14/10/2025 ssofidelis.substack.com  14min #293375

Le bunker militaire israélien secret situé sous le centre-ville de Tel Aviv était la cible de l'Iran

Le major général Shlomi Binder, chef des services de renseignement militaire israéliens, dans le centre de commandement souterrain de l'armée de l'air israélienne à Tel-Aviv. Photo publiée par © les Forces de défense israéliennes le 13 juin 2025, premier jour de la guerre des Douze Jours sur l'Iran.

Par  Jack Poulson &  Wyatt Reed, le 14 octobre 2025

Lorsque l'Iran a frappé une série de cibles au cœur du nord de Tel Aviv avec des missiles balistiques le 13 juin, les autorités israéliennes ont immédiatement bouclé la zone pour empêcher les journalistes de filmer les dégâts. "Le bâtiment de ce complexe vient d'être touché", a rapporté Trey Yingst de Fox News en arrivant ce soir-là sur le site de HaKirya, le quartier général du ministère israélien de la Défense, et du centre Azrieli situé à proximité. Mais en quelques secondes, des policiers israéliens sont arrivés pour  éloigner Yingst, posté juste au nord du pont HaKirya, du côté ouest de Menachem Begin Road.

Ce jour-là, des missiles iraniens  ont frappé la  tour nord du complexe d'appartements Da Vinci, à environ 550 mètres au sud-ouest de l'endroit où se trouvait Yingst. The Grayzone a déterminé que le bâtiment se trouve juste au sud des tours  "Canarit" /  "Kannarit" de l'armée de l'air israélienne et au-dessus d'un bunker souterrain des services de renseignement militaire géré conjointement par les armées américaine et israélienne. Selon une analyse d'e-mails divulgués, de documents publics et d'articles de presse israéliens, cet emplacement abriterait une installation de renseignement ultrasecrète et protégée contre les interférences électromagnétiques, connue sous le nom de "Site 81".

Israël censure agressivement les informations relatives à ses installations militaires et de renseignement urbaines, tout en accusant ses adversaires de se livrer aux tactiques dites du  "bouclier humain", une pratique consistant à protéger des cibles militaires avec des populations civiles, interdite par le droit international humanitaire. Si l'existence d'un  projet de l'armée américaine visant à agrandir le Site 81 pour en faire une installation de  6 000 mètres carrés a été largement rapportée dans des documents gouvernementaux vers 2013, son emplacement précis était inconnu.

Le major général Shlomi Binder, chef des services de renseignement militaire israéliens, dans le centre de commandement souterrain de l'armée de l'air israélienne à Tel-Aviv. Photo  idf.il par © les Forces de défense israéliennes le 13 juin 2025, premier jour de la guerre des Douze Jours sur l'Iran.

Une photo prise à l'extérieur du site 81 a été géolocalisée sur le terrain du complexe d'appartements Da Vinci, que l'un des résidents  accuse de servir de bouclier au quartier général de l'armée israélienne. Des courriels divulgués d'un ancien chef d'état-major de l'armée israélienne indiquent par ailleurs que le site 81 est un important centre de commandement et de contrôle. Le Jerusalem Post a également  rapporté que le missile iranien qui a frappé les tours Da Vinci s'était abattu "à deux pas du bureau de Netanyahu", alors connu sous le nom de "bâtiment 22". Le bureau du Premier ministre a été rénové quelques semaines seulement après la guerre de douze jours entre Israël et l'Iran en 2025, et aurait été touché lors de l'attaque.

L'armée israélienne a ensuite construit un centre de commandement souterrain plus grand à Kirya, surnommé "la forteresse de Sion",  prolongeant ainsi un ancien centre de commandement appelé  "The Pit" [la fosse]. Compte tenu de leur proximité géographique, temporelle et fonctionnelle, il est probable que "The Pit" soit relié au site 81. Des journalistes d'Israel Hayom et du  New York Times ont visité la "forteresse de Sion", sans toutefois révéler son emplacement précis ni la localisation de son entrée.

L'analyse d'une image provenant d'une étude réalisée en 2013 par le Corps des ingénieurs de l'armée américaine révèle qu'un "site d'essai souterrain" destiné à la construction prévue du Site 81 est situé à l'emplacement actuel des tours Da Vinci.

Géolocalisation du "site 81"

Malgré l'abrogation de la législation américaine interdisant sa publication, Google Maps continue de  flouter les images satellites contenant la moindre information stratégique sensible sur Israël. Dans la rue Leonardo da Vinci, juste en face des tours Da Vinci, Google a poussé sa censure pro-israélienne un cran plus loin en refusant de proposer des images Street View de la zone. La zone située à l'est de la rue Leonardo da Vinci et à l'ouest du centre Azrieli est également censurée par Yandex Maps, basé à Moscou : les images satellites et les métadonnées des tours Da Vinci sont  complètement bloquées.

