Le président américain Joe Biden après avoir fait des remarques sur l'invasion russe de l'Ukraine, le 24 février. (Maison Blanche, Adam Schultz)
Elle a commencé lorsque le gouvernement Biden et la presse ont présenté sous un faux jour les objectifs de la Russie en Ukraine et tout ce qui est arrivé ensuite a commencé là.
Par Patrick Lawrence - Consortiumnews 13/07/22
Comment les clans politiques, la «communauté du renseignement» et la presse qui est à leur service réagiraient-ils si le scénario de la guerre en Ukraine qu'ils n'ont cessé d'évoquer se serait avéré imaginaire, un conflit genre «Marvel Comics»*, sans aucun rapport avec la réalité? Je m'y interrogeais là-dessus depuis le début de l'intervention russe, le 24 février. Je savais que, lorsqu'enfin on nous en fournirait une réponse, elle serait intéressante.
Eh bien ça y est, on l'a, cette réponse. Si l'on se base sur le «New York Times», un quotidien sous contrôle gouvernemental, on constate que le résultat n'est rien d'autre qu'une variante du fiasco du Russiagate: Les fabricants d'orthodoxies et de consensus en tous genres se défilent par la porte de service. En fait, je pourrais vous dire que mon intention n'est pas de désigner le «Times» comme l'un des acteurs de ces sombres manigances, sauf que si, je le fais. Celui qui a longtemps été - mais qui ne l'est plus - le journal de référence persiste dans ses mensonges et ses mystifications tordues en imposant à des lecteurs sans méfiance la version officielle encore qu'imaginaire de la guerre.
1945 et 2022: démilitariser et dénazifier
Comme les lecteurs raisonnablement méfiants de Consortium News s'en souviendront, Vladimir Poutine a été clair lorsqu'il a dévoilé au monde les intentions de la Russie au début de son intervention. Elles étaient au nombre de deux: Les forces russes sont entrées en Ukraine pour «démilitariser et dénazifier» le pays, deux objectifs précis et circonscrits. Un amateur avisé de ces chroniques a fait remarquer, dans un récent échange de commentaires des lecteurs, que le président russe avait une fois de plus prouvé, quoi que l'on puisse penser de lui par ailleurs, qu'il était un homme d'Etat déterminé et qu'il possédait une excellente connaissance de l'histoire. Lors de la conférence de Potsdam en juillet 1945, le Conseil de contrôle allié a déclaré que son objectif d'après-guerre en Allemagne était de réaliser les «quatre D», à savoir la dénazification, la démilitarisation, la démocratisation et de la décentralisation.
Donnons à David Thompson, qui a attiré mon attention sur cette référence historique, une place méritée dans cet article:
«La réaffirmation par Poutine des principes de dénazification et de démilitarisation établis lors de la conférence de Potsdam n'est pas qu'un simple coup de chapeau pittoresque à l'histoire. Il a signifié aux Etats-Unis et au Royaume-Uni que l'accord conclu à Potsdam en 1945 est toujours pertinent et valable....»
Un ordre juste et stable doit servir les intérêts de toutes les parties en matière de sécurité
Le président russe, dont le seul argument face à l'Occident est qu'un ordre juste et stable en Europe doit servir les intérêts sécuritaires de toutes les parties, ne faisait que réitérer les objectifs que l'Alliance transatlantique s'était autrefois engagée à accomplir. En d'autres termes, il soulignait l'hypocrisie flagrante de cette alliance qui arme les descendants idéologiques des nazis allemands.
Je reviens sur cette question parce que cette guerre imaginaire a commencé avec les fausses déclarations tout à fait irresponsables du régime Biden et de la presse sur les objectifs poursuivis par la Fédération de Russie en Ukraine. Et tout le reste est venu de là.
Souvenez-vous: Les forces russes auraient été en passe de «conquérir» l'ensemble de la nation, d'anéantir le régime de Kiev, d'y installer un gouvernement fantoche, puis de poursuivre leur route vers la Pologne, les Etats baltes, la Transnistrie et le reste de la Moldavie, et qui sait quoi d'autre encore. La dénazification, comme on peut le lire désormais, ne serait qu'une mascarade du Kremlin.
Nouvelle édition
Après avoir menti là-dessus sans vergogne, on a donc diffusé l'édition suivante de ces chimères. La Russie ne parviendrait pas à atteindre ses objectifs imaginaires. Moral au plus bas, désertions, troupes insuffisamment entraînées et ne mangeant pas à leur faim, échecs logistiques, artillerie pitoyable, munitions inadéquates, officiers incompétents: les Russes iraient s'écrouler sur le sol ukrainien.
Dans ce film irréel, le corollaire était l'héroïsme, le courage et la bravoure sur le champ de bataille des troupes ukrainiennes, et surtout du bataillon Azov, qui du coup n'étaient plus une création d'inspiration néo-nazie. On oublie tout ce que le «Times», le «Guardian», la BBC et d'autres publications et radiodiffuseurs grand public nous avaient dit avant au sujet de ces fanatiques idéologiques. Tout ça, c'était avant, maintenant, c'est maintenant.
