Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et Yasser Arafat de l'OLP lors de la cérémonie de signature des accords d'Oslo, le 13 septembre 1993. (Wikimedia Commons, domaine public)
La ministre norvégienne des Affaires étrangères, Anniken Huitfeldt, ne tolère aucune violence à l'encontre des civils palestiniens.
Lors du dernier massacre israélien en date, elle a affirmé « la solidarité de la Norvège avec le peuple de Jénine » 𝕏 dans un tweet le 5 juillet et condamné « le niveau élevé de violence et toutes les attaques contre des civils ».
Au cas où la « neutralité » de l'expression « toutes les attaques » ne serait pas bien comprise par les Israéliens, la ministre a repris la formule libérale occidentale qui assimile les Palestiniens colonisés à leurs colonisateurs prédateurs israéliens en ajoutant : « Le cycle de violence doit cesser. » Un responsable norvégien a cependant visité le camp de réfugiés de Jénine avec des dizaines de diplomates étrangers pour inspecter les ruines.
Intolérant à la moindre critique des massacres de civils palestiniens perpétrés par son pays, le ministère israélien des Affaires étrangères a immédiatement riposté, accusant Anniken Huitfeldt d'encourager et d'ignorer le « terrorisme ».
« De telles déclarations ne favorisent pas un environnement propice à la désescalade et encouragent au contraire la radicalisation et l'incitation à la violence du côté palestinien », a affirmé son porte-parole, ajoutant que les propos d'Anniken Huitfeldt étaient susceptibles de nuire à « un dialogue constructif entre Israël et la Norvège ».
De proches amis
Avant et depuis son émergence soudaine en tant que pays ayant parrainé un accord de « paix » entre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Israël en 1993, la Norvège s'est présentée comme un bienfaiteur neutre dont le seul objectif est de réconcilier les parties belligérantes et de mettre fin aux conditions d'oppression dans lesquelles vit le peuple palestinien.
Cette image contredit toutefois le rôle historique de la Norvège, qui a activement contribué à la colonisation sioniste de la Palestine et perpétué les conditions coloniales oppressives dans lesquelles vivent les Palestiniens. L'historienne norvégienne Hilde Henriksen Waage a publié les récits les plus fiables de cette histoire mouvementée.
Non seulement la Norvège a voté en faveur du partage de la Palestine en 1947, mais elle est devenue l'un des plus proches amis d'Israël après 1948
Non seulement la Norvège a voté en faveur du partage de la Palestine en 1947 entre les colons juifs minoritaires et la majorité palestinienne autochtone, mais elle est devenue l'un des plus proches amis d'Israël après 1948. En effet, les Norvégiens ont aidé la colonisation sioniste avant et après 1948. Le premier secrétaire général de l'ONU, le Norvégien Trygve Lie, était un partisan « passionné » des sionistes, au point de leur servir d'informateur, voire d'espion.
En sa qualité de secrétaire général des Nations unies, il a rencontré secrètement des représentants de l'Agence juive presque quotidiennement à son domicile après avril 1947. Par la suite, il a pleinement soutenu le plan de partage et a été un « fervent défenseur » de l'adhésion d'Israël à l'ONU, considérant Israël comme son « propre bébé ».
La Norvège elle-même, contrairement au Danemark et à la Suède, a soutenu la demande d'adhésion d'Israël à l'ONU en mai 1949 et l'a officiellement reconnue, après avoir déjà accordé à la colonisation juive une reconnaissance de facto quelques mois plus tôt.
Trygve Lie est même allé jusqu'à transmettre « des renseignements britanniques top secrets à l'Agence juive » par l'intermédiaire du représentant norvégien de l'ONU à Jérusalem, qu'il avait préalablement nommé. Il a également transmis des informations militaires et diplomatiques secrètes au représentant d'Israël à l'ONU, Abba Eban.
