Par Julien Le Ménéec
Le gouvernement polonais a porté un coup sérieux à l'Ukraine en refusant de nouvelles livraisons d'armes. Cette décision a été prise après les accusations du président ukrainien sur certains en Europe qui aident la Russie dans ses exportations de céréales.
Ce tournant arrive quand la contre-offensive de l'Ukraine contre la Russie est un échec et où la visite de Volodymyr Zelensky aux États-Unis a été une amère déception. La crainte de l'élargissement du conflit, les tensions dans la société polonaise, les disputes avec l'Allemagne, les mots agressifs et humiliants du pouvoir ukrainien, alors que le pays a des élections le 15 octobre pour changer son parlement, provoquent une violente remise en cause de l'aide à l'Ukraine.
Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a déclaré que son pays n'enverrait plus d'armes à l'Ukraine alors que le conflit céréalier s'intensifie avec l'Ukraine et des pays de l'UE. Observateur Continental signalait que «Varsovie exige que l'UE prolonge l'embargo sur les importations de céréales en provenance de Kiev. Le pays de Chopin veut protéger son économie et son agriculture contre des concurrents ukrainiens qui bénéficient de lois extraordinaires pour exporter leurs productions agricoles en UE. La Pologne refuse de vivre au rythme de l'hymne européen de Beethoven joué à Bruxelles».
The Guardian a précisé les raisons de ce changement brutal de la Pologne concernant les livraisons d'armes à l'Ukraine: «La Pologne, l'un des alliés les plus fidèles de l'Ukraine, a annoncé la fin de ses transferts d'armes vers le pays, un jour après que le Volodymyr Zelensky a accusé Varsovie de faire le jeu de la Russie en interdisant les importations de céréales ukrainiennes».
La Pologne est, pourtant, un allié clé depuis le début du conflit en février 2022 et l'un des principaux fournisseurs d'armes pour Kiev. Il y a aussi dans ce pays un million de réfugiés ukrainiens qui ont reçu diverses aides gouvernementales. Mercredi, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a, donc, appelé à l'arrêt des ventes d'armes, affirmant que son pays avait décidé de donner la priorité à sa propre défense. «Nous ne transférons plus d'armes vers l'Ukraine, car nous équipons désormais la Pologne d'armes plus modernes», a-t-il déclaré. Cette décision intervient après les attaques verbales de Volodymyr Zelensky lors de son discours à l'Assemblée générale de l'ONU.
Le conflit en Ukraine a fermé les routes maritimes de la mer Noire utilisées avant le conflit, laissant l'UE comme principale route de transit et destination d'exportation des céréales ukrainiennes.
En mai, l'UE a accepté de limiter les importations vers la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie, cherchant à protéger les agriculteurs de ces pays qui accusaient les importations d'être à l'origine de la chute des prix sur les marchés locaux. Ces mesures ont permis aux produits de continuer à transiter par cinq pays, mais leur vente a été stoppée sur le marché local.
Vendredi dernier, la Commission européenne a annoncé qu'elle levait l'interdiction d'importer les produits agricoles d'Ukraine, affirmant que «les distorsions du marché dans les cinq États membres limitrophes de l'Ukraine ont disparus». La Pologne, la Hongrie et la Slovaquie avaient immédiatement annoncé qu'elles n'accepteraient pas cette décision car les agriculteurs de ces pays goûtaient peu de voir débarquer sans droits de douane des céréales ukrainiennes devant leurs portes. Le Financial Times fait savoir que «la Slovaquie lève l'interdiction sur les importations de céréales ukrainiennes».
Dans son discours à l'ONU, Volodymyr Zelensky a suggéré que leur décision était hypocrite et préjudiciable à son pays.
«Il est alarmant de constater que certains en Europe jouent la solidarité sur un théâtre politique, transformant les céréales en thriller. Ils peuvent sembler jouer leur propre rôle. En fait, ils contribuent à préparer le terrain pour un acteur moscovite», a-t-il 𝕏 affirmé. Ses propos ont provoqué une réaction furieuse de la Pologne qui a convoqué l'ambassadeur d'Ukraine et l'a mis en garde contre de nouvelles mesures de représailles.
Mateusz Morawiecki a déclaré à la chaîne de télévision Polsat News: «Je préviens les autorités ukrainiennes. Parce que s'ils continuent à aggraver le conflit de cette manière, nous ajouterons des produits supplémentaires à l'interdiction d'importer en Pologne. Les autorités ukrainiennes ne comprennent pas à quel point le secteur agricole polonais a été déstabilisé. Nous protégeons les agriculteurs polonais».
