16/02/2025 ssofidelis.substack.com  15min #269049

La résolution (181) catastrophique

Par Stefan Moore pour Consortium News, le 14 février 2025

Le processus de l'ONU sur la partition de la Palestine a entraîné un nettoyage ethnique de masse, une inégalité criante, la peur perpétuelle et une guerre génocidaire.

Les projets absurdes, immoraux et manifestement  illégaux de Donald Trump d'acquérir la bande de Gaza et d'en expulser les habitants ont suscité la colère et l'incrédulité dans le monde entier, mais cette politique démentielle trouve son origine il y a quatre-vingts ans dans le plan désastreux des Nations unies visant à partitionner la Palestine, un plan qui a déclenché le premier nettoyage ethnique de masse du peuple palestinien.

Le 16 juin 1947, les membres du Comité spécial des Nations Unies pour la Palestine (UNSCOP), représentant 11 pays, sont arrivés à Jérusalem. Leur mission était d' enquêter sur les causes du conflit palestinien, et de faire des recommandations sur l'avenir du pays alors que le mandat britannique sur la Palestine touchait à sa fin.

Dès le début, l'enquête a été largement biaisée en faveur de la minorité juive de Palestine.  Aucun représentant des nations arabes ne siégeait à l'UNSCOP, et l'Assemblée générale des Nations unies a rejeté d'emblée les appels des Arabes en faveur d'un État palestinien unique garantissant les droits civils et religieux des Arabes et des Juifs.

Comme le  souligne l'historien israélien Ilan Pappé, les Arabes ont simplement

"exigé que la Palestine soit traitée de la même manière que tous ses pays arabes voisins, qui avaient obtenu leur pleine indépendance à la fin de leurs mandats [britanniques] respectifs". A Very Short History of the Israel-Palestine Conflict (p.46).

Pourtant, le comité a entendu 31 dirigeants juifs de 17 organisations sionistes, contre seulement six représentants de pays arabes, pour examiner la partition de la Palestine en États juif et arabe distincts - ce qu'il n'avait pas le pouvoir légal de faire en vertu de l'article 1 (2) de la Charte des Nations unies qui consacre

"les principes de l'égalité des droits et de l'autodétermination de tous les peuples".

Ce fut une décision désastreuse pour les Arabes, les Juifs et toute la région, qui allait entraîner un nettoyage ethnique de masse, des inégalités extrêmes, un sentiment de peur perpétuel et une guerre génocidaire.

À leur arrivée à Tel Aviv, les membres de l'UNSCOP  ont été accueillis par une foule en liesse. Les dirigeants sionistes avaient annoncé un jour férié. Des foules en liesse remplissaient les rues bordées de fleurs et de drapeaux ornés de l'étoile de David. Les membres du comité ont été accueillis par des habitants enthousiastes. À l'hôtel de ville, le maire a fait monter le groupe sur le balcon tandis que la foule en contrebas entonnait l'hymne juif Hatikvah, célébrant la prophétie biblique du retour des Juifs en Terre sainte.

En coulisses, tout avait été soigneusement mis en scène. Au cours de leur visite de sept jours, les membres de l'UNSCOP ont visité des sites industriels et commerciaux juifs, des colonies agricoles, des centres médicaux, des universités, des laboratoires et des instituts scientifiques, le tout en compagnie de hauts responsables de l'Agence juive, dont le futur vice-Premier ministre Abba Eban.

Partout, les organisateurs ont veillé à ce que les membres du comité rencontrent "par hasard" des colons juifs de leur propre pays qui vantaient les mérites du projet sioniste.

Pour convaincre les responsables de l'UNSCOP que l'État juif naissant pourrait repousser toute attaque arabe, des réunions clandestines ont été organisées avec les chefs des milices juives secrètes. Le groupe de guérilla sioniste de droite, l' Irgoun, et le haut commandement du principal groupe paramilitaire et de renseignement, la Haganah, ont participé à ces réunions.

Espionnés par la Haganah

Ce que les membres du comité ignoraient, c'est que la Haganah  espionnait également toutes leurs conversations privées.

"Des micros étaient placés dans les hôtels et les salles de conférence. Toutes les conversations téléphoniques étaient mises sur écoute",

 écrit le journaliste d'investigation israélien Ronan Bergman.

