27/11/2025 reseauinternational.net  13min #297395

La jeunesse juive américaine se détache du sionisme, problème et solutions

Si l'incursion le 7 octobre 2023 des forces de la résistance palestinienne par-delà les murs du camp de concentration qu'est Gaza n'avait évidemment pas réjoui les organisations sionistes, elles n'avaient cependant pas attendu pour l'exploiter en qualifiant cette action de progrom, de pire massacre de juifs depuis la deuxième guerre mondiale.

Si on examine le bilan des pertes ce jour-là, il s'est établi à 1180 tués côté sioniste et 1609 côté palestinien.

On ne va pas discuter ici du statut des victimes côté sioniste qui étaient loin d'être toutes civiles mais quand même repréciser que l'opération dite « inondation d'al-Aqsa» n'était pas motivée par une haine irrationnelle des juifs excitée en sous-main par un gouvernement ou un mouvement politique. C'était une action de type militaire contre une puissance qui non seulement occupe la patrie du peuple palestinien mais implante des populations civiles (mais armées) qui sont venues et viennent de l'étranger se substituer aux populations indigènes chassées de chez elles. De tels processus ont existé ailleurs, on pense à l'Amérique du Nord, à l'Australie mais aussi à l'Algérie et à l'Afrique du Sud. Dans les deux derniers cas cependant, la puissance coloniale n'avait pas réussi à créer un déséquilibre démographique en sa faveur.

Quoi qu'il en soit, si les militants sionistes pouvaient espérer au début que dans leur malheur ils pourraient quand même tirer un bénéfice en termes d'image, la suite les a fortement contrariés. La raison en est la guerre que le régime sioniste a livré moins au Hamas et aux autres factions palestiniennes qu'il n'est pas parvenu et n'a pas la capacité de vaincre, qu'à la population civile dont il a fait grand carnage. À quoi s'ajoutent les destructions de maisons, d'écoles, d'universités, de lieux de culte, de centres de santé...

En résumé un processus génocidaire destiné à faire disparaître une société humaine.

Aujourd'hui, l'image de l'État prétendu juif est passée ce celle du David confronté au méchant Goliath à celle d'une État profondément immoral. Et ce, malgré le quasi-silence voire la complicité des médias dits «mainstream» qu'ils soient publics ou privés.

Ce changement d'image est particulièrement net chez les jeunes qui ne se contentent plus depuis un certain temps de l'information diffusée par ces fameux médias mais s'appuient sur Internet, les chaînes de YouTube et les réseaux sociaux.

Malheureusement pour les journalistes et dirigeants de la presse mainstream, Internet est loin de ne proposer que des contenus fantaisistes ; au contraire tout un chacun peut profiter du savoir de personnes compétentes et bien informées tels le Belge Michel Collon, le colonel suisse Jacques Baud ou l'historien Henry Laurens. On rappellera qu'un colloque que ce dernier devait tenir au Collège de France où il enseigne a dû être déprogrammé et transféré in extremis dans une autre institution suite à des pressions sur le ministère de l'enseignement supérieur exercées par le lobby qui n'existe pas.

Cette bascule de la jeunesse en faveur du peuple palestinien s'observe également chez les jeunes juifs, du moins aux États Unis (en France la chape de plomb médiatique ne permet pas de savoir ce qu'il en est).

Chez ces jeunes juifs, le problème induit par le comportement génocidaire de l'État et de la société sionistes a une acuité particulière du fait qu'ils ont été éduqués dans l'idée que l'attachement inconditionnel à l'entité sioniste était une composante essentielle de leur identité juive. Or, il n'est évidemment pas facile de continuer à se définir par l'attachement à un État colonial et génocidaire, raison pour laquelle de nombreux jeunes juifs cherchent à rattacher leur judaïsme non à l'État génocidaire mais aux valeurs qu'ils considèrent comme celles de leur foi. Et ces valeurs ne sont pas conciliables avec un État d'apartheid et génocidaire.

