par Alfredo Jalife-Rahme
Alfredo Jalife-Rahme a présenté le défi que la Chine pose à l'Amérique latine à l'Institut chinois pour l'innovation et la stratégie de développement (Guangzhou). Doit-elle s'abandonner dans les bras de « l'Oncle Caïman » ou se développer avec l'aide de la Chine millénaire ?

Alfredo Jalife-Rahme à la conférence de l'Institut chinois pour l'innovation et la stratégie de développement (Guangzhou).
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réponse directe à la doctrine Monroe et à son corollaire trumpien, la publication par la Chine d'un document de politique générale de 23 pages sur l'Amérique latine et les Caraïbes (ALC), le troisième en 17 ans, semble avoir précisément cette fonction, puisqu'il est paru 10 jours après La Stratégie de sécurité nationale de la Maison-Blanche, un texte avalisant de profondes mutations [1]. Le document chinois [2] affirme qu'« à l'heure actuelle, des changements sans précédent depuis un siècle s'accélèrent à l'échelle mondiale, entraînant une modification significative de l'équilibre des pouvoirs », et que « les pays du Sud se trouvent dans une position de dynamisme vigoureux ».
Cinq catégories se distinguent dans le texte :
1- Solidarité : dans le cadre de l'Initiative pour la gouvernance mondiale (GGI), avec des réformes (sic), et non une rupture, du système de gouvernance économique mondiale (sic) ;
2- Développement : cela comprend les Routes de la Soie, la coopération énergétique et en matière de ressources, la coopération agricole, l'innovation scientifique et technologique, etc. ;
3- Civilisation : échanges universitaires et entre groupes de réflexion ;
4- Paix ;
5- Connectivité : « de personne à personne », ce qui comprend la coopération pour la réduction de la pauvreté, la coopération touristique, etc.
La politique envisagée n'est pas perturbatrice, mais réformatrice, et le document préconise une « coopération entre les banques centrales et les autorités financières de régulation » afin de « développer les règlements transfrontaliers en matière de change », où « le renminbi jouerait un rôle central et favoriserait les swaps de devises locales », en plus d'une « coopération avec les Panda Bonds » en renminbi.
La Chine occupe déjà la première place mondiale en termes de PIB (mesuré en parité de pouvoir d'achat) et possède les plus importantes réserves de dollars et d'or dans les banques centrales : 3 500 milliards de dollars états-uniens [3]. En matière de coopération économique, l'accent est mis sur « le développement et l'utilisation de l'énergie tout au long de la chaîne industrielle, le renforcement de la coopération dans les secteurs pétrolier, gazier et autres secteurs énergétiques traditionnels », tout en abordant « les domaines émergents tels que les énergies renouvelables, les transports intelligents, les infrastructures numériques et les villes intelligentes ».
Le document met particulièrement l'accent sur la réduction de la pauvreté, domaine dans lequel la Chine fait déjà figure de modèle après avoir miraculeusement réduit le nombre de personnes pauvres de 800 millions en 40 ans, grâce aux réformes de 1978, et de 100 millions en 8 ans, domaine où l'essor remarquable de l'éducation joue un rôle décisif.
La Chine promeut activement le concept de civilisation, forte de son statut civilisationnel long et ininterrompu et de l'héritage de son « État-civilisation » [4], à l'instar de l'Inde et de la Russie, tout en revendiquant un rôle universel puisant dans son prodigieux héritage millénaire. Il y a treize ans, j'avais analysé l'arrivée de la Chine en Amérique latine et dans les Caraïbes : « L'irruption de la Chine en Amérique latine : dragon ou panda ? » [5]. Cinq ans plus tard, Pékin entamait sa domination géoéconomique sur l'Amérique du Sud, comme je l'ai démontré dans mon ouvrage « Guerre multidimensionnelle entre les États-Unis et la Chine » [6].
Parmi les auteurs qui méritent l'attention, citons le marxiste et universitaire britannique Martin Jacques, avec son livre paru il y a 16 ans intitulé Quand la Chine gouvernera le monde : la fin du monde occidental et la naissance d'un nouvel ordre mondial [7] » - soit, chose intéressante, deux ans après le discours prémonitoire de Vladimir Poutine à la Conférence de Munich sur la sécurité [8] et un an après la faillite de Lehman Brothers qui a mis en péril les finances mondialistes du G7.
Progressivement, la Chine s'est positionnée dans le nouvel ordre mondial et a commencé au minimum à cogérer la biosphère lorsqu'elle a proposé depuis 2021 (sic) l'Initiative mondiale pour le développement, l'Initiative mondiale pour la sécurité (2022), l'Initiative mondiale pour la civilisation (2023) et, récemment, l'ICC (2025), comme je l'ai évoqué dans ma présentation à la plénière de l'Institut chinois pour l'innovation et la stratégie de développement à Guangzhou, en Chine [9].
La Chine est en pleine ascension ! C'est maintenant au tour de l'Amérique latine et des Caraïbes de choisir...
Traduction
Maria Poumier
Source
La Jornada (Mexique)
Le plus important quotidien en langue espagnole au monde.
[1] « Estrategia de Seguridad Nacional (ESN) de Trump : ¿Rusia Salva(rá) a EU ? », Alfredo Jalife, YouTube, 12 de diciembre de 2025. « Le Pentagone adopte la vision Trump du monde », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 10 décembre 2025.
[2] China's Policy Paper on Latin America and the Caribbean, December 10, 2025.
[3] « Reserves of foreign exchange and gold », CIA World Fact Book.
[4] « Why the civilization-state is fundamental to understanding China's past and future », GMW, August 30, 2024.
[5] China irrumpe en Latinoamérica : ¿dragón o panda ?, Grupo Editor Orfila (2012).
[6] Guerra multidimensional entre Estados Unidos y China, Grupo Editor Orfila (2020).
[7] When China Rules the World : The End of the Western World and the Birth of a New Global Order, Martin Jacques, Penguin (2012).
[8] « La gouvernance unipolaire est illégitime et immorale », par Vladimir Poutine, Réseau Voltaire, 11 février 2007.
[9] Ponencia en la plenaria de la Ceremonia Inaugural en Guangzhou (China) , Alfredo Jalife, YouTube, 11 de diciembre de 2025.