28/11/2025 mondialisation.ca  13min #297495

La pensée magique du Xxie siècle.

Par  Maryse Laurence Lewis

Une amie chinoise et moi faisions une tournée des monuments « anciens » de la ville de Montréal. Je lui propose d'entrer à la mairie, dont les murs, les planchers et plafonds sont tous en marbre. Nous avons été surprises de voir qu'un gardien nous demandait d'enlever nos sacs-à-dos et passer par un détecteur de métal, comme à la douane des aéroports. Elle s'est indignée en ajoutant : « On dit qu'en Chine nous sommes tous surveillés. Ici aussi! »

Des militants retardent les projets du genre « Accès légal », destinés d'abord aux demandeurs d'asile, qui permettraient aux autorités l'écoute téléphonique, la consultation de courriels et transactions bancaires. Des organismes obligent déjà leurs membres à détenir une carte, sur laquelle non seulement leurs coordonnées sont transcrites, mais aussi leurs empreintes digitales et celles du système vasculaire unique de leurs rétines : la biométrie. En plus de la reconnaissance faciale… Si cette ingérence devenait générale, ce ne serait pas exagéré d'affirmer qu'on nous considérerait officiellement comme des suspects! Il serait facile de nous entraver l'accès à nos comptes, notre liberté d'expression. Toute contestation serait facilement étouffée. Et la censure de sites Internet est déjà effective. ¹

« Bienvenue dans la cage qui vous suit partout » ²

Dans les écoles, on se plaint de l'indifférence des jeunes. Lire 1984 ou Le meilleur des mondes ne les effraient pas, au contraire. Plusieurs prétendre aimer être surveillés sur les réseaux sociaux, ou se laisser influencer par un algorithme qui leur suggère un film ou des pacotilles en vente. Est-ce que ça leur plairait vraiment, savoir que tous leurs déplacements sont suivis par leurs parents, les responsables de leur école, un employeur? Avec un téléphone cellulaire, on sait exactement où nous trouver, à moins d'annuler à chaque fois cette application.

Chaque mois, Facebook bloque au Canada environ 123,000 messages. Dans une liste comprenant 38 pays, les États-Unis se voient bloquer 2,6 millions de textes, suivi de près par l'Inde, dont disparaissent 2,4 millions de textes. On argue que c'est pour notre bien, pauvres inconscients que nous sommes, exposés aux dangers des messages haineux, violents. Ou de désinformations, selon les critères des menteurs qui nous manipulent. ³

Le désastre environnemental d'Internet

Concrètement, l'Internet n'a rien de virtuel. Ça ne sauvera pas les forêts du déboisement. Les arbres sont des êtres-vivants et on peut en replanter. Les centres de gestions de données électroniques consomment énormément d'énergie. Ils prennent de plus en plus d'espace. Comme ils sont en métal, ils exigent des quantités d'eau et l'exploitation de mines qui se trouvent souvent en Amérique du Sud ou en Afrique, pour lesquelles on exproprie des résidents et traite quasi en esclaves les ouvriers. Selon Gerhard Fettweis, professeur en génie des télécommunications à l'Université de Dresden, Internet deviendra la première source de pollution de la planète. ⁴

Dans les entrepôts où l'on emballe ce que les gens commandent à distance, on embauche des humains qui font un travail de robot… Le pire est bien sûr l'extraction de cobalt, cuivre et lithium. Celle du graphite et autres « terres rares » requièrent des superficies plus étendues encore qu'une mine conventionnelle et se situent souvent en milieux fragiles. Le travail est effectué par des gens dont le salaire est médiocre, les tâches risquées, la santé mise en péril. Une fois les réserves épuisées, les grandes entreprises abandonnent le plus souvent les zones polluées. Dans les accords de libre-échange, la protection de l'environnement, les normes de santé, les conditions de travail, sont considérées comme « des entraves au commerce ».