Récits inventés
Le problème à ce stade est que, sur le terrain, il n'y a pas de victoire à signaler. En fait, on est entré dans une période de défaites. En mai, à peu près au moment où le bataillon Azov a été contraint de se replier à Marioupol, l'heure était aux atrocités russes...
Nous avons donc eu droit au théâtre et la maternité de Marioupol, puis à l'immonde boucherie de Bucha, dans la banlieue de Kiev; et bien d'autres encore. Ce qui s'est réellement passé lors de chacune de ces affaires n'a jamais été établi par des enquêteurs crédibles et désintéressés; d'emblée, on a rejeté les nombreuses preuves de la responsabilité des forces ukrainiennes. Mais qui a besoin d'enquêtes et de preuves lorsque les Rrrrussses, des brutes criminelles et impitoyables sans le moindre discernement, se doivent d'être coupables si l'on veut que la guerre imaginaire se poursuive?
Dans ce domaine, ma préférence va sans conteste à CNN, qui a consacré beaucoup de temps, ce printemps, à des allégations - ukrainiennes, bien sûr - selon lesquelles des soldats russes violaient des jeunes filles et des jeunes garçons, jusqu'à des bébés de quelques mois.1
La chaîne a brusquement laissé tomber cette enquête après que la haute fonctionnaire ukrainienne à l'origine de ces allégations ait été démise de ses fonctions en raison du caractère mensonger des accusations.2 Sage décision de la part de CNN, je crois: Comme l'a montré l'histoire, la propagande n'a pas besoin d'être très subtile, mais elle a quand même ses limites.
Tout juste après le développement du récit des atrocités, on a embrayé sur le thème «les Russes volent les céréales ukrainiennes». La BBC a fourni un compte rendu particulièrement remarquable sur ce sujet. Regardez moi un peu cette vidéo et ce texte de présentation et dites-moi si ce n'est pas la chose la plus mignonne que vous ayez jamais vue, avec autant de trous que les rideaux en dentelle de ma grand-mère irlandaise.3
Mais là, il y a un problème. Les forces armées russes, avec leurs «désertions», leurs «fusils hors d'âge» et leurs généraux idiots sont en train de prendre les villes les unes après les autres dans l'Est de l'Ukraine. Et là, il ne s'agit pas - ombre au tableau - de victoires imaginaires. Fini le thème de la guerre bien menée, place à la brutalité de la frappe à l'aveugle de l'artillerie des Russes. Une « stratégie primitive «, comme le «Times» a tenu à nous le faire savoir. Dans l'horreur de la guerre, on ne bombarde tout simplement pas une position ennemie avant de la prendre. C'est médiéval.
Ces derniers temps, un autre problème se pose aux illusionnistes de la guerre imaginaire. Il s'agit du nombre de morts. La mission de surveillance des droits de l'homme de l'ONU a indiqué le 10 mai que le nombre de victimes s'élevait à ce jour à plus de 3 380 morts civils, chiffre qui est passé à 4 509 en juin, et à 3 680 civils blessés. (Dans une guerre, les deux camps s'entretuent se tuent).
Bon Dieu de bon Dieu! s'est-on exclamé sur la 8e Avenue. Pour cette guerre imaginaire, c'est loin d'être suffisant. Désespérant de parvenir à un bilan macabre considérable, le «Times» a publié, le 18 juin, «La mort en Ukraine: Reportage spécial».4 Une sacrée lecture. On n'y trouve rien d'autre que des insinuations et des supputations sans fondement. Mais la guerre imaginaire se doit de perdurer.
Le «reportage spécial» du «Times» repose sur des formules comme «les récits des témoins et d'autres preuves» et «les milliers de morts présumés». Les preuves, il faut le noter, proviennent presque entièrement d'officiels ukrainiens - tout comme la plus grande part de ce que publie le «Times».
Il y a une grande citation: «On tue des gens au hasard, d'un seul coup, sans rime ni raison.» Oh la la. Est-ce que ça n'est pas accablant?
Mais il y a un autre problème. Cette observation vient d'un certain Richard Kohn, qui est professeur émérite à l'Université de Caroline du Nord. J'espère que le professeur passe un bon été à Chapel Hill.
A la fin du mois de juin, Severodonetsk est tombé - ou s'est relevé, tout dépend du point de vue - et peu après, Lysychansk et toute la province de Louhansk sont tombés, elles aussi.
Maintenant, il y a toutes ces histoires d'aveux, ici ou là. Les forces ukrainiennes sont tellement chamboulées qu'elles se tirent dessus, peut-on lire. Elles n'arrivent pas à faire fonctionner leurs radios et - habile retour de bâton - elles sont à court de nourriture, de munitions et n'on plus le moral. Des soldats inexpérimentés qui s'étaient engagés à quadriller leurs quartiers désertent les lignes de front.