Photo publiée le 4 octobre 1947 d'une réunion entre les membres du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine (UNSCOP) et le Secrétaire général des Nations unies, le Norvégien Trygve Lie (à gauche) à New York (AFP)
Le fait que des terroristes sionistes aient assassiné le propre médiateur de Trygve Lie à l'ONU, le comte suédois Folke Bernadotte, n'a pas entamé d'un iota son soutien au colonialisme sioniste. Trygve Lie était tellement favorable à Israël qu'il a conseillé les Israéliens quant à l'attitude à adopter vis-à-vis de Folke Bernadotte lors des négociations en vue d'une trêve. L'Agence juive a ainsi rapporté : « M. Lie nous conseille, après avoir fait preuve de modération, d'adopter une attitude des plus intransigeantes sur la question principale. Selon lui, si nous échouons sur ce point, le comte saura très bien comment exploiter cela. »
Trygve Lie a même transmis aux Israéliens des rapports officiels de l'ONU sur des discussions confidentielles entre les gouvernements arabes et l'ONU lors des pourparlers d'armistice de 1949 à Rhodes. Il a également fait usage des informations confidentielles qu'il a reçues de Rhodes « pour influencer le résultat des négociations à l'avantage d'Israël » et a secrètement partagé des informations confidentielles sur les négociations avec la délégation américaine à l'ONU.
Un "Kibboutz Norvège"
Après la conquête sioniste de la Palestine, les Norvégiens de tous horizons politiques, de la droite religieuse et conservatrice à la gauche travailliste, ont accueilli Israël avec enthousiasme. En 1949, le Parti travailliste norvégien a lancé une campagne de collecte de fonds pour établir en Israël un « kibboutz Norvège », également nommé « Village norvégien ». La colonie financée par les Norvégiens et construite sur des terres palestiniennes a ensuite pris le nom de Moshav Yanuv.
Quant aux réfugiés palestiniens expulsés par Israël pendant la guerre, les Norvégiens n'ont éprouvé aucune compassion à leur égard. Ils n'ont rien eu à reprocher à Israël et ont suivi la ligne sioniste en insistant en faveur d'un accueil des Palestiniens par les pays arabes.
À la différence de leur attitude à l'égard des Palestiniens, les organisations norvégiennes ont aidé les sionistes à transférer des juifs tunisiens en Israël pendant la lutte de la Tunisie pour sa libération et son indépendance vis-à-vis du colonialisme français à la fin des années 1940 et au début des années 1950.
Cet effort s'est poursuivi alors même que le mouvement nationaliste tunisien et le gouvernement indépendant de Tunisie qui lui a succédé garantissaient aux juifs tunisiens leur égalité en matière de citoyenneté dans la Tunisie indépendante et leur intégration au sein du tissu social tunisien.
Pendant que la Tunisie ouvrait les bras à sa population juive, son futur président, Habib Bourguiba, appelait à la reconnaissance d'Israël dès 1952, quatre ans avant l'indépendance du pays.
Alors que de 1942 à 1948, moins de 300 juifs tunisiens ont quitté leur pays pour devenir colons en Palestine, entre 1948 et 1957, juste avant et dans la foulée de l'indépendance de la Tunisie, environ 26 625 juifs ont émigré.
L'émigration des juifs de Tunisie n'a pas été spontanée, mais plutôt le fruit des efforts de nombreuses organisations sionistes regroupées au sein de la Fédération sioniste de Tunisie, dont l'Agence juive, des organisations juives américaines et des organisations humanitaires européennes, en particulier norvégiennes, comme Europahjelpen (devenue plus tard le Conseil norvégien pour les réfugiés), qui ont aidé à transporter les juifs tunisiens en Israël via la Norvège.
En Norvège, les juifs tunisiens étaient logés dans des camps d'entraînement où ils étudiaient l'hébreu et étaient endoctrinés au sionisme en vue de la colonisation de la Palestine. Ironiquement, en 1952-1953, les juifs tunisiens d'Israël ont présenté des pétitions à la France pour être renvoyés en Tunisie sous domination française en raison du racisme ashkénaze européen qu'ils rencontraient dans les colonies juives.
Complicité
Contrairement aux juifs tunisiens qui n'étaient pas privés de toit mais qui ont tout de même été transportés en Israël par la Norvège, aucun vol ni aucun financement n'a été proposé pour transporter ou prendre en charge les réfugiés palestiniens expulsés, où que ce soit.