► Pour le service de commande par Internet, Amazon dispose de plus de 450,000 serveurs, dans sept méga centres de données connus. ⁵

► En France, Jeff Bezos a profité de la pandémie pour établir 21 nouveaux méga-entrepôts, entourés de béton et de stationnements. Ce qui facilite encore davantage la faillite des petits commerces. ⁶

► Au Québec, Il y aurait 45 centres de données installés dans des lieux secrets de la région de Montréal. L'hiver rigoureux permet d'économiser sur l'exigence de refroidissement des installations. Car un centre typique consomme en électricité l'équivalent d'une ville de 20,000 habitants. ⁷

► Le numérique canalise de 10 à 15 % de l'électricité mondiale, équivalent à 100 réacteurs nucléaires, et cette électricité est souvent obtenue par des carburants fossiles. ⁸

► En 2019, le groupe de réflexion The shift project, évaluait l'empreinte carbone des serveurs, appareils, réseaux, emmagasinage et partage de données, à 4 % des émissions mondiales. En 2025, on l'estime à 8 %, alors que le trafic aérien, lui, en entraîne 2,5 % ! ⁹

► Le même groupe évaluait à plus de 300 mégatonnes de dioxyde de carbone la diffusion de vidéos en ligne, en une année.

► Les satellites d'Elon Musk sont conçus pour ne durer que cinq ans. Une fois devenus inutiles, ils errent, par milliers, avec des risques toujours plus fréquents de collisions, dans le dépotoir céleste au-dessus de nos têtes. Sur Terre, environ 70 % des déchets toxiques sont constitués de pièces d'appareils électroniques. ¹⁰

► En 2011, les téléphones portables, moins puissants qu'aujourd'hui, requéraient l'extraction de plus de 10 kilos de minerais. Selon Le Livre blanc du numérique, il faut environ 60 métaux distincts pour leur conception, dont une vingtaine seulement sont recyclables.

Vous le savez, mais il ne s'agit pas uniquement d'en prendre connaissance, mais d'en préserver la conscience, dans tous nos gestes, chaque décision. Nous sommes leurs cobayes, ils nous testent pour savoir ce qui nous rebutent d'une publicité, d'un slogan, de l'apparence d'un produit. Les promoteurs n'ont plus besoin de payer des gens pour ça : ils collectent nos commentaires, mis volontairement sur les réseaux sociaux. Ils s'en servent pour nous séduire et nous leurrer.

L'humanité jetable

Les entrepreneurs qui congédient des humains, pour les remplacer par des guichets et des caisses automatiques, nous jugent inutiles, alors que c'est nous et non plus leurs employés qui accomplissons le travail, sans être payés, ni obtenir de réduction de prix, que ce soit sur la marchandise, le transport ou les frais d'administration d'une banque.

En réalité, ce sont les dirigeants politiques qui se rendent volontairement inutiles, en donnant des contrats à des consultants. Et les magnats de l'informatique, eux aussi, seront bientôt obsolètes, puisque leurs robots sont déjà capables de modeler presque toutes leurs pièces. En plus de choisir des informations par eux-mêmes, suite à une programmation de base.

► Un entraînement de ChatGPT-3 exige environ 50 térawatts d'énergie. Auparavant, lorsque j'effectuais une recherche, les premiers sites qui apparaissaient correspondaient à Wikipédia ou une université. Maintenant, c'est chaque fois un texte conçu par intelligence artificielle. Souvent sans référence, parfois truffé d'erreurs, pigé parmi les travaux humains. ¹¹

Nous sommes l'intelligence réelle

Beaucoup d'individus semblent possédés d'une pensée magique. Ils croient que parler avec ChatGPT consiste à mettre à l'épreuve une programmation sophistiquée, élaborée par des génies de l'électronique, et que ce sont ces experts qui incorporent les données. Quand un ordinateur parvient au stade d'apprentissage autonome, ce ne sont plus les programmeurs qui font le travail, mais nous.

Nous? Tous ceux et celles qui exposent des photos sur un réseau social, les artistes qui partagent leurs œuvres. On accède à un logiciel de montage gratuit, si on accepte que les fabricants soient reliés à nos montages, sinon, on perd à chaque fois des fonctions. Le meilleur exemple est le service de traduction. Vous avez sans doute remarqué qu'elles se sont améliorées, entre leur apparition et maintenant! Grâce à qui? À toutes les personnes qui parlent plus d'une langue et qui traduisent des textes, pour Wikipédia, une Université, ou simplement pour leurs réseaux sociaux.