Ce problème n'a pas échappé aux responsables des organisations sionistes aux États Unis. Ceux pour qui tout le monde (la Russie, TikTok, les réseaux sociaux en général, les syndicats d'enseignants) est responsable de cette désaffection sauf les criminels sionistes se sont rencontrés pour discuter les voies et moyens de ramener les brebis égarées vers le troupeau.

Une tâche ardue s'il en est car le soutien inconditionnel à l'État dit juif qu'exigent ces organisations n'est pas de nature à convaincre des jeunes qui ne sauraient accepter d'être juifs si cette appartenance confessionnelle implique l'adhésion à un projet criminel.

La réunion de ces responsables n'a débouché sur aucun résultat concret en dehors de la volonté de s'allier avec des mouvements et des personnes avec lesquels on est en désaccord sur tout sauf sur le soutien au régime sioniste. Cette démarche est en réalité en cours depuis quelques années et va donc s'accentuer. On en voit le résultat en France avec le rapprochement spectaculaire du Rassemblement national avec diverses représentations du mouvement sioniste et de l'État sioniste lui-même. Ce  rapprochement est le fruit d'années d' efforts discrets aujourd'hui soutenus par des médias comme CNEWS et une campagne islamophobe dont l'origine est à situer moins du côté de l'extrême droite classique que d'influenceurs sionistes. Ce dernier aspect était évident depuis un  certain nombre d'années aux  États Unis et en  Grance Bretagne apparaît maintenant ouvertement en France.

Mounadil al Djazaïri

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Alors que les jeunes juifs s'éloignent d'Israël, les dirigeants juifs hésitent à modifier leur approche

par Arno Rosenfeld

La reconnaissance généralisée d'une rupture générationnelle sur Israël a contrasté avec un soutien sans faille au pays [l'entité, NdT] lors de la conférence des Fédérations Juives d'Amérique du Nord.

Washington, D.C. - Plus tôt cette semaine, lors de l'un des plus grands rassemblements de professionnels juifs au monde, Anna Langer a pris la parole pour exposer des faits incontestables concernant les relations entre les juifs américains et Israël. Son argument le plus saisissant : les jeunes juifs sont plus de deux fois plus susceptibles de se déclarer antisionistes que le reste de la population.

«Il s'agit d'un segment croissant de notre jeunesse, et c'est un domaine auquel nous devons prêter attention», a déclaré Langer, qui dirige la stratégie intérieure pour Israël au sein des Fédérations Juives d'Amérique du Nord (JFNA) ; la JFNA contribue à orienter des centaines de millions de dollars de financement vers des programmes juifs et organise la conférence annuelle.

Depuis la tribune principale, Rahm Emmanuel [ancien maire de Chicago et ancien chef de cabinet de la présidence Obama, NdT] a averti que la guerre israélo-palestinienne avait terni l'image du pays auprès d'une génération de jeunes juifs américains, de la même manière que la guerre des Six Jours en 1967 avait renforcé le soutien de leurs parents à Israël. «Nous avons du pain sur la planche», a-t-il déclaré.

Malgré l'inquiétude générale face à l'éloignement des jeunes juifs vis-à-vis d'Israël, rares étaient les experts et organisations présents à l'événement qui semblaient disposés à modifier leur approche pour renouer le dialogue avec ces membres désenchantés de la communauté. Les solutions proposées par les éducateurs et philanthropes juifs consistaient plutôt à renforcer les stratégies existantes : susciter un attachement à Israël par le biais de voyages et d'activités éducatives sponsorisés, tout en démantelant les forces - notamment les réseaux sociaux et  les syndicats d'enseignants - qu'ils jugent responsables du désenchantement des jeunes juifs envers le pays.

«TikTok abrutit nos jeunes toute la journée avec des vidéos de carnage à Gaza», a déclaré Sarah Hurwitz, ancienne rédactrice de discours de Michelle Obama et auteure de deux ouvrages sur l'identité juive, devant un auditoire d'environ 2000 professionnels juifs. «C'est pourquoi tant d'entre nous sont incapables d'avoir une conversation sensée avec les jeunes juifs».

