Erno RENONCOURT
Manifestement le second mandat de Donald Trump provoque des ondes géopolitiques d'une fulgurance inouïe sur l'échiquier mondial. Et cela se ressent violemment sur les théâtres géopolitiques globaux, notamment européens ; mais aussi sur le théâtre local états-unien. Toutefois, il est surprenant de voir la sidération et le désarroi que ces ondes chaotiques, pourtant soupçonnées, voire annoncées, provoquent chez les Européistes. Et c'est justement ces postures que nous voulons problématiser dans cette tribune : montrer que la sidération et le désarroi des leaders européens devant la nouvelle orientation, priorisant « l'âge d'or de l'Amérique » au détriment des alliances surannées, que Trump veut imprimer à la géostratégie mondiale, relève respectivement de l'impuissance et de l'insignifiance. Toute la valeur de cette problématique tient au fait que derrière ces deux postures de corps et d'esprit, il y a la manifestation évidente d'un profond impensé stratégique. Dans cette tribune en deux actes, nous nous proposons de prouver que cet impensé stratégique, parce qu'il est au vrai la caractéristique d'une déficience culturelle dont font montre toutes les élites occidentales et même celles dites progressistes du monde, peut s'imposer comme la variable explicative de l'invariance des crimes du capitalisme et du triomphe des idées fascistes partout sur la planète.
Et pour ce faire nous explorerons les questions suivantes : D'où vient ce vide stratégique observable partout dans les hautes sphères décisionnelles du monde ? En quoi ce vide, manifeste chez ceux et celles qui ont le privilège du savoir et du pouvoir (politique et économique), est-il une mesure de l'effondrement de l'imaginaire culturel et de l'érosion de l'identité des peuples sous la poussée des déviances globalistes imposées comme valeurs universelles ? Si ce lien entre impensé stratégique et déficience culturelle est avéré, ne peut-il pas inversement expliquer l'alliance stratégique Poutino-Trumpienne, qui disloque le logiciel culturel globaliste, non pas comme un simple calcul pragmatique entre deux autocrates, pour partager le butin des terres rares ukrainiennes, mais comme la conjonction de vue entre la Russie de Poutine et l'Amérique de Trump sur des valeurs traditionnelles fortes qui placent l'identité au centre de la vie des nations ? Cette nouvelle donne parce qu'elle redessine le paysage politique mondial ne traduit-elle pas ce que Marcelo Ramirez appelle « L'obsolescence des idéologies classiques » ?).
L'onde de choc du déminage de fond
Il n'est pas exagéré de dire que la tornade Trump 2.0 a fait émerger de nouvelles failles tectoniques tout le long de la forteresse du capitalisme globalisé et wokisé. Et vraisemblablement, certains ne s'y attendaient pas, ou s'y étaient mal préparés. Pourtant, tous ceux et toutes celles doués de bon sens, savaient que, vu le positionnement irréfléchi des leaders européens contre Trump, depuis sa mise hors jeu, lors des élections de 2020, par l'État profond, et tenant compte de leur posture de servilité vis-à-vis du mandat de Joe Biden, lequel n'était objectivement qu'un troisième mandat déguisé de Barack Obama, et oui, tous ceux et toutes celles qui sont capables de penser dans la critique savaient que ce nouveau mandat de Trump allait se faire sur fond de fissures et de violents coups de griffes revanchards. Mais forcément, ceux et celles qui ont déserté la pensée critique ne s'attendaient pas à voir le 47ème président des États-Unis porter de tels coups de massue contre les structures opaques de l'État profond étasunien (USAID, CIA, FBI, Médias Mainstream, Big Pharma) et de l'État globaliste, dont l'Union Européenne est la face visible. Et la volonté de faire mal est si grande chez Trump, qu'il a su constituer autour de lui une véritable équipe de démineurs de fond (Elon Musk, J. D. Vance, Tulsi Gabbart, Kash Patel, Robert Kennedy Jr.) dont chacun semble avoir obtenu mandat pour s'attaquer à une strate spécifique de l'État profond, et cela dans ses ramifications tant locales (États-Unis) que globales (reste du monde).