C'est grâce à ce travail, exécuté par des individus qui ne sont pas payés par Microsoft, Facebook, Twitter, X, qui, à force de traduire, par phrases ou textes entiers, ont permis ce peaufinage. Et des «internautes», il y en a des millions, chaque jour, sur tous les continents, qui contribuent à bonifier les capacités des ordinateurs, des logiciels, des applications. À faire en sorte que des machines semblent apprendre par elles-mêmes, alors que ce sont les inutiles humains comme nous, que les Noah Harari, Klaus Schwab, Elon Musk, Bill Gates ou Mark Zuckerberg insultent, en nous jugeant remplaçables par leurs appareils.

En plus, nous les enrichissons, à chaque fois que nous cédons à une de leurs publicités. Quelques secondes après que l'on ait évoqué l'envie de voyager dans tel pays, des images d'hôtels apparaissent. On discute de tel objet, et vlan, on nous flaque une offre en lien avec tout ce qu'on vient de formuler. Certains trouvent que c'est réaliser nos vœux de manière immédiate. Oui, pour nous programmer à acheter le plus vite possible, et même à s'endetter au lieu de réfléchir.

Qui ne critique pas le fait que ces oligarques accumulent des profits injustifiables, en ne payant pas de redevances ou d'impôts en rapport avec leurs revenus? Ils nous exploitent. Ça ne coûte pas moins cher, acheter sur Internet. Les petits et moyens commerces, tenus par des humains, font faillite. Nous serons bientôt contraints de subir l'emprise des monopoles « virtuels », quand il ne restera plus de boutiques indépendantes, qui ne requièrent pas des semaines de plaintes, pour un remboursement ou corriger une erreur d'envoi.

► En janvier 2019, un reportage de l'émission « Capital », sur la chaîne française M6 révélait que des milliers de produits neufs, non vendus, étaient jetés. On ne cesse de nous rendre responsables de l'augmentation des gaz à effet de serre, en nous demandant de réduire notre « empreinte carbone ». Et tous ces envois par avions, par camions, polluent beaucoup plus que marcher pour se rendre à une librairie ou une boutique. ¹²

L'art en berne ou l'art de berner

Certains se demandent si nous pourrons faire la distinction entre les œuvres créées par des robots et celles des humains. La question ne se pose pas encore, car il ne s'agit pas de créations par des algorithmes ou des robots, mais de vol d'œuvres complètes disposées autrement.

Si je prends des lettres et que j'écris un texte, c'est ma création. Si quelqu'un s'inspire du texte d'un autre et en met des parties entières, c'est du plagiat ou un pastiche et considéré comme tel. Mais des gouvernements stupides, comme on en a au Canada, voudraient reconnaître des droits d'auteurs à des algorithmes d'intelligence artificielle. Ils n'osent pas, cependant, exiger des redevances ajustées aux profits des milliardaires de Netflix, Amazon et autres magouilleurs qui profitent de leur monopole pour s'enrichir concrètement. À eux deux, Google et Facebook collectent 80 % des revenus publicitaires en ligne, en plus de s'approprier les textes des journalistes. À la fin de 2020, le gouvernement français est parvenu à un accord avec ces usurpateurs, afin qu'ils versent une rémunération aux médias pour la reprise de leurs articles. Évidemment, seuls les journaux hors de risques financiers en profitent : Le Monde ; Courrier International ; l'Obs ; le Figaro ; Libération et L'Express… alors que ce sont des intérêts privés et des médias déjà subventionnés par l'État! Les autres vont continuer à être pillés. ¹³

Bill Brother Gates nous guette

Quand je cherche une adresse ou un numéro de téléphone, sur Internet, en inscrivant le nom de la personne et de sa ville, au Québec, je n'y parviens pas toujours. Quand je cherche quelqu'un aux États-Unis, en un clic, j'obtiens son adresse, le téléphone, son type d'emploi, qui est son ou sa partenaire, et même son âge!

