres, les promenades quotidiennes, les réunions de famille, la conduite automobile, et même le fait de se tenir à l'intérieur de sa maison - tout cela est devenu la marque et le signe de la peur que leur vie puisse soudainement prendre fin, à tout moment.

Un abri au kibboutz Nir Yitzhak

Ami Ayalon était un soldat modèle, un général de l'IDF et un récipiendaire de nombreuses médailles qui a servi comme commandant de la marine israélienne de 1992 à 1996. Après l'assassinat d'Yitzhak Rabin en 1995, Ayalon est devenu chef du service de sécurité du Shin Bet, et a fait quelques incursions dans le domaine de la politique sur une liste que l'on pourrait qualifier de centre-gauche. Je l'ai interviewé au siège d'AKIM, une organisation à but non lucratif qui aide les personnes handicapées, dont il est le président.

Ayalon : « Pour les Israéliens, les événements passés - l'exil de Babylone, l'exil d'Espagne, les pogroms, l'Holocauste - sont ancrés dans le présent. C'est le seul État au monde dont les citoyens ne sont pas certains de sa survie dans un avenir proche - d'ici 40 ans. Le concept de menace existentielle est une réalité quotidienne pour de nombreux Israéliens. C'est une partie de l'ADN qui façonne la perception de la sécurité.

Ami Ayalon. « En ces temps de peur, nous n'élisons pas un leader qui nous donne une meilleure éducation, une meilleure santé ou une meilleure culture. Nous votons pour des dirigeants qui sont les meilleurs pour tuer nos ennemis ». Photo AP

« L'État d'Israël est le mieux défendu au monde, contre toute menace de missiles, de roquettes, d'avions, de terreur ; nos frontières sont fermées. Il n'y a pas d'autre État aussi protégé en termes de paramètres quantifiables, quand on mesure la quantité et la qualité de l'armée et de ses systèmes, par rapport aux menaces quantifiables auxquelles nous sommes confrontés. Mais les citoyens israéliens se sentent moins en sécurité que ceux de la plupart des pays, peut-être même moins que n'importe quel autre peuple. Cet écart entre la défense [l'aspect quantifiable de la sécurité] et la sécurité [le sentiment existentiel de sécurité] est la base de notre comportement, qui façonne la perception israélienne de la sécurité ».

La peur, dit Ayalon, est la clé de la psyché collective israélienne, même si, en même temps, le pays a le système de défense-sécurité le plus fort du monde. Cela signifie que la peur des Israéliens n'a aucun rapport avec les défenses réelles qui les protègent. Il va plus loin :

« Dans une réalité de peur, les citoyens préféreront toujours la sécurité aux droits [humains et civils], surtout s'il ne s'agit pas des droits de la majorité, mais des « autres ». Ceux-ci sont perçus comme une menace. Les tribunaux ont eu cette ligne de conduite dans des guerres dont la fin est limitée, comprenant que les droits peuvent être « mis de côté » au nom de la sécurité, mais la guerre contre le terrorisme n'a pas de fin limitée. Donc, à chaque fois, nous leur enlevons un peu plus de leurs droits... Un dirigeant rationnel aurait dû reconnaître qu'une société effrayée s'effondre sur elle-même, il fera donc tout pour créer un sentiment de sécurité, mais les dirigeants doivent être réélus. Ainsi, à une époque de peur, nous n'élisons pas un dirigeant qui nous donne un meilleur système d'éducation, une meilleure santé ou une meilleure culture : nous votons pour des dirigeants qui sont les meilleurs pour tuer nos ennemis, qui sont les meilleurs pour « appuyer sur le bouton rouge ».

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La principale contribution de Netanyahou à la politique israélienne est la fusion de deux types de peur. Le politologue usaméricain Corey Robin fait la distinction entre la peur qui crée l'unité nationale (en temps de guerre, par exemple) et la peur qui se fonde sur les clivages et l'inégalité au sein d'une société. Netanyahou a réussi à utiliser le premier type de peur pour générer le second type de peur : la peur de l'ennemi arabe engendre la peur de la gauche.

La peur est l'émotion la plus utile pour les dirigeants car elle permet de créer et de justifier ce que Carl Schmitt appelait les états d'exception, c'est-à-dire des situations inhabituelles qui nécessitent des règlements supérieurs à l'État de droit (le recours aux assassinats ciblés par Israël est un exemple de cette réponse « d'urgence »). En d'autres termes, la peur permet un contrôle social gratuit et un contournement des lois sans frais.

