L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, rassemblant des représentants de 47 pays européens, a récemment adopté une résolution visant à inscrire explicitement le « droit à un environnement sain » dans la Convention européenne des droits de l'Homme. La reconnaissance d'un tel droit permettrait à la Cour de statuer directement sur les violations des droits humains causées par les dégradations environnementales. Par ailleurs, début octobre, ce même droit a officiellement été élevé au rang de droit humain à l'issu d'un vote au Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies. Encourageante, cette reconnaissance en droit international pourrait directement participer au développement du droit environnemental, et ainsi offrir de nouveaux outils juridiques pour lutter contre les effets dévastateurs du changement climatique. Toutefois, bien que fort peu développé dans les paysages juridiques internationaux, le droit à un environnement sain a déjà été consacré en tant que droit humain dans de nombreux pays à travers le monde, avec sans grande surprise, des effets assez limités...
Portée par le député écologiste belge, Simon Moutquin, la résolution visant à consacrer le droit à un environnement sain dans la Convention européenne des droits de l'Homme a été unanimement soutenue par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. « Les générations actuelles sont d'ores et déjà confrontées à de graves crises sociales et environnementales, d'où le caractère très réel des menaces que les problèmes environnementaux font peser sur la jouissance des droits humains. En Europe, la pollution atmosphérique est responsable à elle seule d'au moins 753.000 décès prématurés par an et nuit gravement à la santé publique, y compris à celle des générations futures » 1 , expose le député dans son rapport.
Par ailleurs, il a également été recommandé d'élaborer un protocole additionnel à la Charte sociale européenne sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable afin de rendre ce droit juridiquement applicable dans tous les pays qui le ratifieraient.
Actuellement, bien que la Convention européenne des droits de l'Homme et ses protocoles additionnels ne reconnaissent pas officiellement le droit à un environnement sain en tant que droit humain, les dégradations environnementales ont été implicitement prises en compte par l'application des droits et libertés déjà garantis par la Convention 2. En effet, sur base des articles 2 et 8, qui garantissent respectivement le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour européenne des droits de l'homme a statué sur des questions relatives au droit à un environnement sain. Hélas, cette voie indirecte n'assure pas une protection suffisante de l'environnement.
Même son de cloche aux Nations Unies
Le 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a officiellement reconnu que le droit de disposer et d'évoluer dans un environnement sain constituait un droit humain à part entière. Alors que 13,7 millions de personnes meurent chaque année des conséquences du réchauffement climatique, soit 24,3% du nombre total de décès annuels dans le monde, et que ces conséquences pourraient causer jusqu'à 200 millions de réfugiés climatiques d'ici 2050 3, on ne peut difficilement nier le lien intrinsèque qui unit le droit à un environnement sain à la jouissance effective de nos libertés fondamentales. La résolution proposée par le Costa Rica, les Maldives, le Maroc, la Slovénie et la Suisse a été adoptée par 43 voix pour et 4 abstentions de la Russie, de l'Inde, de la Chine et du Japon.
Pour Lucy McKernan, directrice adjointe pour le plaidoyer auprès des Nations Unies à la Human Rights Watch, « la reconnaissance mondiale de ce droit aidera les communautés locales à défendre leurs moyens de subsistance, leur santé et leur culture contre la destruction de l'environnement. Elle aidera également les gouvernements à élaborer des lois et politiques de protection de l'environnement plus solides et plus cohérentes » 4. Toutefois, Catherine le Bris, chercheuse au CNRS spécialisée dans le droit international, tient à relativiser la portée de cette résolution. Il s'agit là d'une recommandation non contraignante qui n'est pas assortie d'effets juridiques obligatoires. Selon elle, « La grande avancée sera le jour où l'Assemblée Générale des Nations Unies, qui rassemblent tous les états du monde, reprendra ce texte en compte » 5.
Les abstentions de certaines grandes puissances et de certains états émergents révèlent les réticences des États en matière de développement des politiques et actions environnementales qui y voient une possible atteinte à leur souveraineté et des limites à leur développement économique. À cet égard, à quelques jours du démarrage de la COP26 à Glasgow, l'Inde et la Chine n'ont toujours pas déposé leurs nouvelles contributions climatiques nationales, alors que le Japon et la Russie semblent opérer un recul dans leurs ambitions climatiques, menaçant grandement le succès de la lutte globale contre le réchauffement climatique 6.
Par ailleurs, le Conseil a adopté une seconde résolution proposant de nommer un rapporteur spécial pour la promotion et la protection des droits de l'Homme dans le contexte de la crise écologique. Pour une période de trois ans, ce rapporteur travaillera activement dans l'étude des impacts du réchauffement climatique sur les droits humains, et proposera des recommandations annuelles au Conseil visant à lutter contre les dégradations environnementales qui impactent la jouissance et l'intégrité de nos libertés fondamentales.
Les limites du droit à un environnement sain
Actuellement, plus d'une centaine d'États, dont notamment la France, la Belgique, l'Afrique du Sud et la Suisse, ont intégré le droit humain à un environnement sain dans leur constitution ou droit national. Néanmoins, l'accès aux cours et tribunaux pour le respect et la garantie de ce droit reste à ce jour très limité, et n'assure donc pas une protection suffisante de l'environnement.
Ce constat s'explique principalement par le caractère anthropique de la protection de l'environnement qui découle de ce droit. En effet, si l'environnement est in fine protégé par l'application de cette disposition juridique, c'est uniquement parce que les dégradations environnementales causent un préjudice et violent certains droits humains d'un individu. Autrement dit, si l'atteinte à l'intégrité des écosystèmes et de la biodiversité n'interfère pas avec la jouissance du droit d'un individu d'évoluer dans un environnement sain, l'environnement ne dispose d'aucun moyen de protection.
Dès lors, tant que le droit à la vie et au respect de l'intégrité physique et morale ne seront pas accordés aux différentes communautés et entités non humaines, aucun mécanisme ou instrument approprié ne pourra être mis en place pour aborder et atténuer les effets du changement climatique et ses conséquences.
W.D.
1 Assemblée parlementaire, Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d'une action renforcée du Conseil de l'Europe, 13 septembre 2021, disponible sur : pace.coe.int
2 San José, D.G., Environnemental protection and the European Convention on Human rights, Council of Europe Publishing, 2005, disponible sur: echr.coe.int
3 WHO, 24% of all global deaths are linked to the environment, which is roughly 13.7 million deaths a year, 13 septembre 2021, disponible sur: who.int
4 Guarato, J., « L'accès à un environnement sain déclaré droit de l'homme, vraiment ? » in Nature sciences, 11 octobre 2021, disponible sur : natura-sciences.com
5 Ibid., natura-sciences.com
6 Novethic, L'ONU adopte deux résolutions majeures pour le climat, 11 octobre 2021, disponible sur : novethic.fr