Une photo du site 81, publiée en février 2013 par le Corps des ingénieurs de l'armée américaine dans le cadre d'un test de corrosion du revêtement en béton et du placage en acier galvanisé de la structure souterraine, peut géolocaliser l'emplacement actuel des tours d'appartements Da Vinci, avec la tour sud des deux tours Kannarit de 18 étages de l'armée de l'air israélienne, à proximité immédiate. Selon un  site web consacré aux tours Kannarit publié par l'entreprise de construction israélienne Danya Cebus, celles-ci ont été "construites pour le quartier général de l'armée de l'air israélienne". En 2002, l'entreprise israélienne de construction de cloisons en aluminium Alumeshet a  décrit ses travaux sur les tours comme incluant la conception d'une "structure d'absorption des explosions garantissant une sécurité maximale".

Haaretz a  rendu compte de l'existence du rapport de l'Army Corps, concluant que le site 81 est situé quelque part dans le centre de Tel-Aviv. Une analyse plus approfondie d'une photographie figurant dans le rapport révèle qu'elle a été prise à environ 60 mètres au nord de la rue Eliezer Kaplan, du côté est de la rue Leonardo da Vinci, à l'angle sud-ouest de Ha'Kirya

Carte des sites cruciaux concernés par les frappes aériennes iraniennes du 13 juin 2025 sur le quartier de Kirya à Tel-Aviv. Les sites indiqués en rouge ont été confirmés comme ayant été endommagés par les frappes.

La façade est de la tour Daniel Frisch, haute de 29 étages, occupe une grande partie de l'arrière-plan de la photo de l'Army Corps, sur laquelle on voit deux grands conteneurs de matériel prêts à être entreposés dans le sous-sol du site 81. À environ 160 mètres au nord-ouest du photographe, les arbres du parc Gerry Pencer masquent partiellement la base de la tour, tandis que le sommet de la tour London Ministores est visible juste à droite.

Les détails visibles sur la photo de l'U.S. Army Corps of Engineers correspondent exactement à ceux d'une image publiée en février 2019 sur Google Maps depuis l'angle sud-ouest d'Eliezer Kaplan et Leonardo da Vinci, et montrant les cinq conduits incurvés caractéristiques reliés à la tour Kannarit, juste au-dessus des clôtures.

L'intersection des rues Eliezer Kaplan et Leonardo da Vinci est visible sur une image de Google Maps datant de février 2019. C'est la seule image claire du site fournie par Google.

Le complexe Kirya situé parmi des boucliers humains

Un  rapport détaillé de France 24 sur la censure israélienne des reportages sur les frappes iraniennes a conclu que la couverture de l'attaque contre les tours Da Vinci  de 42 étages a probablement été délibérément retardée, affirmant

qu'"il semble que la censure soit à l'œuvre". Le média a noté que "le journal israélien Haaretz a attendu le 29 juin pour mentionner cette frappe dans un  article, soit deux semaines après l'attaque, alors que les images avaient déjà circulé en ligne".

En  racontant l'incident aux médias israéliens quelques semaines plus tard, un résident s'est souvenu avoir été informé de la véritable fonction de la tour lors d'une conversation avec un ami, qui lui avait demandé :

"Mon frère, tu ne comprends donc pas qu'ils ont approuvé la construction de toutes ces tours pour protéger Kirya ?"

"Aujourd'hui, je réalise que je paie 12 000 shekels [3 650 dollars américains] par mois pour protéger Kirya",

a expliqué le résident, utilisant le terme couramment utilisé pour désigner le quartier général de l'armée israélienne.

La géolocalisation de la photo du site 81 révèle que les tours Da Vinci protègent également les installations souterraines secrètes des services du renseignement. Le bunker serait apparemment situé à moins de 100 mètres d'une aire de jeux pour enfants, à proximité d'un grand  centre culturel communautaire inauguré au pied des tours en  juillet 2023. En implantant certaines de ses installations militaires les plus sensibles au cœur d'une zone civile, Israël pratique la méthode du bouclier humain, pratique souvent reprochée aux Palestiniens.

Une comparaison des deux images montre les cinq conduits caractéristiques situés sur la façade sud de la tour Kannarit sud, tels qu'ils apparaissent sur Google Maps (à gauche) et sur la photo de l'U.S. Army Corps of Engineers (à droite).

Les locataires d'un immeuble commercial de huit étages en plein cœur du complexe Da Vinci bénéficient également d'un accès direct aux services du renseignement militaire. La société israélienne d'intelligence artificielle Generative AI21 Labs, fondée par d'anciens membres de l'unité 8200, la branche du renseignement électromagnétique de l'armée israélienne, a confirmé plus tôt cette année la  participation des employés d'AI21 sur le développement d'un outil d'IA militaire similaire à ChatGPT, conçu pour cibler les Palestiniens. AI21, également  affiliée à l' université Stanford, a déclaré  avoir loué des surfaces aux quatrième et cinquième étages de l'immeuble de bureaux Da Vinci à la fin de l'année 2023.