La Norvège a bien envoyé des excédents de poissons, dont certains étaient pourris, pour en nourrir quelques-uns. En effet, alors que du bois, denrée rare dans la Norvège d'après-guerre, a été envoyé en Israël pour la construction du « kibboutz Norvège », Oslo a refusé d'autoriser l'exportation de matériaux de construction en faveur des réfugiés palestiniens.
Comme le reste de l'Europe et les États-Unis, la Norvège avait conservé sa législation restrictive en matière d'immigration après l'Holocauste, refusant d'accueillir le grand nombre de survivants juifs. En réalité, la police norvégienne, sous le régime de Vidkun Quisling, avait aidé la Gestapo à rassembler des centaines de juifs norvégiens qui ont ensuite péri dans les camps d'Hitler. Les Norvégiens ordinaires, au cours de ces années terribles, n'étaient pas enclins à aider leurs compatriotes juifs à échapper à la traque de la Gestapo.
« Rien n'indique que la Norvège ait tenté de persuader les Israéliens de prendre en compte le point de vue palestinien »
- Hilde Henriksen Waage, historienne
La Norvège a choisi de soutenir la solution sioniste et de faire payer aux Palestiniens autochtones ses propres crimes contre les juifs, comme l'ont fait la plupart des pays qui ont fermé leurs frontières aux réfugiés juifs avant et après la Seconde Guerre mondiale.
Les Norvégiens, au mépris de l'internationalisation de Jérusalem par l'ONU, ont même soutenu la division de la ville sainte après la guerre et sont allés plus loin que la plupart des pays en reconnaissant le fait accompli illégal d'Israël, qui a proclamé Jérusalem-Ouest comme capitale en janvier 1950.
Les délégués norvégiens à l'ONU ont commencé à recevoir des instructions de la part des Israéliens les poussant à promouvoir la « paix » avec les pays arabes sur la base de négociations directes. Les pays arabes ont toutefois refusé et l'effort israélo-norvégien visant à imposer la normalisation au monde arabe a échoué cette fois-ci.
Le leader du Parti travailliste norvégien est allé plus loin en 1956 en sous-traitant à l'Internationale socialiste la mise en place d'une campagne mondiale de soutien à Israël. L'un de ses slogans était « Laissez vivre Israël ».
À partir de 1959, les Norvégiens ont même fourni à Israël plus de 20 tonnes d'eau lourde pour son programme nucléaire alors naissant, qui devait décoller dans le réacteur israélien de Dimona, fourni par la France.
Une feinte neutralité
Le soutien norvégien à Israël s'est maintenu pendant et après les conquêtes de 1967. Toutefois, à la suite de la guerre des Six Jours, les Palestiniens ont commencé à apparaître sur le radar politique de la Norvège, tant et si bien qu'en 1970, le Premier ministre norvégien de l'époque, Per Borten, les a qualifiés de « Palestiniens » au lieu d'« Arabes », ignorant ainsi le lexique colonial d'Israël.
Cela n'a pas empêché la Norvège de soutenir Israël pendant la guerre de 1973, ressuscitant même la campagne « Laissez vivre Israël ». Lorsque l'Assemblée générale des Nations unies a voté majoritairement en faveur de l'octroi du statut d'observateur à l'OLP en 1974, la Norvège s'est jointe à Israël et à cinq colonies blanches des Amériques ainsi qu'à l'Islande en votant contre la résolution.
La participation de la Norvège à la force de maintien de la paix des Nations unies au Liban (FINUL) dès la fin des années 1970 a débouché sur des contacts entre ses représentants et l'OLP à Beyrouth, même si la Norvège est restée l'un des rares pays européens à refuser de reconnaître l'organisation palestinienne. Néanmoins, en 1988, la Norvège a servi de médiateur entre les États-Unis et le chef de l'OLP, Yasser Arafat, un processus qui a donné lieu à la capitulation notoire du leader palestinien, qui s'est plié au diktat américain en « renonç[ant] au terrorisme » et en abrogeant la charte de l'OLP pour se conformer aux conditions imposées par les États-Unis et Israël.