Mon amie chinoise me confirme que dans son pays tout le monde doit posséder un téléphone, avec ses coordonnées. Sa famille, ses amis lui disent qu'ils se sentent protégés. Une protection de foutaise : je ne veux pas d'un gouvernement officiel ou occulte qui pense pour moi. Je ne veux pas vivre dans le pays totalitaire d'Internet. Parce que si on ne peut plus émettre d'opinion, ne rien remettre en question, critiquer pour améliorer, sans qu'on nous censure, à droite comme à gauche, c'est du totalitarisme. C'est pourquoi je n'ai pas de téléphone cellulaire et je n'en veux pas. Être surveillée par le gouvernement des États-Unis, de la Chine, du Canada ou de la France, peu importe. C'est la même domination. Nous sommes tous liés à des détecteurs qui réagissent à nos demandes. Sous prétexte de nous protéger, on nous envoie des alertes, dès qu'on utilise un ordinateur autre que celui qu'on possède. Ça ne sert à rien d'autre qu'à nous empêcher d'entrer dans notre propre courriel. Bien entendu, il ne s'agit pas de protection, parce que n'importe quel expert peut vandaliser des milliers de comptes! Ce qui est visé, c'est obliger les gens à posséder chacun un téléphone cellulaire et un ordinateur, par lesquels nous identifier. Ce qui permettrait d'invalider des fonctions, pour rendre difficile le travail des journalistes non corrompus, empêcher les contestataires d'utiliser des services, alors que tout est devenu numérique: les paiements de factures, les cartes de transport, l'obtention de formulaires, la demande de carte d'assurance maladie.

Et tout ça aurait l'air de n'être dû qu'à un problème d'ordinateur ou de téléphone, et l'individu lésé passerait pour délirant, s'il pointait les magnats du numériques qui veulent empêcher qu'on dénonce leurs exactions, leur collusion avec des politiciens, leur censure des opinions distinctes des leurs.

On ne se préoccupe pas des milliers de personnes qui n'ont même pas un endroit où loger, à part une tente ou un lit en refuge, mais si ces sans-abris possédaient un téléphone portable, les détenteurs de services numériques et les gouvernements seraient satisfaits!

Les degrés de docilité

C'est pourquoi les jeunes, comme les vieux, devraient s'inquiéter de perdre leur liberté et de se faire traiter d'inutiles. C'est grâce à nous que l'informatique évolue. Malheureusement, la docilité humaine permet aux mégalomanes du numérique d'abuser de nous, en prétendant nous faciliter l'existence. Et je ne mentionne pas, ici, les paradis fiscaux et profits dont jouissent ces opportunistes d'Internet. Ça représenterait un article complet.

N'encourageons pas Netflix et Amazon, les ventes par Internet, les intrusions dans les sites, le vol de nos œuvres. Que les jeunes cessent de jouer à des jeux idiots de poursuites de zombies, avant de se muter à leur image et ressemblance! Il est déjà trop tard pour beaucoup d'adeptes de ces niaiseries. On devra bientôt cesser de nous demander de prouver que nous ne sommes pas des robots, car nous en serons devenus.

Maryse Laurence Lewis

Références :

1.1  cai.gouv.qc.ca

1.2  cyber.gc.ca

2. Stop aux réseaux sociaux, 10 bonnes raisons de s'en méfier et de s'en libérer, page 11, par Jared Lanier, traduit de l'anglais par Gilles Bardiaux, Éditions de Boeck, 2020.

3.  lapresse.ca

(Par Vincent Brousseau-Pouliot, cité page 134 Les Barbares numériques)

4. Internet, le plus grand pollueur de la planète? Par Alexis Willot, le 14 septembre 2021

(Cité page 183, mais je n'ai pu trouver cette référence).

5.1  journaldunet.com

(Cité page183 Les Barbares numériques)

5.2. Danny Lemieux (Cité page 187, ibidem)

 ici.radio-canada.ca

6. Les barbares numériques, par Alain Saulnier, Éditions Écosociété, 2022, page 190.

7. page 186.

8. page 183.

9.  theshiftproject.org Un groupe français, fondé à Paris, et… avec ses textes en anglais… (Cité page 187)

10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Starlink

11. science-et-vie.com

12.  popsci.com

Par Alexandra Ossola, citée page 184 Les Barbares numériques.

13. Les Barbares numériques, page 160.

N.B. Jaron Lanier et Alain Saulnier ne connaissent rien à la biologie, mais se permettent de médirent et d'accuser de désinformations les gens qui ne sont pas anti-vaccins, mais seulement conscients de l'inefficacité des doses anti-covid. Christian Perronne, ancien conseiller en virologie pour l'OMS, n'est certainement pas un « antivax »!

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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Par  Maryse Laurence Lewis

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