25/11/2025 elcorreo.eu.org  4min #297181

La Représentation Brisée Et La Guerre Pour La Subjectivité

par  Nora Merlín

« Pleurez ce qui, ayant pris fin, renaît…
Pleurez tout ce qui change, même pour s'améliorer. »
(Les Cendres de Gramsci)

Alors qu'une grande partie du système politique s'amuse à compter les votes comme on compte les haricots, quelque chose de plus profond – et de plus inquiétant – se produit : une faille structurelle dans la représentation démocratique coexiste avec la montée en puissance de droites de plus en plus radicalisées, certaines affichant désormais sans vergogne leurs sympathies néofascistes. Et pourtant, leur progression électorale ne signifie pas qu'elles représentent la société : cela signifie qu'elles ont appris à intervenir dans la subjectivité.

Ils ne gagnent pas parce qu'ils traduisent des revendications réelles ou parce qu'ils proposent des solutions cohérentes. Ils gagnent parce qu'ils parviennent à instaurer un climat affectif où la peur, l'angoisse et la méfiance fonctionnent comme des dispositifs de gouvernement avant même de gouverner.

Le procédé est bien connu : créer des ennemis tout désignés — « migrants », « kukas », « communistes », toute personne pouvant être considérée comme une menace — et y canaliser toutes les frustrations sociales. Une simplification brutale qui, pourtant, porte ses fruits sur le plan politique.

La nouveauté ne réside pas dans la formule, mais dans la sophistication de ses mécanismes. Il ne s'agit pas seulement de discours enflammés sur les réseaux sociaux, mais de véritables stratégies psycho-politiques qui cherchent à modeler la perception : produire un sentiment de chaos, amplifier la peur, éroder l'estime de soi collective. Lorsque l'angoisse se normalise, la subjectivité devient disponible pour les discours autoritaires qui promettent l'ordre à tout prix.

Face à ce scénario, le camp populaire semble parfois pris au piège dans un anachronisme. Il continue de croire que le débat est uniquement programmatique, qu'il suffit de proposer des « propositions », des « modèles alternatifs », des « politiques publiques ». Mais la bataille n'est pas — ou n'est pas seulement — rationnelle : elle est émotionnelle, symbolique, affective. Et sur ce terrain, la droite joue avec des professionnels tandis que les forces progressistes continuent de discuter à propos de personnes et de candidatures.

Il faut peut-être accepter, une fois pour toutes, que nous sommes confrontés à une guerre pour la subjectivité. Que nous avons besoin de psychologues, de psychanalystes, de communicateurs, de spécialistes de la culture et de la mémoire, non pas pour manipuler, mais pour comprendre ce qui arrive à une société soumise quotidiennement à une pédagogie de la haine. Sans cette lecture, tout projet de transformation reste désarmé face à la machine émotionnelle de l'extrême droite.

Le défi consiste donc à reconstruire un sens commun qui ne soit pas gouverné par la peur. Restaurer la confiance, réactiver les liens, disputer le territoire des émotions. Car l'extrême droite ne progresse pas parce qu'elle représente mieux : elle progresse parce qu'elle a appris à agir sur ce qui définit notre vision du monde. Si le camp populaire ne reconnaît pas ce front de bataille, il lui sera difficile de reprendre l'initiative.

Nora Merlin* pour  Página 12

 Página 12. Buenos Aires, le 21 novembre 2025.

*Nora Merlin. Psychanalyste. Magister en Science politique. Auteur du «  Populismo y psicoanálisis », «  Colonización de la subjetividad » et «  Mentir y colonizar. Obediencia inconsciente y subjetividad neoliberal ».  twitter.com

Traduit de l'espagnol pour et depuis  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diáspora. Paris, le 25 novembre 2025.

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