"Le personnel de ménage habituel de l'immeuble de Jérusalem où la commission tenait ses audiences quotidiennes a été remplacé par des agents de sexe féminin qui rendaient compte chaque jour de ses activités".

Deux membres de l'UNSCOP, originaires d'Uruguay et du Guatemala, auraient été soudoyés pour fournir des informations privilégiées sur les délibérations confidentielles de la commission. Le représentant du Guatemala a également été soupçonné d'avoir  divulgué des informations internes à un responsable de l'Agence juive.

À la fin de chaque journée, les rapports du renseignement (nommés Delphi Report avec l'inscription "Lire puis détruire" en référence à la bombe atomique) étaient distribués aux responsables juifs pour les aider à se préparer aux questions qui pourraient leur être posées lorsqu'ils témoigneraient devant la commission.

Parmi ceux à avoir  témoigné devant la commission figurait le futur Premier ministre David Ben Gourion, qui invoqua avec éloquence l'exceptionnalisme juif et leur revendication biblique de la terre.

"Bien que le peuple juif ait connu le destin tragique d'errer en exil pendant plusieurs siècles, il est toujours resté attaché de tout son cœur et de toute son âme à sa patrie historique", a déclaré Ben Gourion. "Aucun Juif ne peut être vraiment libre, en sécurité et considéré comme égal partout dans le monde tant que le peuple juif n'est pas à nouveau enraciné dans son propre pays et en tant que nation égale et indépendante".

Pendant ce temps, le futur président israélien Moshe Shertok a déclaré (de manière mensongère) à la commission que l'immigration juive en Palestine n'avait pas déplacé la population arabe et, chose incroyable, que

"dans l'histoire de la colonisation, il n'était pas aisé de trouver un exemple de programme de colonisation à grande échelle ayant été mené avec autant de respect pour les intérêts de la population existante".

"L'ensemble du dossier sioniste était scandaleux. Ses arguments étaient mensongers, empreints de préjugés et d'une hypocrisie extrême",

 écrit Jeremy R. Hammond dans The Rejection of Palestinian Self-Determination.

"Et pourtant, l'UNSCOP les a pris très au sérieux. Elle a accepté l'argument selon lequel permettre la démocratie en Palestine détruirait en fait la patrie nationale juive et, sur cette base, a explicitement rejeté le droit à l'autodétermination de la majorité arabe".

Le 8 août 1947, l'UNSCOP a quitté la Palestine pour visiter les camps de personnes déplacées (DP) pour les réfugiés juifs de guerre en Autriche et en Allemagne.

Malgré les objections de quelques membres du comité selon lesquelles il serait

"inapproprié de faire le lien entre les personnes déplacées et le problème juif dans son ensemble, et le problème de la Palestine",

les membres du comité ont passé plus de temps à visiter les camps de déplacés qu'à visiter les pays arabes voisins de la Palestine.

Arthur Ochs Sulzberger, rédacteur en chef du New York Times et éminent juif américain, a été  scandalisé par l'instrumentalisation par les sionistes du sort des réfugiés juifs dans les camps de personnes déplacées en Europe.

"Nous, aux États-Unis, devrions ouvrir nos portes aux personnes de toutes confessions et croyances",

a-t-il déclaré dans un discours rapporté par son journal.

"La France", a-t-il déclaré, "cherche de nouveaux citoyens et ils sont à sa porte, réclamant à grands cris de pouvoir s'installer. L'Angleterre, refuge historique des ressortissants opprimés, peut prendre part à l'effort. En admettant que les Juifs d'Europe aient souffert au-delà de toute expression, pourquoi, au nom de Dieu, le sort de tous ces malheureux devrait-il être subordonné au besoin d'un État ?"

Les objections sont restées lettre morte : l'Europe et les États-Unis ont rapidement abandonné toute responsabilité envers leurs réfugiés juifs et l'avenir de la majorité arabe en Palestine.

La solution à deux États

Le 3 septembre 1947, l'UNSCOP a proposé un plan de partition de la Palestine en deux États indépendants, l'un juif et l'autre arabe, avec Jérusalem placée sous le contrôle d'un "régime international spécial". Le plan fut soutenu par sept des onze membres, l'Iran, l'Inde et la Yougoslavie votant contre, et l'Australie s'abstenant.