D'ailleurs, les confirmations de Tulsi Gabbart, de Kash Patel et de Robert Kennedy Junior à leur poste ont ceci d'intéressant qu'elles ont froissé les médias mainstream occidentaux, qui ont vu, dans leur profil, le casting le plus controversé de Donald Trump. De fait, les médias occidentaux s'attendaient à ce que ces trois mousquetaires échouent leur test au Sénat des EU. Pour cause, ils sont les plus fidèles parmi les fidèles de Trump et partagent plusieurs de ses vues postulées comme étant complotistes :
• L'État profond, dans ses structures locales américaine et globales, entretient des liens étroits avec les réseaux terroristes ;
• Les réseaux terroristes un peu partout dans le monde ne sont que des failles creusées par la CIA pour donner au monde les plis qui conviennent au Grand Barbare Occidental ;
• Les interventions de l'USAID dans les pays du Sud ont été des opérations de déstabilisation des structures étatiques de ces pays en leur substituant une armée d'ONG instrumentalisée pour promouvoir les droits de l'homme et le LGBT ;
• La Russie a été contrainte de réagir en Ukraine à force de provocation de l'OTAN,
• Les vaccins contre la COVID19 étaient imposés, malgré leur inefficacité connue, pour supporter Big Pharma dans ses stratégies obscures ;
• La justice des pays européens est de plus en plus instrumentalisée au service de l'ordre globaliste et wokiste ;
• La majorité des médias mainstream occidentaux et dans le monde sont subventionnés par les fonds de l'USAID.
Ces données, une fois reliées entre elles, permettent de comprendre pourquoi les médias de grand chemin, en bons chiens de garde de l'ordre globaliste, ont pris pour cible les principaux artilleurs de l'équipe de Trump, en les qualifiant d'être tous d'être peu qualifiés et tous adeptes de la théorie du complot. Et c'est leur reliance structurante qui nous autorise à problématiser la sidération (impuissance) et le désarroi (insignifiance) des Européistes et des globalistes devant le nouveau mandat de Donald Trump. Puisqu'à l'évidence, les signaux avant-coureurs de cette onde de choc étaient ressentis, longtemps avant les élections, partout sur la planète. Mais ce qui nous importe le plus est de savoir si la bonne appropriation de cette problématique de fond peut augurer des brèches pour des lignes de résistance innovantes hors de l'invariance ?
Des déviances culturelles à l'impensé stratégique
En seulement moins d'un mois après sa prise de fonction, l'agent orange de Poutine, comme le FBI l'appelle secrètement, a provoqué des ondes porteuses de lourdes incertitudes pour les globalistes. Tous ceux et toutes celles, qui imprudemment avaient vendu la crinière orange de Trump avant de lui avoir coupé la tête, se retrouvent déstabilisés et en perte de repère. D'où la sidération de l'Europe, notamment de ses élites insignifiantes et de son armée de merdias, d'analystes toutologues et d'éditorialistes télégraphistes de la CIA qui avaient ouvertement pris fait et cause contre Donald Trump depuis les évènements du 6 janvier 2021.
Mais la sidération de cette caste d'incompétents vient surtout du fait que depuis la crise sanitaire de la COVID19, elle n'a pas cessé de s'enfoncer dans le déni du réel et d'enfumer l'opinion publique internationale, en promouvant les récits les plus improbables et en soutenant les politiques les plus dénuées de sens ; pourvu que cela conforte la vision des élites globalistes et transhumanistes. Or ce sont ces élites globalistes et transhumanistes qui sont la cible prioritaire de Donald Trump. Ce qui explique, sans doute, son rapprochement stratégique avec Poutine. Et pour cause ! Par-delà tout ce qui les oppose, la Russie de Poutine et l'Amérique de Trump se rejoignent dans une vision partagée de défense des valeurs qui renforcent la culture traditionnelle et l'identité des peuples. Si les élites occidentales et certaines factions progressistes et gauchistes du monde sont si déstabilisées par les stratégies de Poutine et de Trump, c'est parce qu'elles ont depuis longtemps abandonné le socle culturel et identitaire, traditionnel et authentique, qui forge la valeur de toute pensée stratégique d'un point de vue étatique.