Sarah Hurwitz, ancienne rédactrice de discours de Michelle Obama.

Eric Fingerhut, le directeur de la JFNA, a déclaré que deux des principales priorités de son organisation avaient été de faciliter la vente de TikTok à Larry Ellison, le magnat de la technologie pro-israélien propriétaire d'Oracle, et de contrer l'influence de la National Education Association, un syndicat d'enseignants qui a exprimé son hostilité envers Israël.

«Cette technologie nous vient de l'étranger», a déclaré Fingerhut, faisant référence à la propriété chinoise de TikTok. Il a ajouté que l'antisémitisme et les critiques d'Israël sur les réseaux sociaux constituaient «une attaque mondiale contre le peuple juif et l'État d'Israël, financée par des milliards et des milliards - probablement des billions - de dollars, et alimentée par des algorithmes parmi les plus sophistiqués».

(Un porte-parole a précisé par SMS qu'il faisait référence aux campagnes d'influence et de désinformation en ligne menées par la Chine, la Russie et l'Iran.)

Un autre thème fréquemment abordé lors de la conférence était que la véritable solution aux divisions communautaires résidait dans un engagement plus fort envers ce que Jonathan Greenblatt, PDG de l'Anti-Defamation League, a décrit comme «l'éducation juive, l'identité sioniste et l'étude de la Torah».

«Ce sont là les éléments essentiels d'une constitution saine pour notre communauté», a-t-il déclaré.

Hurwitz a également suggéré que les jeunes juifs s'éloignaient d'Israël parce que leur identité juive s'était réduite à «un grand vide».

«Les jeunes d'aujourd'hui, qui ont une identité juive vide, la voient se combler par l'antisémitisme», a-t-elle déclaré. «Il est très facile de basculer dans l'antisionisme».

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En marge de la conférence, certains participants ont toutefois concédé que l'idée selon laquelle les jeunes juifs critiques envers Israël seraient dépourvus d'une identité juive significative occultait une partie de la réalité. Les jeunes juifs restent à la fois favorables à un État juif en Israël et profondément attachés au pays. Malgré leur profond malaise face aux actions d'Israël, ils ont rejoint le mouvement de mobilisation juive qui a suivi l'attentat terroriste du Hamas du 7 octobre en Israël, fréquentant davantage les synagogues et les événements juifs.

«Le désengagement n'est pas notre problème», a déclaré Langer, directrice de la JFNA, à un groupe réuni pour discuter de l'avenir de l'éducation sur Israël. «Notre difficulté réside plutôt dans notre capacité à accueillir la complexité et à cultiver le sentiment d'appartenance au sein d'une communauté à la fois profondément unie et profondément divisée».

Elle a cité des statistiques montrant que la moitié des juifs américains estiment que la communauté ne permet pas de discussions nuancées sur la guerre à Gaza. Près de 70% d'entre eux ont du mal à soutenir les actions entreprises par le gouvernement israélien, même si seulement 7% des juifs déclarent éviter les institutions communautaires pour ces raisons.

Langer a déclaré que les recherches suggéraient que l'éducation sur Israël devait être plus nuancée : «Lorsque les élèves perçoivent leur éducation comme unilatérale ou incomplète, cela mine leur confiance et leur engagement».

Jon Falk, vice-président de Hillel International en charge des relations avec Israël et de la lutte contre l'antisémitisme, a déclaré que son organisation avait invité des intervenants palestiniens dans ses sections pour répondre à cette demande. «Je crois que Hillel fait entendre plus de voix palestiniennes sur les campus que même SJP», a affirmé Falk, en référence à l'association Students for Justice in Palestine.

Mais malgré la reconnaissance du profond malaise des jeunes juifs vis-à-vis d'Israël - environ 65% des juifs de moins de 40 ans déclarent que les actions d'Israël sont souvent en conflit avec leurs valeurs morales, politiques et juives, selon les données présentées lors de la conférence -, personne n'a suggéré que les organisations juives devraient s'éloigner de leur soutien indéfectible à Israël.