Photo d'une aire de jeux dans le parc Gerry Pencer, dans le quartier Ha'Kirya de Tel-Aviv, juste à l'ouest de l'emplacement apparent du Site 81, datée d'octobre 2021. Crédit : utilisateur Google Maps Or Baruch.

Des capitaux israélo-américains financent les tours

Situées à proximité du complexe Da Vinci, les tours Kannarit ont été réalisées par l'entreprise de construction israélienne Danya Cebus, qui a  déclaré avoir travaillé de concert avec Solel Boneh. La participation majoritaire de la société mère de Solel Boneh, Shikun & Binui, a été  transférée de Shari Arison, alors la  femme la plus riche d'Israël, au promoteur immobilier Netanel H. « Naty » Saidoff, basé à Los Angeles, en milieu d'année 2018.

Ce dernier a supervisé plusieurs organisations à but non lucratif affiliées au gouvernement israélien dans la région de Los Angeles, notamment en présidant le Conseil israélo-américain (IAC), proche du Likoud, et en finançant le programme juridique de StandWithUs, un groupe de lobbying pro-israélien. Sagi Balasha, un collègue de Saidoff au conseil d'administration de Shikun & Binui, a été le premier PDG de l'IAC et du programme de propagande financé par le gouvernement israélien, Concert/Voices of Israel.

Le siège social de la société de cybersécurité au nom évocateur Perimeter 81, désormais filiale de Check Point Technologies, est également  situé à environ 40 mètres à l'ouest du Site 81. Check Point est en train de construire un  nouveau siège social à Tel-Aviv avec  Israel Canada Group, qui, associé à  Acro Real Estate, a acquis les droits du complexe Da Vinci en 2015 auprès de l'ancien siège du ministère de la Défense pour  830 millions de NIS (environ 207 millions de dollars). L'actuel PDG de Check Point, Nadav Zafrir, a dirigé l'unité 8200 entre  2009 et 2013.

Les  registres publics des contrats américains montrent que la succursale de Plano, au Texas, de la société allemande d'ingénierie M+W Group, désormais connue sous le nom d'Exyte, a signé en juin 2011 un contrat de 7,4 millions de dollars pour le site 81, couvrant l'assistance de la société à l'étude de l'Army Corps. La "phase 2" du projet, beaucoup plus conséquente, a ensuite été  attribuée à la société controversée Oxford Construction of Pennsylvania pour un montant de 29,6 millions de dollars, en août 2013. Les contrats ont ensuite été transférés à Oxford Federal, après une  faillite au titre du chapitre 7 en 2017. En 2018, Oxford Construction a fait l'objet d'une action en justice pour racket, fraude et fausse déclaration par négligence. Le dernier  paiement de 758 461 dollars à Oxford Federal pour les travaux de la "phase 2" sur le site 81 a été enregistré le 26 février 2019.

Des e-mails divulgués révèlent l'utilisation du site 81 aux fins de "commandement et de contrôle"

Un échange d'e-mails entre l'ancien commandant de l'OTAN, James Stavridis, et l'ancien chef d'état-major israélien, Gabi Ashkenazi, semble confirmer la présence d'un réseau de commandement et de contrôle opérant à l'intérieur du bunker du site 81, en plein cœur d'une zone civile densément peuplée.

"Bonjour Gabi", a écrit Stavridis à Ashkenazi le 1er septembre 2015.

"Je travaille avec une entreprise très intéressante appelée Think Logical, ici aux États-Unis. Elle construit des réseaux de commandement et de contrôle et vient de décrocher un important contrat avec l'IDF (Forces de défense israéliennes) sur le site 81".

The Grayzone a découvert cet e-mail dans une archive divulguée par un groupe de hacktivistes apparemment lié à l'Iran et connu sous le nom de Handala,  conservée par l'organisation américaine à but non lucratif Distributed Denial of Secrets.

"J'apprécie mon nouveau poste de doyen de la Fletcher School of Law and Diplomacy, ici à Boston, une école réputée spécialisée dans l'étude des relations internationales", déclarait l'e-mail de Stavridis, qui sollicitait l'aide d'Ashkenazi pour recruter "quelqu'un pour assister Thinklogical dans son implantation en Israël", de préférence "un général étoilé en retraite de l'armée israélienne".

Suite à une demande de commentaires de The Grayzone, Stavridis semble avoir inclus sa femme et son assistant personnel par erreur dans sa réponse : "Vous venez de recevoir ça ? Sûr ? Il a presque fini". Le message était accompagné d'un long pied de page décrivant les fonctions actuelles de Stavridis en tant que vice-président des relations internationales du groupe Carlyle et président du conseil d'administration de la fondation Rockefeller.

Le général Ashkenazi et M. Pajer n'ont pas répondu aux demandes de commentaires. Les Forces de défense israéliennes ont également ignoré les trois demandes envoyées par e-mail à des adresses distinctes des porte-parole de l'armée.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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