Et c'est loin d'être un détail, car comme le savent tous ceux et toutes celles qui pensent dans la complexité, « une culture gagnante peut élever la stratégie vers des hauteurs insoupçonnées » : Alain Charles Martinet, " Stratégie et pensée complexe Ê, Revue française de gestion, No 93, 1993) ; (Jiyul Kim, " Dimension culturelle de la stratégie et de la politique ", Revue ASPJ Afrique et Francophonie, 2010). L'erreur d'une certaine gauche, désemparée depuis la chute du mur de Berlin en 1989, est d'avoir ignoré le poids de la culture dans les choix stratégiques. Ce qui explique leur alignement inconditionnel sur les valeurs universelles et leur soumission aux injonctions globalistes du capitalisme wokisé. Cette gauche, en pertes de repères idéologiques depuis 1991, a cherché à survivre en fuyant vers le centre et en s'arcboutant aux impostures du développement durable, de la lutte contre le réchauffement climatique, des injonctions droits de l'hommiste et transhumanistes ; alors qu'elles ne sont que des déviances culturelles promues à dessein pour mieux effondrer l'imaginaire collectif et l'identité culturel des peuples, et briser leur résistance face au totalitarisme du marché. Une perspective que Pierre Bourdieu avait explicitée depuis 1998, en rappelant que le triomphe du néolibéralisme dépendra de sa capacité à détruire les structures collectives qui peuvent résister et faire obstacle à logique du marché pur.
Or quand on réfléchit bien, et en se rappelant qu'Albert Camus avait suggéré que « tout ce qui dégrade la culture est un raccourci vers la barbarie », on comprend mieux que le virage wokiste pris par le néolibéralisme n'est en réalité qu'un enfumage démocratique et culturel pour abrutir les peuples et les rendre impuissants en les coupant de leurs racines et de leur identité. Ce qui explique aussi l'impuissance des gauches du monde entier devant l'invariance des crimes du capitalisme, car tout en prétendant combattre les structures économiques et politiques du capitalisme, les gauches du monde entier ne souscrivent pas moins aux déviances culturelles et libertaires du capitalisme, oubliant que c'est par la culture que la stratégie se met en actes.
En effet, comme le dit Alain Charles Martinet, « la stratégie se pense et se met en acte parce que des situations posent problème » (" Recherche en stratégie : un problème de granularité ", Revue française de gestion, No 256, 2016). Cela sous-entend qu'entre les problèmes et la stratégie, il y a l'imaginaire culturel comme constructeur de sens et tisseur de liens. C'est à travers ces liens que prend forme le réel par l'interprétation qui permet de relier les événements dans leur contexte pour donner du sens aux incertitudes qu'ils renferment. Et quand l'imaginaire culturel s'effondre, il n'y a plus de place que pour l'impensé stratégique.
Voilà pourquoi le paradoxe Trump, parce qu'il pose problème, a besoin d'être analysé à travers un prisme stratégiquement éclairé. Or les courants progressistes du monde, à force de se soumettre aux injonctions wokistes des élites globalistes et transhumanistes, ont abandonné leur repère identitaire et culturel propre, et se retrouvent déracinés et désarmés devant les incertitudes du monde. L'impensé dans lequel ils vivent les empêche de donner du sens aux événements, car incapables de penser dans la complexité. Or, la stratégie appelle une pensée complexe (Alain Charles Martinet), puisque c'est la complexité qui permet de comprendre que les incertitudes qu'apportent Donald Trump sont plus utiles que certains des mouvements de résistance à gauche ; puisque, tout en mettant à mal les peuples du monde, elles n'amplifient pas moins les failles sous les strates des structures fissurées du capitalisme. Ainsi, tout en étant un suprémaciste et un fasciste convaincu, Donald Trump reste aussi une faille incontrôlée qui peut entraîner des éboulements involontaires sous les strates de la forteresse capitaliste.