Un point de friction pourrait être que, selon Langer, les juifs américains de tous âges sont partagés de manière égale quant à la position que devraient adopter les institutions communautaires : soutien ou critique envers Israël. Par ailleurs, de nombreux jeunes juifs entretiennent toujours des relations positives avec Israël.

«C'est merveilleux de dire que nous devrions former une communauté et être au service de tous», a déclaré David Cygielman, PDG de Mem Global, qui gère un réseau de foyers pour jeunes juifs. «Mais comment cela se traduit-il concrètement ? Et cela n'exclut-il pas les personnes qui souhaitent intégrer une communauté juive forte et dynamique, qui aime Israël et veulent s'y impliquer ?»

La réticence des experts intervenant à la conférence à modifier leur stratégie vis-à-vis d'Israël a été soulignée par l'absence d'organisations libérales pro-israéliennes. J Street n'était pas représentée, pas plus que le Jewish Council for Public Affairs, l'une des organisations juives les plus progressistes, qui a entretenu pendant des décennies des relations formelles avec le réseau des fédérations.

Quant à la position politique des participants présents, ils se sont  massivement rangés du côté de John Podhoretz, un journaliste conservateur qui, lors d'un débat sur la scène principale, s'est opposé à la faisabilité d'une solution à deux États au conflit israélo-palestinien.

Et lorsque Greenblatt a été interrogé avec tact sur les divisions au sein de la communauté juive quant à la manière de lutter contre l'antisémitisme, notamment les critiques formulées à l'encontre de la  récente annonce de l'ADL concernant la création d'un Observatoire Mamdani chargé de suivre le nouveau maire musulman de New York, il s'est dit convaincu que son organisation avait adopté la bonne approche.

«Je suis un sioniste farouche et assumé», a déclaré Greenblatt. «Si quelqu'un veut que je m'excuse, il peut toujours attendre».

L'une des stratégies que les experts ont préconisées à maintes reprises était le voyage en Israël, qui a chuté après la pandémie de COVID-19, comme solution à l'érosion du soutien au pays parmi les juifs et les non-juifs, même s'ils reconnaissaient que la participation à ce genre de voyages s'accompagnait désormais de «beaucoup d'isolement social et de sanctions» pour les participants.

«Imaginez si chaque fédération d'Amérique du Nord emmenait chaque année 100 enseignants et membres du personnel administratif des écoles publiques en Israël», a déclaré Jenna Potash, cadre de la Fédération UJA de Toronto. «C'est vraiment un objectif sur lequel nous devrions nous concentrer».

Et dans les rares cas où des intervenants admettaient la possibilité de critiquer Israël, beaucoup suggéraient que ces discussions restent privées.

«Vous devez faire preuve d'un soutien indéfectible à Israël, en prenant position publiquement et législativement à ses côtés en ces temps de diffamation sans précédent», a déclaré Langer. «Parallèlement, nous devons créer des espaces internes propices à des échanges honnêtes, nuancés et instructifs sur Israël».

Pourtant, la plupart des intervenants semblaient rejeter l'idée qu'il faille consoler les juifs mal à l'aise face au soutien traditionnel de l'establishment juif à Israël. Mark Charendoff, qui dirige le très influent Fonds Maïmonide, proche de la droite, a déclaré qu'il était en train de réorienter les priorités de l'organisation vers la lutte contre les ennemis du peuple juif, après des années consacrées à mobiliser les jeunes juifs.

Charendoff a déclaré que cette nouvelle stratégie implique de nouer des alliances avec des personnes «avec lesquelles nous pourrions être en désaccord sur 80%» tant que «nous sommes d'accord avec elles sur Israël».

«Nos ennemis tentent de normaliser l'antisionisme», a déclaré Charendoff. «Nous devons réintégrer Israël dans le débat, la mentalité et l'éthique du judaïsme américain».

source :  The Jewish Forward via  Mounadil al-Djazaïri

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