La peur permet de gouverner par le chaos, et de faire du chaos et du désordre un mode de gouvernance. Plus le sentiment de chaos est grand dans un pays (parce que les services publics sont négligés, parce que les groupes sociaux sont de plus en plus opposés les uns aux autres, parce que certains groupes sont définis comme des ennemis), plus le besoin d'un leader fort qui soulagera la peur et l'anxiété se fait sentir. Gouverner dans le chaos est donc un résultat essentiel de la peur en tant qu'émotion publique.

Comme le suggère le remarquable témoignage de Nadav Weiman de Breaking the Silence, la peur peut transformer l'ennemi en une entité incompréhensible, un animal caché dans l'obscurité, invisible et dangereux, quelqu'un que nous ne pouvons ni voir, ni saisir, ni comprendre. Ainsi, il est beaucoup plus facile de tuer, torturer, harceler, arrêter ou terroriser quelqu'un qui est défini comme l'ennemi, lorsque le mot est vidé de tout contenu autre que la peur qu'il suscite en moi.

La peur privilégie toujours la droite politique, puisque c'est toujours la droite qui n'hésite pas à suspendre les droits de l'homme et les libertés civiles pour affirmer son pouvoir. Comme l'a écrit Brian Michael Jenkins dans un article de 2013, An Incremental Tyranny, « La démocratie n'exclut pas la soumission volontaire au despotisme. Une population effrayée exige une protection ».

Écoutez à nouveau Ofra et Esty du kibboutz Nir Yitzhak :

Ofra : « C'est incroyable, les changements que le kibboutz a subis. C'était totalement à gauche avant. Certaines personnes [qui n'étaient pas de gauche], ont rejoint le kibboutz mais certaines ont changé de camp. De gauche à droite, ou au centre. »

Esty : « À cause de ces choses, qu'ils voient différemment. Ils rejettent toujours la faute sur l'autre côté. »

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La peur est l'alliée de la droite car c'est l'émotion qui justifie le mieux l'utilisation de la puissance brute et la perpétuation de l'hostilité.

L'armée a toujours été profondément impliquée dans la société israélienne. Cependant, ce qui est nouveau dans la société israélienne, c'est qu'au cours des trois dernières décennies, le mélange de l'industrie de haute technologie, de l'industrie de la sécurité et de l'armée a atteint une quasi-perfection, rendant le militarisme cognitif encore plus profond.

Cela représente un changement radical par rapport à la culture des sociétés démocratiques. Comme Rosa Brooks, juriste et ancienne analyste du Pentagone, le suggère dans son livre éclairant de 2016, How Everything Became War and the Military Became Everything [Comment tout est devenu guerre et l'armée est devenue tout] les sociétés humaines ont, tout au long de l'histoire, tracé des lignes claires entre la guerre et la paix, entre les guerriers et les civils, et cela est d'autant plus vrai dans une société démocratique. Dans les sociétés dites primitives, des groupes utilisent des peintures de guerre et des rituels d'initiation pour transformer les hommes en guerriers, et lorsqu'ils retournent dans la société civile, ils doivent également subir des rituels de réintégration. La raison en est, comme le soutient puissamment Brooks, que ce qui est permis en temps de guerre devient moralement et légalement inacceptable en temps de paix. Tuer d'autres personnes en temps de paix est un crime, mais en temps de guerre, on peut recevoir une médaille. Cependant, lorsque la frontière entre tuer en temps de paix et en temps de guerre devient floue, cela crée une violation régulière et routinière des normes et valeurs démocratiques fondamentales.

Une culture politique habituée à la peur tolérera et même commandera les violations des droits humains fondamentaux au nom de la sécurité, et peut finir par créer une culture politique proto-fasciste.

Enfin, l'effet le plus significatif et le plus mortel de la peur est qu'elle nous empêche de comprendre que l'ennemi a également peur, tout comme nous. La peur nous empêche de comprendre que l'ennemi vit également dans la peur et que les Israéliens créent des conditions de terreur et de peur pour les autres.

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Nisreen Alyan est avocate et directrice de la Clinique pour le multiculturalisme et la diversité à

l'Université hébraïque. Elle représente les Arabes vivant à Jérusalem-Est.

« Lorsque vous vivez à Jérusalem-Est », dit-elle, « vous devez pouvoir prouver que votre résidence principale se trouve là, sinon vous pouvez être expulsé de votre maison. Imaginez que vous ayez tout le temps peur de perdre votre maison. Vous craignez constamment de vous trouver au mauvais endroit ».