D'où notre propos, dans le second acte de cette tribune, de problématiser l'approche primaire avec laquelle certains courants progressistes et gauchistes se positionnent par rapport à Donald Trump. Ils se contentent d'analyser l'individu dans le prisme de leurs certitudes idéologiques, en s'attardant uniquement sur sa face suprémaciste terrifiante et son racisme archi connu. Mais cela relève aussi d'une forme d'impensé, puisque depuis 1991, nous vivons le temps de la fin des certitudes, et cela exige un peu plus de profondeur analytique pour intégrer les incertitudes comme une part d'ombre qui rend compte de l'incomplétude de notre compréhension du réel. D'où le besoin de compétences transversales, de méthodes systémiques et d'intelligence complexe pour approprier le réel non plus en termes de certitudes, mais de possibles à explorer le long des trames incertaines. Et c'est là une propriété chaotique des systèmes sociaux qui est largement méconnue chez ceux qui s'enferment dans des certitudes idéologiques : selon la théorie de la complexité, une fois qu'un système entre dans son état chaotique, les acteurs n'ont aucun pouvoir pour piloter ses structures, et encore moins, s'ils font appel à leurs certitudes. Ils doivent s'en remettre à leur capacité à donner du sens aux évènements en tenant compte que chaque onde de turbulence contient à la fois des incertitudes et des lignes de fuite vers états d'équilibre adaptés aux perturbations et qui parce que s'éloignant du connu, ouvrent la voie à l'inconnu, source d'innovation et d'inespéré (Soufyane Frimousse, " Domptez l'imprévisible et l'incertain ", 2022, EMS).
Manifestement, être militant et avoir des convictions de gauche ne suffit plus face à l'incertitude du monde. Le théâtre mondial d'aujourd'hui est plus complexe, dynamique et connecté que jamais. Il faut donc une capacité analytique pour approprier les événements non plus pour ce qu'ils sont en eux-mêmes, mais pour le sens qu'ils acquièrent en tentant de les relier à d'autres données. Car rien n'a de sens en soi. De même, Trump en soi, dans ses certitudes suprémacistes et ses convictions racistes, n'est pas l'enjeu du débat. Ce qui est en jeu, ce sont les incertitudes que provoquent les politiques chaotiques qu'il est train de mettre en œuvre depuis bientôt un mois, et qui se révèlent avoir un impact géopolitique déstabilisant, tant pour les peuples du monde que pour les strates opaques du capitalisme globalisé. Dès lors, on ne peut plus approprier Donald Trump comme un ennemi dangereux pour les peuples dignes, mais comme un paradoxe qui peut faciliter l'émergence de nouveaux fronts de résistance, là où il y a de l'intelligence.
Et c'est parce qu'elle a érodé son intelligence que l'Europe se retrouve prise dans les vents contraires que la tornade Trump 2.0 fait souffler sur la face du monde. Et cette déculottée européenne est d'autant plus significative, selon la perspective stratégique ici recherchée comme posture de sursaut des peuples hors de l'impuissance et de l'invariance, que la dernière fois que le monde a connu une détente progressiste, de communion entre les peuples, remonte à la sortie de l'Europe de l'Histoire en 1945. Faut-il rappeler que c'est par sa tentative d'y rentrer à nouveau par effraction et sournoiserie, en passant outre la volonté des peuples, notamment français et néerlandais, qui avaient tous, à une écrasante majorité, rejeté le traité constitutionnel européen, qu'elle est devenue cette menace pour la liberté des peuples, comme l'a courageusement rappelé récemment aux Européens J.D. Vance, le bras droit de Donald Trump ?
Du rêve de puissance par le déni à l'impuissance devant le mépris
En ce sens, l'impensé stratégique des élites européennes explique parfaitement les trois stations de leur impuissance révélée face à l'alliance historique Poutine-Trump. Il y a d'abord la claque de Munich assénée par J.D. Vance et l'exclusion des négociations sur la paix en Ukraine qui symbolise la station de l'humiliation historique. Puis, il y a la station de la convocation diplomatico-guerrière frénétique d'Emmanuel Macron qui révèle tout son côté pathétique et sa posture surmédiatisée, puisque son égo ne supporte pas de se retrouver dans les fosses de l'histoire alors qu'il se prenait pour Jupiter s'envolant vers l'olympe. Et enfin, il y a l'éternelle agitation stérile autour du fossile politique qu'est Zelenski.
