Par Hussein Mehdi, le 15 novembre 2024
"L'hégémonie américaine au Liban est nécessaire pour assurer la stabilité de l'ordre régional. Tout mouvement vers l'indépendance décisionnelle pourrait conduire à un chaos menaçant les intérêts américains dans la région". - Joseph Nye
Dans ses mémoires parues en 2020, "Une terre promise", l'ancien président américain Barack Obama affirme clairement que toute évolution vers une prise de décision politique indépendante en Asie occidentale
"aura un impact profond sur les intérêts américains dans la région, car elle affaiblira notre capacité à influencer les événements mondiaux".
Cette mentalité, qu'Obama qualifie de "diplomatie", guide la politique américaine au Liban, où le maintien du contrôle sur les institutions de l'État libanais est devenu un des objectifs majeurs des États-Unis. L'aide financière, les sanctions et l'assistance militaire sous conditions, parmi d'autres incitations et sanctions, sont utilisées comme leviers pour orienter les décisions de Beyrouth dans le sens des intérêts régionaux américains. Ceux qui collaborent - directement ou indirectement - avec le Hezbollah ou le gouvernement syrien sont menacés de sanctions, une tactique destinée à ancrer l'influence américaine dans la politique libanaise.
De la diplomatie à la tutelle déclarée
Ce contrôle revêt de plus en plus la forme d'une tutelle déclarée, en particulier après le déclenchement de l'agression militaire d'Israël contre le Liban, et dans la perspective du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
L'actuelle ambassadrice des États-Unis à Beyrouth, Lisa Johnson, a incarné ce changement en informant récemment les forces politiques et les représentants libanais qu'ils devraient
"se préparer à la phase post-Hezbollah, puisque son contrôle sur l'État, ses institutions et les postes-frontières ne pourra plus se poursuivre".
La diplomate américaine a déclaré que le mouvement de résistance libanais s'est "considérablement affaibli" après une série de revers majeurs, notamment l'assassinat du secrétaire général de longue date Hassan Nasrallah, et aurait déclaré que
"le pays sera bientôt témoin d'une nouvelle ère politique, dans laquelle le Hezbollah n'aura plus sa place".
Les déclarations publiques de Mme Johnson sont pour le moins contradictoires. Quelques mois plus tôt, le 27 juin, lors d'une cérémonie à l'ambassade des États-Unis, elle affirmait que "le conflit a assez duré" et que, depuis le président Joe Biden, tout le monde à l'ambassade se concentre sur la prévention d'une nouvelle escalade et sur la recherche d'une solution diplomatique.
Mais à mesure que les opérations militaires israéliennes se sont étendues au Liban et que Trump a remporté une victoire écrasante aux élections américaines, cette apparente diplomatie s'est rapidement évanouie. En effet, il est devenu évident que la politique américaine a été essentiellement axée sur le soutien des objectifs militaires de Tel-Aviv tout en affirmant fermement la domination de Washington sur le Liban - sans aucun revers significatif des dirigeants politiques ou militaires libanais.
Les institutions libanaises
L'État libanais, y compris son armée et ses services de sécurité, n'a pas résisté aux intrusions américaines dans la souveraineté du Liban et a parfois fait des pieds et des mains pour satisfaire les exigences américaines, aussi invasives soient-elles. Récemment, après que le député Waddah al-Sadiq a affirmé, lors d'une interview télévisée, que "certains accès de l'aéroport de Beyrouth sont réservés aux membres du Hezbollah et qu'il en va de même pour le port de Beyrouth", les autorités libanaises ont autorisé un attaché militaire américain à inspecter l'aéroport afin d'évaluer par lui-même toute présence du Hezbollah - en vain.
Cet incident a coïncidé avec la construction par les États-Unis, sans autorisation ni licence, d'un passage à partir de la route maritime près de la caserne Al-Fahd de Dbayeh, bien que le chantier se trouve dans une zone de sécurité libanaise étroitement surveillée. L'ambassade américaine a par la suite justifié le projet par la préparation d'une éventuelle évacuation de ses ressortissants, mais l'approbation implicite du commandement militaire libanais en dit long sur son incapacité - ou son manque de volonté - à résister aux exigences américaines.
Les Américains exercent également une influence sur l'espace aérien libanais. Les autorités américaines ont bloqué l' accès d'un avion civil iranien et ont même interdit l'atterrissage d'un avion d'aide irakien, le contraignant à passer par la Jordanie. Même la compagnie nationale libanaise, Middle East Airlines, "𝕏 la pire compagnie aérienne de la planète", s'est soumise à l'injonction de l'ambassade américaine en septembre de ne pas transporter les blessés des attentats de Beyrouth, craignant des répercussions potentielles en tant que dernière compagnie aérienne opérant à partir de l'aéroport Rafiq Hariri de Beyrouth.
Mais l'influence de l'ambassadeur américain va bien au-delà des affaires militaires, et s'étend à la politique libanaise. Le mois dernier, Mme Johnson a mené une campagne diplomatique, aux côtés d'autres ambassadeurs arabes et étrangers, pour s'assurer que les dirigeants actuels de l'armée et de la sécurité libanaises demeureraient en poste - malgré la fin de leur mandat - en organisant des réunions avec le président du Parlement , Nabih Berri, et le Premier ministre intérimaire, Najib Mikati, afin de s'assurer de leur soutien.