À tous égards, la solution proposée était profondément injuste : les Juifs, qui représentaient environ un tiers de la population totale de la Palestine (630 000 personnes), se voyaient attribuer 56 % des terres, dont les zones les plus fertiles et la majeure partie du littoral. Les Palestiniens arabes, qui constituaient environ deux tiers de la population (1 324 000 personnes), ne disposaient que de 42 % du territoire.

La proposition de l'UNSCOP devait ensuite faire l'objet d'un vote décisif à l'Assemblée générale des Nations unies, pour lequel les sionistes s'étaient préparés avec une campagne de lobbying mondiale massive  financée par un million de dollars provenant de l'Agence juive, le gouvernement juif de facto en Palestine, selon l'historien Tom Segev dans One Palestine Complete (p. 496).

Leur tactique de coercition a commencé à la Maison Blanche, où ils ont dit au président démocrate Harry Truman que s'il ne soutenait pas le plan de partition, son parti, qui recevait un grand nombre de contributions juives, en subirait les fâcheuses conséquences.

"Je ne pense pas avoir jamais subi autant de pressions et de propagande visant la Maison Blanche que lors de cette occasion",

aurait déclaré Truman dans  American Presidents and the Middle East de George Lenczowski (p. 157).

"La ténacité de quelques dirigeants sionistes extrémistes, motivés par des considérations politiques et recourant à diverses menaces politiques, m'a perturbé et agacé".

Mais malgré le ressentiment de Truman envers le lobby et son "influence injustifiée", les États-Unis ont fini par se rallier. Le 11 octobre 1947, les Américains ont fait une déclaration officielle en faveur de la partition.

Les États-Unis, alors à la solde des sionistes, se sont mis à recruter des pays plus petits à l'aide de pots-de-vin et de menaces : le Liberia et le Nicaragua ont été mis en garde contre de sévères sanctions s'ils ne votaient pas en faveur de la partition. 26 sénateurs américains en charge de l'aide étrangère ont envoyé un télégramme aux pays hésitants pour "appeler" à leur soutien au plan de partition. Les juges de la Cour suprême Felix Frankfurter et Frank Murphy ont  mis en garde le président philippin Manuel Roxas contre la possibilité qu'un vote contre le plan de partition aliène des millions d'Américains.

Objections de Jawaharlal Nehru

Exaspéré par ces tactiques, le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru a révélé que les sionistes ont tenté de soudoyer son pays avec des millions de dollars et que sa sœur, Vijaya Lakshmi Pandit, ambassadrice de l'Inde auprès des Nations unies, avait été avertie que sa vie pourrait être en danger si elle ne "votait pas correctement".

Le 26 novembre 1947, le plan de partition a été soumis à un vote à l'Assemblée générale des Nations Unies, composée de 57 membres, où il a semblé qu'il n'obtiendrait pas la majorité des deux tiers requise pour être adopté.

Refusant d'accepter la défaite, les sionistes ont bloqué la session, réussissant à reporter le vote de trois jours, soit suffisamment de temps pour mettre tout en œuvre et lancer une dernière campagne de lobbying.

Lorsque l'Assemblée générale a finalement voté le 29 novembre 1947, le plan de partition (résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies) a été adopté de justesse par deux voix. Si le vote avait eu lieu à la date initiale, il aurait pu être rejeté, et l'histoire aurait peut-être pris une tournure différente.

Il est important de reconnaître, cependant, que bien que les tactiques mafieuses des sionistes aient réussi à imposer la partition, la résolution 181 n'était pas contraignante et ne constituait qu'une recommandation qui n'a jamais été approuvée par le Conseil de sécurité.

De plus, les Nations unies n'avaient aucune autorité en vertu de leur propre Charte pour diviser la Palestine : la résolution 181 enfreignait directement l'article 1 (2) et l'article 55 de la Charte des Nations unies qui prônent le "principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes".

Le diplomate égyptien Nebil Elaraby  a écrit :

"Les aspirations légitimes et les grands espoirs de l'ensemble des nations arabes ont été brisés en constatant avec une profonde tristesse que les Nations Unies, supposées être la conscience de l'humanité, étaient parvenues à des conclusions partiales qui ont gravement nui à la cause de la justice et de l'éthique internationale. La loi de la Charte a été sacrifiée au profit de l'opportunisme politique".