Toute cette impuissance révèle que l'Europe n'a existé comme puissance que dans l'ombre du parapluie nucléaire américain. Gonflée par la certitude de la protection qu'offre le parapluie nucléaire américain, l'Europe a cru qu'elle était une puissance et qu'elle pourrait hausser le ton, jusqu'à vouloir infliger une défaite stratégique à la Russie. Ainsi, plutôt que de faire preuve d'intelligence de sécuriser ses frontières par une bonne entente avec la Russie et de défendre les intérêts de ses peuples, l'Europe a préféré sacrifier l'avenir de sa population, brader son économie et exploser son modèle industriel pour faire plaisir aux américains. Comme une va-t'en guerre, assoiffée de sang impur et affamée de cadavres russes, elle s'est mise vent debout, la fleur au fusil, contre la Russie, alors qu'elle est à portée de tir du feu nucléaire russe. Or voilà que le nouveau maître étasunien décide, dans un revirement de stratégie, de faire la paix directement avec la Russie, et d'un commun accord, les deux vrais belligérants conviennent d'exclure et l'Europe et l'Ukraine. Comme jadis en 1945, à Yalta, les Russes et les Étasuniens vont se partager une partie de l'Europe. Et comme toujours, les vaincus et les suiveurs impuissants n'ont pas d'honneur, ils se font toujours exclure, comme des malpropres, du festin des vainqueurs. Tandis que l'Ukraine prend conscience qu'elle a été sacrifiée sur l'autel du business des terres rares et que cette guerre n'était jamais la sienne ; l'Europe, quant à elle, se découvre comme la grande cocufiée de la guerre par procuration que l'Amérique de George Soros, de Bill Clinton, de Bill Gates et de Barack Obama menait contre la Russie par l'Ukraine interposée.
C'est un vrai cataclysme que provoque Donald Trump, seulement un mois après le début de son second mandat. Le timing semble annoncer de grands et profonds bouleversements. Et on comprend toute la stupeur des Européens qui se retrouvent contraints d'assumer leur couillonnerie stratégique et de prendre en mains leur destin qu'ils ont abandonné servilement, depuis 1991, aux mains des EU. Et comme le dit justement Emmanuel Todd, « Emmanuel Todd - « L'Europe est peut-être allée chercher sa mort en Ukraine »Emmanuel Todd - « L'Europe est peut-être allée chercher sa mort en Ukraine » ». Et l'abasourdissement des leaders européens, devant le mépris que leur témoigne désormais le nouveau maître du monde, dit la profondeur de leur impensé stratégique, et leurs postures de révolte contre l'axe Trump-Poutine ne sont au vrai que des supplications pour obtenir une petite place à la table des puissants. Mais dans leur impensé, ils ne comprennent pas cette vérité révélée par Emmanuel Todd : Les américains méprisent les Européens pour leur servilité.
De l'impuissance à l'insignifiance
Devant cette impuissance pathétique, ma pensée va particulièrement au président français, Emmanuel Macron : car à se prendre dans ses rêves de puissance pour Jupiter, à traiter les pauvres qui n'ont rien de n'être rien, à insulter les dirigeants Africains et Haïtiens, en les assimilant à des cons ou à des ingrats et se découvrir soi-même, n'être, soit qu'un simple marche pied sur lequel le maître américain se hisse, soit un chiffon sur lequel il s'essuie les bottes selon son vouloir, a quelque chose de pitoyable et de révoltant. Tout au moins pour ceux et celles qui sont dignes. Et c'est là le problème : l'Europe a-t-elle encore des élites dignes pour la sortir des trois stations de son impuissance que sont l'humiliation pathétique, la surmédiatisation frénétique et l'agitation stérile ?