Refus de la réalité
Ils existent en effet, ceux qui refusent la réalité. Le «Times» a rapporté la semaine dernière que les Ukrainiens, battus à Louhansk, prévoient une contre-offensive dans le sud pour récupérer les territoires perdus. Nous avons tous besoin de nos rêves, je suppose.
À la surprise de bien des gens, Patrick Lang, plus généralement observateur perspicace des questions militaires, a publié vendredi dernier sur son Turcopolier «Dans l'incapacité de réparer ses propres chars, la Russie est à présent totalement ridiculisée».5 Le colonel à la retraite prédit que les Russes vont connaître «un brusque retournement de situation». Non, je ne retiens pas mon souffle.
N'en avez-vous pas assez de cette guerre imaginaire? Moi, oui. Je lis ces inepties tous les jours par nécessité professionnelle. J'en trouve certaines amusantes, mais dans l'ensemble, elles me rendent malade quand je pense à ce que la presse américaine a fait d'elle-même et de ses lecteurs.
Pour le protocole, j'avoue: il est difficile de dire exactement ce qui se passe sur les tragiques champs de bataille de l'Ukraine. Comme cela a déjà été mentionné ci-dessus, nous disposons de très peu de reportages de correspondants professionnels et honnêtes.6 Mais je vous livre ici mes hypothèses, et ce n'est rien de plus.
Cette guerre a évolué, plus ou moins inexorablement, dans une seule direction: Dans le conflit réel, les Ukrainiens se sont dès le début lentement acheminés vers la défaite. Ils sont trop corrompus, trop hypnotisés par leur russophobie fanatique pour organiser une force efficace ou même pour voir clair.
Ce n'est pas une guerre d'usure, comme nous sommes censés le croire. Elle s'est déroulée lentement parce que les forces russes semblent prendre soin de limiter les pertes - les leurs et celles des civils ukrainiens. Je fais plus confiance aux chiffres de l'ONU qu'à ce «reportage spécial» stupide et sans intérêt que le «Times» vient de publier.
Je ne sais pas pourquoi les forces russes se sont rapprochées des faubourgs nord de Kiev au début du conflit, puis se sont retirées, mais rien n'indique qu'elles avaient l'intention de prendre la capitale. Il y a eu des affrontements, mais les Russes n'ont certainement pas été «repoussés». C'est une pure absurdité. J'attends des enquêtes en bonne et due forme - ce qui, il est vrai, est peu probable - sur les atrocités qui ont certainement eu lieu, mais sans qu'il y ait, jusqu'à présent, d'indication concluante en matière de culpabilité.
Avril Haines, la directrice du renseignement national, a récemment fait remarquer que l'objectif de la Russie était toujours de contrôler la majeure partie de l'Ukraine.7 Lors d'un discours prononcé fin juin à Achgabat, la capitale du Turkménistan, M. Poutine est apparu particulièrement à l'aise et a affirmé: «Tout se déroule comme prévu. Rien n'a changé». L'objectif, a-t-il dit, reste «de libérer le Donbass, de protéger ces gens, et de créer les conditions qui garantissent la sécurité de la Russie elle-même. C'est tout.»8
Si l'on met ces deux déclarations côte à côte, il y a beaucoup plus de preuves à l'appui de celle de Poutine que de celle de Haines.
A la fin c'est la défaite
Intentionnellement ou non - et j'ai souvent l'impression que le Times ne mesure pas toutes les implications de ce qu'il publie - le journal a fait paraître dimanche un article intitulé «L'Ukraine et le concours d'endurance mondiale».9 Selon cet article, l'issue de ce conflit dépend désormais de «la capacité des Etats-Unis et de leurs alliés à maintenir leurs engagements militaires, politiques et financiers pour repousser la Russie».
Ne peuvent-ils pas comprendre, sur la 8ème Avenue, qu'ils viennent de décrire l'Ukraine comme un potentiel cas désespéré? Savent-ils qu'ils viennent d'annoncer que la guerre imaginaire qu'ils ont menée depuis quatre mois se termine par une défaite, étant donné qu'il n'y a personne en Ukraine pour la gagner?•
Patrick Lawrence
*Marvel Comics (de son nom complet Marvel Entertainment, LLC) est une maison d'édition américaine de bandes dessinées dont le siège est à New York. Elle compte, avec DC Comics, parmi les plus grandes maisons d'édition du genre dans le monde.
1)Ces trois exemples se trouvent sur: cnn.com; cnn.com ; cnn.com
2) newsweek.com
3) bbc.com
4) nytimes.com
5) turcopolier.com
6) consortiumnews.com
7) bbc.com
8) rt.com
9) nytimes.com
Source: Consortium News-
(Traduction de l'anglais Horizons et débats)