par Alexandre Lemoine
Une délégation turque dirigée par le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan a visité le Niger. Selon des sources officieuses, Ankara s'intéresse à l'accès aux gisements d'uranium, dont le géant nucléaire français Orano pourrait bientôt perdre totalement le droit d'exploitation.
En échange, il est probable que la junte au pouvoir se voie proposer des livraisons d'armes et des services de mercenaires. Cette année, la société turque de défense privée Sadat, spécialisée officiellement dans le conseil, la formation et le soutien logistique à l'international, a déjà été accusée de déployer ses «soldats de fortune» sur le territoire nigérien. Cette activité au Sahel représente un défi pour d'autres acteurs étrangers ayant des intérêts dans la région.
Selon des sources de Bloomberg, les ministres turcs des Affaires étrangères, de la Défense et de l'Énergie se sont rendus au Niger en mission «nucléaire». Ankara souhaite utiliser l'uranium nigérien pour développer son industrie nucléaire, notamment pour la centrale nucléaire d'Akkuyu sur la côte méditerranéenne, construite avec la participation de la Russie.
Il est possible que l'affaiblissement des positions de la société française Orano ait motivé l'activation de la Turquie au Niger. En juin, la junte militaire a retiré à la société européenne la licence d'exploitation de l'une des plus grandes mines d'uranium du monde, Imouraren. Orano poursuit des activités limitées sur un autre site près de la ville d'Arlit, mais comme le rapportait Jeune Afrique il y a une semaine, les Français pourraient bientôt perdre cet actif également.
Lors de la conférence de presse à l'issue de sa visite au Niger, Fidan n'a pas mentionné l'uranium. «Conformément à la vision de notre président, notre politique de partenariat avec l'Afrique devient de plus en plus institutionnelle et progresse chaque jour. Notre travail commun avec les pays africains dans des domaines tels que la diplomatie, l'économie, les finances, la sécurité, la défense, l'éducation et la santé continue de s'intensifier», a déclaré le ministre des Affaires étrangères.
Néanmoins, le ministre, qui dirigeait le contre-espionnage jusqu'en 2023, n'a pas caché qu'Ankara entendait utiliser la «diplomatie des armes» dans son dialogue avec Niamey. «Nous avons discuté de ce que nous pourrions faire pour améliorer l'industrie de la défense et le potentiel de renseignement du Niger. Nous avons également discuté des mesures à prendre contre le terrorisme, principale source d'instabilité dans la région du Sahel», a indiqué Fidan.
Les livraisons de matériel militaire sont l'un des principaux outils de l'expansion de la politique étrangère turque. Avant même que le Conseil national pour le salut de la patrie (CNSP) ne prenne le pouvoir au Niger par un coup d'État, ce pays sahélien entretenait de bons contacts avec la Turquie dans le domaine militaire et technique. Ainsi, en 2021, Niamey s'est doté du produit phare de l'industrie de défense turque, le drone Bayraktar TB2, ainsi que d'avions d'entraînement et de combat Hurkus-B.
La Turquie passe à présent au niveau supérieur de présence au Sahel. Cette année, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (SOHR), un centre de surveillance britannique avec un vaste réseau d'informateurs, a rapporté l'arrivée de centaines de combattants de Sadat au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Or Sadat est une société militaire privée qualifiée d'«armée personnelle» du président Recep Tayyip Erdogan. Selon le SOHR, le noyau des arrivants est composé de membres de formations rebelles recrutés en Syrie.
Malgré cela, le chef de Sadat, Melih Tanriverdi, a nié les informations sur la présence de ses mercenaires au Sahel dans une interview avec les médias français, en insistant sur le caractère consultatif de son entreprise. Cependant, sa rare apparition dans les médias pour commenter l'Afrique paraissait inhabituelle et n'a probablement fait que confirmer les soupçons.
En 2021, les représentants du Groupe international de crise qualifiaient le modèle d'activité turque au Niger d'extraordinaire pour Ankara en termes d'assistance militaire. Ils attiraient l'attention sur un accord militaire confidentiel signé avec les anciennes autorités du pays en 2020. Selon les experts, ce document légalisait un scénario de soutien opérationnel direct du Niger par la Turquie en cas de situations d'urgence.
La compétition pour l'uranium nigérien n'est pas exempte de risques en termes de concurrence internationale. Depuis 2023, l'Iran négocie avec le CNSP pour obtenir un accès aux mines. Selon le portail français Africa Intelligence, Téhéran vise à obtenir environ 300 tonnes de «yellow cake» de la mine d'Arlit, un concentré d'uranium utilisé dans la fabrication de combustible nucléaire. En échange, les dirigeants du CNSP se sont vu promettre des drones de combat et des missiles sol-air.
De plus, des spécialistes militaires d'Africa Corps (AC, ex-Wagner), une structure créée au sein des forces armées russes pour coordonner la présence en Afrique, opèrent également au Niger. En avril de cette année, leur chaîne officielle Telegram a annoncé l'arrivée au Niger du «premier avion avec des militaires et des volontaires» d'AC.
Selon le centre d'analyse Stratfor, proche de la CIA, l'activité de la Turquie au Sahel pourrait permettre aux États de la région d'éviter une dépendance excessive à l'égard du soutien russe. Ainsi, toute intensification de la présence d'Ankara dans la région représente déjà un défi en soi. En même temps, les experts de Stratfor notent que l'envoi des membres de Sadat «n'améliorera probablement pas la situation sécuritaire», étant donné le niveau élevé d'activité des groupes paramilitaires locaux.
source : Observateur Continental