Une « crise mondiale des droits humains » nourrie par « des pratiques autoritaires auxquelles se mêle la cupidité des grandes entreprises »... C'est le verdict implacable du dernier rapport annuel d'Amnesty International visant 150 pays. L'ONG y pointe la montée en flèche des régimes autoritaires, la répression brutale de la dissidence et un « effet Trump » aux répercussions globales. Lecture d'un terrible bilan.
« Nous vivons une crise mondiale des droits humains, comme jamais auparavant ». Ces mots, signés d'Agnès Callamard, secrétaire générale de l'organisation, ouvrent la préface d'un rapport qui dénonce des tendances alarmantes en matière de droits humains. En effet, la situation est critique, alimentée par l'inaction face aux inégalités, face au dérèglement climatique ainsi qu'aux bouleversements politiques menaçant les générations futures.
« Nous vivons une crise mondiale des droits humains, comme jamais auparavant ».
Autoritarisme, répression, inégalités : le constat accablant d'Amnesty International
Paru en avril, le document consacre un long passage aux cent premiers jours de la présidence américaine.
Il y dénonce un « effet Trump » qui, loin d'être anecdotique, aurait accéléré l'érosion des acquis internationaux en matière de droits fondamentaux : « Donald Trump ne montre qu'un profond mépris pour les droits humains. Son gouvernement a rapidement et délibérément ciblé des institutions et des initiatives américaines et internationales essentielles qui visaient à rendre notre monde plus sûr et plus juste », déplore Agnès Callamard.
Elle poursuit : « son attaque généralisée contre les concepts mêmes de multilatéralisme, d'asile, de justice raciale, de justice de genre, de santé mondiale et d'action vitale pour le climat exacerbe les dommages considérables que ces principes et institutions ont déjà subis et encourage d'autres dirigeants et mouvements anti-droits à se joindre à son offensive ».
Le panorama mondial dressé par Amnesty est glaçant. Répressions violentes, intensification des conflits armés, inertie climatique, attaques ciblées contre les droits des personnes migrantes, des femmes, des filles et des personnes LGBTI : les atteintes se multiplient.

« À moins d'une volte-face mondiale, chacune de ces régressions va encore s'aggraver en 2025 », avertit l'ancienne rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
Guerres et silences complices : les droits humains sacrifiés
L'association dénonce « un génocide en directe » commis par Israël contre les Palestiniens de Gaza, sur fond d'occupation toujours plus brutale en Cisjordanie. En parallèle, la Russie a tué davantage de civils ukrainiens en 2024 qu'en 2023, tout en continuant de viser les infrastructures civiles et de pratiquer torture et disparitions forcées, selon les observateurs de l'organisation.
Au Soudan, la guerre civile en cours depuis deux ans a déjà déplacé quelque 11 millions de personnes à l'intérieur du pays, un triste record mondial. Dans ce contexte de chaos, les Forces d'appui rapide ont commis des violences sexuelles systématiques à l'encontre des femmes et des filles. « Pourtant, ce conflit a suscité une indifférence presque totale à travers la planète - hormis de la part d'agents cyniques exploitant les occasions de violer l'embargo sur les armes à destination du Darfour », déplore Amnesty International.
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Répression mondiale : une stratégie de la peur
Partout sur la planète, des régimes autoritaires cherchent à consolider leur emprise en criminalisant toute forme de dissidence. Censure des médias, interdictions de partis politiques ou de manifestations, harcèlement judiciaire des défenseurs des droits humains, et arrestations pour motifs fallacieux de « terrorisme » ou d'« extrémisme » deviennent des pratiques banalisées.
Au Bangladesh, les autorités ont ordonné de « tirer à vue » sur les manifestants étudiants, causant la mort de près d'un millier de personnes. Au Mozambique, les forces de sécurité ont violemment réprimé les mobilisations post-électorales, entraînant la mort d'au moins 277 personnes. La Turquie, elle, a interdit certaines manifestations dans leur totalité, et continue de disperser illégalement et sans discernement les rassemblements pacifiques.