Aujourd'hui encore, on croit à tort que les Nations Unies ont créé un État juif, ce qu'elles n'avaient pas le pouvoir de faire.

Au lieu de cela, la résolution 181 a donné le feu vert aux milices paramilitaires sionistes - la Haganah, le Gang Stern et l'Irgoun - pour revendiquer un État juif en Palestine par le biais d'une  violente campagne de nettoyage ethnique qui a immédiatement suivi la résolution de l'ONU.

Ce qui s'est passé ensuite, appelé Plan Dalet (D), est  décrit de manière effrayante par Ilan Pappé :

"Les ordres étaient accompagnés d'une description détaillée des méthodes à appliquer pour expulser de force la population : intimidation à grande échelle, blocus et bombardement des villages et des agglomérations, incendie des maisons, des propriétés et des biens, expulsion des résidents, démolition des maisons, et, enfin, pose de mines dans les décombres pour empêcher les habitants expulsés de revenir..."

Une fois l'opération terminée, plus de 750 000 Palestiniens ont été déracinés, 531 villages ont été détruits, 70 massacres de civils ont eu lieu et on estime que 10 à 15 000 Palestiniens ont été tués.

"La communauté internationale, qui avait fait sienne une charte défendant l'État de droit, la justice et l'égalité des droits entre les nations, avait pavé la voie à la catastrophe",  écrit Tim Pappé dans A Very Short History (p. 58) "- une catastrophe si totale qu'elle est devenue la définition même du mot arabe : Nakba".

Dès le début, la résolution 181 a été un plan désastreux aux conséquences catastrophiques pour l'avenir des Palestiniens, des Juifs, de la région et du monde.

Elle a permis à l'Europe et aux États-Unis d'abandonner leurs réfugiés juifs au lendemain de l'Holocauste, et elle a donné le feu vert aux sionistes pour créer un État théocratique d'apartheid sur les terres du peuple autochtone de Palestine.

Et Israël a pu, en toute impunité, commettre des violations flagrantes du droit international en occupant des territoires conquis lors de la guerre de 1967, en construisant des colonies illégales en Cisjordanie, et en perpétrant de multiples crimes de guerre, crimes contre l'humanité jusqu'au génocide à Gaza aujourd'hui.

Malgré son histoire de non-droit, on nous répète sans cesse qu'Israël a un droit sacro-saint d'exister. Cependant,

"l'idée du 'droit d'exister' inhérent à un État est fallacieuse", écrit l'ancien fonctionnaire de l'ONU Moncef Khane. "Conceptuellement ou légalement, aucun droit naturel ou légal de ce type n'existe pour Israël ou tout autre État [en vertu] du droit international".

"Ce que dit le droit international", explique M. Khane, c'est que "les peuples disposent d'un droit inaliénable à l'autodétermination" et qu'"une puissance occupante n'a par nature aucun droit de légitime défense contre le peuple qu'elle soumet, mais le peuple sous occupation, lui, dispose d'un droit de légitime défense contre ses occupants".

La manœuvre insensée et criminelle de Trump pour prendre le contrôle de Gaza contrevient à tous ces droits, en violation de tous les principaux statuts et traités internationaux.

L'expulsion forcée est un crime de guerre et un crime contre l'humanité interdits par la Convention de Genève et le Tribunal de Nuremberg. Refuser aux Palestiniens le droit de retourner sur leurs terres constitue une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La saisie du territoire palestinien constitue un vol territorial pur et simple.

Il va sans dire qu'Israël est en violation de toutes ces lois depuis la Nakba, mais les Palestiniens, qui ont tout sacrifié et souffert au-delà de toute mesure, ont clairement fait comprendre une chose : tandis qu'ils effectuent la longue marche du retour vers le nord de Gaza dévasté par la machine de guerre israélienne et les bombes américaines, ils continuent de résister à toute tentative de s'emparer de leurs terres, et semblent déterminés à ne jamais renoncer à leur droit inaliénable à l'autodétermination.

* Stefan Moore est un réalisateur de documentaires américano-australien dont les films ont reçu quatre Emmys et de nombreux autres prix. À New York, il a été producteur de séries pour WNET et producteur du magazine d'actualité 48 HOURS diffusé en prime time sur CBS. Au Royaume-Uni, il a produit des séries à la BBC, et il est en Australie producteur exécutif pour la société cinématographique nationale Film Australia et ABC-TV.

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