Le problème est particulièrement aigu en Pologne qui doit faire face à des élections le 15 octobe. Le gouvernement populiste de droite du Parti Droit et Justice (PiS) bénéficie d'un fort soutien dans les régions agricoles. «Nous avons été les premiers à faire beaucoup pour l'Ukraine, et c'est pourquoi nous attendons d'eux qu'ils comprennent nos intérêts», a martelé Mateusz Morawiecki dans l'entretien accordé mercredi à Polsat News. «Bien sûr, nous respectons tous leurs problèmes, mais pour nous, les intérêts de nos agriculteurs sont la chose la plus importante».
Kiev a annoncé qu'elle porterait plainte auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la décision de la Pologne, de la Hongrie et de la Slovaquie concernant les céréales. Un responsable de l'OMC a confirmé que l'Ukraine avait fait le premier pas dans le différend commercial en déposant une plainte auprès de l'organisme commercial mondial.
Cette décision a, à son tour, été critiquée par le ministère polonais des Affaires étrangère, Zbigniew Rau. «Les comparaisons entre la Pologne et la Russie qui sont apparues ces derniers jours dans les déclarations des hommes politiques ukrainiens sont extrêmement offensantes pour la société polonaise. Ils conduisent à une profonde refonte de la conscience polonaise à l'égard de l'Ukraine et des Ukrainiens, non seulement collectivement, mais surtout individuellement. Dans les mêmes maisons où nous avons spontanément accueilli des réfugiés ukrainiens, aux tables où nous écoutions des histoires sur leur sort, nous nous demandons aujourd'hui comment les Polonais et les Russes peuvent être mis sur le même plan comme nuisant aux Ukrainiens», a-t-il 𝕏 critiqué.
Il a poursuivi: «L'aide de notre gouvernement à l'Ukraine et aux Ukrainiens a été possible grâce à la compréhension, à la compassion et à la sympathie pour l'Ukraine de presque toutes les familles polonaises. Par conséquent, la politique actuelle de l'Ukraine est non seulement nuisible et douloureuse pour nous, mais surtout offensante. Il est difficile de supposer qu'il sera rapidement oublié. C'est pourquoi cela nuit à l'Ukraine. Ensemble, nous y perdons beaucoup»; «Un travail titanesque sera nécessaire pour rétablir la confiance de la société polonaise dans la bonne volonté des autorités ukrainiennes».
Kiev impose à la Pologne ses propositions pour faire évoluer le dialogue. Après que la Pologne ait convoqué l'ambassadeur ukrainien, Kiev a appelé Varsovie à reconsidérer sa position sur le conflit céréalier. «Nous exhortons nos amis polonais à mettre de côté leurs émotions», a déclaré le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères, Oleg Nikolenko. Il a averti que l'ambassadeur d'Ukraine avait expliqué sa position sur «l'inacceptabilité» de l'interdiction polonaise et a suggéré que les propositions de Kiev «deviendront la base pour faire évoluer le dialogue vers une voie constructive».
«Le monde constate une rupture des relations entre la Pologne et l'Ukraine», titre Business Insider Pologne, soulignant: «Duda attaque Zelensky» et que le président polonais a comparé Kiev à un «homme qui se noie» et qui «s'accroche à un sauveteur» tout en rappelant que l'Ukraine ne doit pas oublier qu'elle reçoit de l'aide de la Pologne.
La Pologne ne procédera désormais qu'aux livraisons de munitions et d'armes à Kiev convenues avant que Varsovie ne prenne la décision d'arrêter les livraisons, a déclaré jeudi le porte-parole du gouvernement, Piotr Müller. La Pologne est le sixième pays à soutenir l'Ukraine militairement. La France se trouve à la dixième position. En tête, on a les Etats-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et le Danemark.
«Sans livraisons d'armes, une Ukraine politiquement indépendante n'existerait plus», constate Die Zeit qui stipule: «Mais pour l'Europe, une guerre prolongée signifie inévitablement un déclin». L'hebdomadaire de Hambourg rajoute que «de nombreuses unités ukrainiennes d'infanterie manquent même d'équipement de bases: matériel de déminage, appareils de vision nocturne ou véhicules de transport blindés». Die Zeit avoue – posant des questions sur «où» va l'argent de l'Occident – que «ce qui était encore un espoir au début de la guerre, mais qui ressemble aujourd'hui à une défaite, devient de plus en plus clair».
«Même si la troisième offensive suivante devait avoir lieu au printemps prochain, rien n'indique que les positions russes s'effondreront»; «Jusqu'à présent, les résultats de l'offensive ukrainienne du printemps, devenue une offensive d'été et qui devrait maintenant se prolonger jusqu'à l'automne, donnent à réfléchir», conclut le média d'outre-Rhin.
«Volodymyr Zelensky a reçu un accueil de héros lors de sa visite en décembre, mais cette fois, il a passé ses réunions à huis clos au Congrès américain à essayer désespérément de surmonter la lassitude croissante des républicains face à la guerre», annonce France 24.
Julien Le Ménéec
La source originale de cet article est Observateur continental
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