Façonnés et profilés, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, dans le moule de la servitude atlantique, particulièrement depuis l'effondrement du bloc de l'Est en 1991, les dirigeants européens ne s'attendaient pas à se faire empoigner, bousculer, culbuter avec une telle violence et rejeter avec un tel mépris par leur maître américain. Mais de fait, au-delà de leur impuissance réelle face à la nouvelle gouvernance que veut imprimer Donald Trump au monde, ils se retrouvent comme de nobles insignifiants qui quémandent une place à la table des puissants. Tel est le spectacle déprimant que vient une nouvelle fois de donner les Européistes qui, sous la houlette d'Emmanuel Macron, ont formé à la hâte un conseil de guerre de 8 fantassins prompts à défier l'axe stratégique Poutine Trump. Mais ces agitations ne trompent plus personne, puisque tout le monde connaît le tempo du « verbe à moitié vide » de la diplomatie européenne pour reprendre le mot que Vincent Hervouët a si bien formulé, pour parler de la diplomatie française sous la macronie. Toute une insignifiance anoblie !
Et tout le drame est là. Les leaders européens ne se rendent pas compte qu'ils ne sont que des moins que rien. Vassalisés par l'Empire étasunien pour se faire protéger de la menace communiste, alors qu'ils vivaient dans l'illusion d'une alliance de protection entre pairs, les Européistes n'ont pas compris que les repères du monde avaient basculé, et que les idéologies qui justifiaient en 1945 l'existence de l'OTAN étaient devenues obsolètes depuis 1991. Mais loin de prendre la mesure de ce changement de repère, pour repenser leur stratégie par rapport à l'Empire et prendre en mains leur destin de peuple de manière souveraine, ils ont vécu les trente dernières années dans une si grande démesure de leurs postures serviles vis-à-vis de l'Empire, qu'ils ont laissé transparaître, derrière leurs impostures, autant leur impuissance que leur insignifiance. Voir Macron qui gesticule vouloir poursuivre la guerre contre Poutine, alors qu'en coulisse il appelle le découpeur de journaliste de l'Arabie Saoudite pour lui demander une place sur la photo de souvenir, est assez pitoyable.
Mais au lieu d'analyser les errances stratégiques, les déviances culturelles qui les ont conduits à cette impuissance, ils foncent dans le mur du déni et s'arcboutent à leur rêve d'en découdre avec la Russie. La guerre est leur seul projet ! Parallèlement, les médias de grand chemin, qui relaient leur propagande, et dont la plupart étaient financés par les fonds obscurs de l'USAID (l'aurait-on su officiellement sans Donald Trump et ses démineurs de fond ?), continuent d'abrutir l'opinion publique mondiale en lui laissant croire que la Guerre en Ukraine est du seul fait de la Russie et qu'elle n'a commencé qu'en février 2022. Pas un seul n'a la décence de rappeler que si les accords de Minsk, entre la Russie et l'Ukraine en 2015, avaient été respectés et garantis par l'Allemagne et la France, il n'y aurait pas ce bain de sang, ce gâchis humain et cette hystérie qui fait vaciller le monde entre toutes les peurs d'un dérapage nucléaire.
L'impensé stratégique s'impose donc comme le mal émergent du globalisme. Mal qui dans ses manifestations impuissantes et insignifiantes structure l'invariance de la géostratégie de la déshumanisation. Et comme tel il invite à une introspection. Et c'est cette introspection qui nous pousse au second acte de notre problématisation. Vu cette déculottée que Trump est en train de mettre aux vassaux impuissants de l'Europe, qui sont de fait la rampe de lancement du globalisme et du transhumanisme, ne faut-il pas une pensée d'ouverture pour approprier plus stratégiquement les politiques que Trump est en train de mener durant son second mandat ? Faut-il éternellement se verrouiller sur la focale du prisme militant et s'interdire de penser les antagonismes du monde en termes de possibles divergents structurants pourvu que cela concourt à préserver l'humain et sa dignité ? Il ne s'agit pas de sympathie envers les idées fascistes et suprémacistes de Trump, mais d'une pensée intelligente qui permet de voir, contre toute myopie, l'impact déstabilisant des politiques de son second mandat sur quelques-unes des structures les plus opaques et les plus puissantes du capitalisme globalisé. Ce sera le but de notre prochain article : questionner la myopie progressiste qui empêche de voir que si la tornade Trump 2.0 parvient à faire boguer le logiciel culturel du globalisme, elle ouvre de ce fait la voie à des fissures par lesquelles les invariants stratégiques du capitalisme peuvent s'éroder.