Augmentation des inégalités : les plus vulnérables en première ligne
En 2024, les inégalités se sont encore creusées, tant à l'intérieur des pays qu'à l'échelle internationale. En cause : « l'inflation généralisée, la réglementation insuffisante des entreprises, la fraude fiscale endémique et l'augmentation des dettes nationales », alerte Amnesty International. Ces dynamiques combinées ont alimenté une précarité croissante pour des millions de personnes, sans susciter de réponse politique à la hauteur.
« Pendant ce temps, la richesse des plus fortunés s'est envolée... »
Dans ce contexte, de nombreux gouvernements ont eu recours à une rhétorique raciste et xénophobe, désignant les personnes migrantes et réfugiées comme boucs émissaires des difficultés économiques et de l'insécurité. Une stratégie opportuniste qui détourne l'attention des causes structurelles de la pauvreté tout en exacerbant les divisions sociales.
Pendant ce temps, la richesse des plus fortunés s'est envolée, note le rapport. Le nombre de milliardaires n'a cessé d'augmenter, creusant un peu plus le fossé entre les ultra-riches et le reste de la population mondiale. La Banque mondiale elle-même a tiré la sonnette d'alarme en évoquant une « décennie perdue » dans la lutte contre la pauvreté.
Exclusions et discriminations en prime
En outre, les droits des femmes, des filles et des personnes LGBTI ont été violemment pris pour cible en 2024, dans un climat mondial de plus en plus hostile à l'égalité de genre et à la diversité des identités.
En Afghanistan, les talibans ont encore durci leur emprise sur la vie publique des femmes, les excluant toujours plus systématiquement de l'éducation, de l'emploi et des espaces sociaux. En Iran, les autorités ont redoublé de brutalité envers les femmes et les filles refusant de se plier à l'obligation du port du voile, usant de la violence et de l'intimidation pour faire taire toute contestation.
Plusieurs pays, dont le Malawi, le Mali et l'Ouganda, ont renforcé la criminalisation des relations entre personnes de même sexe, souvent sous couvert de défense des valeurs traditionnelles. La Géorgie et la Bulgarie ont eux suivi l'exemple de la Russie en réprimant la prétendue "propagande LGBTI" », note l'organisation.
Aux États-Unis, le gouvernement de Donald Trump a contribué à entretenir un climat délétère en matière de justice de genre. En supprimant des programmes de lutte contre la discrimination, en attaquant frontalement les droits des personnes transgenres et en coupant les financements d'initiatives essentielles en matière de santé et d'éducation pour les femmes et les filles à l'échelle mondiale, l'administration américaine a donné un signal clair.
Résistances et lueurs d'espoir
« L'histoire regorge d'exemples de personnes courageuses qui ont surmonté des pratiques autoritaires ».
Malgré l'ampleur des reculs, Amnesty International souligne aussi les avancées portées par la justice internationale. Certains organes multilatéraux et des États comme l'Afrique du Sud ont rappelé à l'unisson que l'impunité n'est pas une fatalité.
« La Cour pénale internationale a décerné des mandats d'arrêt contre de hauts représentants de l'État et des dirigeants de groupes armés d'Israël, de Gaza, de Libye, du Myanmar et de Russie », salue l'organisation, en rappelant l'importance de rendre des comptes, y compris au plus haut niveau.
Agnès Callamard, pour qui tout n'est pas perdu, souligne également l'implication des citoyens et citoyennes partout dans le monde. « Malgré des défis de taille, la destruction des droits humains est loin d'être inévitable. L'histoire regorge d'exemples de personnes courageuses qui ont surmonté des pratiques autoritaires ».
En 2024, plusieurs scrutins ont vu les électeurs rejeter dans les urnes des dirigeants hostiles aux droits fondamentaux, tandis que des millions de citoyens à travers le monde ont manifesté leur solidarité et leur refus de l'injustice.
« Alors une chose est claire : peu importe qui se dresse sur notre chemin. Nous devons continuer, et nous continuerons, de résister aux régimes irresponsables, avides de pouvoir et de profit, qui cherchent à arracher aux gens leurs droits humains », conclut avec force la secrétaire générale du mouvement.
- Lou A.
Illustration @dimitrisvetsikas1969 - Pixabay