La position fragile de l'armée libanaise
Mme Johnson, qui a déjà fait partie du personnel de l'ambassade à Beyrouth entre 2002 et 2004, s'appuie sur sa grande connaissance de la politique libanaise et a tissé un vaste réseau de relations. Dans un discours prononcé devant le Congrès américain en mai, elle a souligné le soutien bipartite aux forces armées libanaises et aux forces de sécurité intérieure, les qualifiant de "partenaires de confiance pour préserver la stabilité du Liban".
Depuis 2006, ces "partenaires de confiance" ont reçu près de trois milliards de dollars d'aide, soi-disant pour
"renforcer la souveraineté du Liban, réduire l'instabilité, déstabiliser les groupes terroristes et contrer le faux discours du Hezbollah selon lequel ses armes et ses combattants illicites seraient nécessaires à la défense du Liban".
Il s'agit d'un projet raté, puisque le Hezbollah remporte invariablement la majorité des suffrages exprimés lors des élections nationales libanaises.
Cette déclaration rappelle plutôt l' incident d'Odaisseh en 2010, lorsque les forces israéliennes ont tiré sur une patrouille de l'armée libanaise près de la Ligne bleue, provoquant la mort de deux soldats libanais et d'un soldat israélien, entraînant une intervention tendue de l'ONU.
L'intervention de l'armée libanaise s'inscrivait alors dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution 1701, qui imposait le retrait de l'armée israélienne au-delà de la Ligne bleue, et a permis à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) et à l'armée libanaise de se déployer dans la région et de mettre en place des patrouilles mixtes.
Dans la foulée, l'ambassade des États-Unis a convoqué le commandant de l'armée de l'époque, Jean Kahwaji, pour s'enquérir des détails de l'incident, vérifier le type d'armes utilisées et examiner si elles figurent parmi les armes et les munitions fournies par Washington.
Résister à la tutelle américaine
Malgré cette aide, l'armée libanaise est mal équipée pour protéger la souveraineté du pays. Le récent incident de Batroun, au cours duquel un commando de marine israélien a pénétré dans les eaux libanaises, kidnappé un capitaine de navire résidant dans cette ville du nord du Liban, puis est reparti sans même faire l'objet d'une déclaration de condamnation de la part de l'armée libanaise, montre à quel point les capacités de défense du Liban restent compromises.
Au début de cette année, l'armée libanaise a reçu un don américain d'une valeur de 25 millions de dollars, comprenant des renforts et des embarcations rapides, dans le cadre de la "coopération entre l'armée libanaise et l'armée américaine".
Selon Johnson, cette aide intervient dans le cadre du soutien aux capacités de l'armée libanaise, afin de la revaloriser et lui permettre de protéger les frontières maritimes. Cependant, la relation s'est avérée unilatérale, caractérisée par la soumission du Liban aux directives américaines - y compris les activités étrangères non autorisées sur son sol.
Outre l'assaut militaire israélien soutenu et armé par les États-Unis contre son peuple, son patrimoine et son territoire, le Liban lutte pour se protéger de l'hégémonie américaine en redoutant des sanctions économiques, d'autant que le pays est toujours aux prises avec une crise financière désastreuse.
L'État libanais peut prendre certaines mesures - au moins en partie - pour se protéger de cette domination, la diversification des relations internationales étant un point de départ essentiel pour réaffirmer sa souveraineté. Le renforcement des liens avec les puissances eurasiennes que sont la Chine et la Russie pourrait réduire la dépendance du Liban à l'égard du soutien américain et contrebalancer les pressions extérieures.
Vers un Liban indépendant
Ces dernières années, plusieurs projets économiques clés ont été entravés par les pressions américaines - des initiatives que le Liban aurait pu poursuivre librement grâce à une diplomatie équilibrée. En s'engageant avec des nations non hostiles aux États-Unis, le Liban peut diversifier ses alliances, créant ainsi des opportunités pour de véritables partenariats économiques au lieu de dépendre des miettes d'aide octroyées par Washington.
À moyen et long terme, Beyrouth doit se concentrer sur deux domaines fondamentaux : reconstruire une économie forte et auto-suffisante, et renforcer ses institutions constitutionnelles, démocratiques, judiciaires et exécutives afin d'accroître la transparence interne et de réduire ainsi la vulnérabilité à l'ingérence étrangère.
Plus le Liban s'appuiera sur sa force économique propre, moins il aura à subir de pressions internationales. Inversement, plus l'économie est faible, plus le pays est vulnérable.
Le renforcement du soutien populaire aux décisions de l'État, l'implication de la société civile et la mobilisation de l'influence de l'importante diaspora libanaise sont des étapes cruciales pour amplifier la voix du Liban sur la scène internationale. Ce n'est qu'en adoptant une approche indépendante et autonome que le Liban pourra surmonter le joug de la domination étrangère, restaurer son autonomie et s'assurer un avenir sans tutelle - où le peuple libanais déterminera son propre destin.