Le rôle de la Norvège a été renforcé en 1992 et 1993 lorsque le pays a organisé des rencontres avec des responsables de l'OLP et des universitaires israéliens non officiels (à savoir Yair Hirschfeld, un Autrichien né en Nouvelle-Zélande qui a quitté Vienne pour Israël en 1967, et Ron Pundak, fils de colons danois, dont le père était un espion du Mossad qui travaillait à temps partiel en tant que journaliste). Ils ont ensuite été rejoints par un couple de Norvégiens, le chercheur et futur diplomate Terje Rød-Larsen et son épouse Mona Juul, future ambassadrice de Norvège en Israël.
Parmi les règles fondamentales fixées par la Norvège pour ces pourparlers secrets figurait l'interdiction de « s'attarder sur les rancœurs du passé ». Lorsque Johan Jørgen Holst, alors ministre norvégien des Affaires étrangères, a endossé un rôle de messager entre l'OLP et les Israéliens, il a davantage joué le rôle de consultant et d'informateur auprès des Israéliens que celui de médiateur, à l'instar du secrétaire général de l'ONU Trygve Lie avant lui.
Il a écrit à Shimon Peres, alors ministre israélien des Affaires étrangères, pour lui conseiller d'adopter un ton « amical mais ferme » avec Yasser Arafat. En réalité, Johan Jørgen Holst a fourni aux Israéliens « des informations cruciales sur les points que les Palestiniens seraient prêts à concéder ».
Un soutien à la répression des Palestiniens depuis Oslo
Dans son évaluation détaillée du rôle de la Norvège, Hilde Henriksen Waage démontre qu'à la différence des efforts déployés par la Norvège pour persuader les Palestiniens d'accepter les exigences d'Israël, « rien n'indique que la Norvège ait tenté de persuader les Israéliens de prendre en compte le point de vue palestinien ou d'indiquer aux négociateurs de l'OLP les points sur lesquels les Israéliens pouvaient céder ou les contre-propositions qui pouvaient porter leurs fruits », comme l'a fait la Norvège avec les Israéliens, que Johan Jørgen Holst et ses collègues « conseillaient ».
Au cours des trois dernières décennies, depuis que la Norvège a parrainé les accords d'Oslo qui ont causé et continuent de causer davantage de souffrance et d'oppression au peuple palestinien, le pays scandinave a vendu des armes à Israël par des moyens détournés.
La Norvège a également commencé à sévir contre les manuels scolaires palestiniens affichant une opposition au sionisme, mais pas contre les manuels scolaires israéliens imprégnés de racisme colonial à l'encontre des Palestiniens.
Sa récente décision d'étiqueter plutôt que d'interdire les produits israéliens fabriqués dans les colonies illégales d'Israël est loin d'être un acte pro-palestinien. Pas plus que le message de solidarité que la ministre des Affaires étrangères Anniken Huitfeldt a publié il y a quelques semaines.
La Norvège est un élément majeur et actif de l'oppression des Palestiniens depuis 1947 et continue de leur causer du tort et d'encourager la colonisation de leur pays. Si l'une de ses règles fondamentales imposées à l'OLP en 1993 était l'interdiction de « s'attarder sur les rancœurs du passé », le peuple palestinien a le devoir de s'attarder sur les crimes passés et présents de la Norvège à son encontre, qui ne semblent pas près de s'arrêter.
Les efforts déployés par la Norvège pour se présenter comme un médiateur humaniste et pacifiste satisfont peut-être une opinion publique norvégienne crédule, mais ils ne convainquent personne parmi le peuple palestinien, à l'exception des collaborateurs de l'Autorité palestinienne, que la Norvège finance afin de réprimer la résistance palestinienne anticoloniale et de préserver le colonialisme israélien.
Tout comme les poissons pourris que la Norvège a envoyés aux réfugiés palestiniens, ses efforts de médiation en vue d'une « solution pacifique » se sont avérés tout aussi pourris, et le peuple palestinien se porte mieux sans eux.
Joseph Massad est professeur d'histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l'université Columbia de New York. Il est l'auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Il a notamment écrit Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.
Article original en anglais: MEE
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