Les habitants de Jérusalem-Est ne jouissent pas d'un droit humain fondamental, que la plupart des gens dans le monde considèrent comme acquis : le droit à la citoyenneté et le droit de se sentir en sécurité en tant que propriétaire de leur maison. Ils sont apatrides et donc totalement dépourvus de toute protection et de toute défense. Dans cet état de dépossession politique, ils courent le risque de perdre leur maison, la source même de l'identité de la plupart des gens.

Une enquête de 2010 a montré que parmi les Juifs israéliens, 54 % craignaient qu'eux-mêmes ou leurs proches puissent être attaqués par des Arabes dans leur vie quotidienne, tandis que 43 % ne s'inquiétaient pas. Parmi les Palestiniens, 75 % craignent d'être attaqués, ou de voir leurs biens confisqués ou leur maison rasée par les forces israéliennes, tandis que 25 % disaient ne pas s'inquiéter. L'écrasante majorité des Palestiniens vivent dans la crainte constante d'être dépossédés du droit le plus fondamental : avoir un foyer, avoir un travail ou avoir un État.

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Certaines personnes - peut-être la plupart - transforment leur peur en haine, surtout lorsque cette peur est sans cesse manipulée par des dirigeants intéressés à semer la division, à s'emparer de plus de pouvoir et à justifier l'autoritarisme et la suprématie religieuse et ethnique. Mais d'autres personnes parviennent à aller au-delà de leurs propres peurs, au-delà des mécanismes automatiques de pensée et de sentiment que la peur produit. Les trois femmes que j'ai interviewées, Ofra, Esty et Hava, dont j'ai pu admirer la force et l'esprit au cours de nos conversations, offrent un exemple frappant de ce que cela pourrait être.

Votre attitude envers les Arabes a-t-elle changé au fil des ans ? A la fois en tant qu'individus et en tant que communauté ?

Ofra : « Je suis devenu plus pro-Aaabe. »

Hava : « Je suis devenu plus pro-arabe » : « Je pense toujours que nous devons leur parler. Les gens ne sont pas d'accord avec moi, mais je pense toujours que sauver l'endroit où je vis ne peut se faire que si nous parlons avec eux ».

Ofra : « Tout ce dont nous vous avons parlé ici, la protection et l'argent [dépensé par le gouvernement], ils [les Palestiniens] n'en ont pas. Pas de protection, pas de communauté, pas d'aide médicale, rien ».

Hava : « Pourquoi ne seraient-ils pas furieux ? »

Esty : « Ils n'ont plus rien à perdre. »

Ofra : « Je pense qu'ils sont extraordinairement créatifs. Aujourd'hui, un paquet de ballons incendiaires attachés à un ballon de football a été envoyé [de Gaza]. La première chose que j'ai dite à mes petits-enfants a été : « Attention, n'y touchez pas ». Un ballon avec des explosifs est tombé dans la cour de récréation ici : heureusement, les enfants n'étaient pas là. C'est le genre de chose qui me rend anxieuse, depuis que les petits-enfants sont nés. »

Hava : « Quand ils ont commencé avec les ballons, je me suis demandée comment il se faisait que ça ne soit pas arrivé plus tôt. Parce qu'ils n'ont rien à perdre. C'est tellement créatif, d'utiliser un ballon, si simple, que vous ne le trouverez nulle part ailleurs. Et sur quoi ou qui vous allez tirer [en représailles] quand ce ballon atterrit ici ? »

C'est difficile de ne pas être de « son propre » côté ? De s'identifier davantage à l'autre côté, parfois ?

Ofra : « Pas pour moi. »

Hava : « Moi non plus. »

Ofra : « Parfois, j'entends les gens dire : 'nous devons les frapper fort'. Je ne réponds même plus. Qui reste-t-il là-bas à frapper ? »

De toutes les émotions politiques, la peur est la pire, parce qu'elle place nos biens les plus précieux - la liberté et la démocratie - entre les mains de dirigeants indignes, parce qu'elle étouffe la pensée complexe et parce qu'elle efface la moralité et encourage l'autosatisfaction. Les dirigeants indignes gouvernent par la peur. Ce n'est pas par hasard que l'on se souvient de Caligula, l'abominable et cruel empereur romain du 1er siècle, pour avoir dit de ses citoyens : « Oderint, dum metuant », Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  haaretz.com
Publication date of original article: 01/01/2021

 tlaxcala-int.org

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