26/03/2025 ssofidelis.substack.com  13min #272940

 Israel assassine deux autres journalistes palestiniens !

Le dernier article de Hossam Shabat

Par Drop Site News, le 24 mars 2025

Publié quelques heures avant son assassinat par une frappe aérienne israélienne, le journaliste Hossam Shabat décrit la reprise de la campagne de la terre brûlée par Israël dans sa ville natale de Beit Hanoun.

Hossam Shabat est mort. Je suis au-delà de la rage et du désespoir en écrivant ces mots. L'armée israélienne a bombardé sa voiture ce matin alors qu'il se rendait à Beit Lahia. Des vidéos envahissent mon écran montrant son corps gisant dans la rue, transporté à l'hôpital, pleuré par ses collègues et ses proches. C'est le genre de scènes tragiques que Hossam lui-même documentait si souvent pour le monde entier. C'était un journaliste exemplaire : courageux, infatigable et dévoué au récit de l'histoire des Palestiniens à Gaza.

Hossam a fait partie des rares journalistes à être restés dans le nord de Gaza pendant la guerre génocidaire d'Israël. Sa capacité à couvrir l'une des campagnes militaires les plus brutales de l'histoire récente était presque incompréhensible. Pendant dix-sept mois, il a été témoin de morts et de souffrances indicibles presque quotidiennement. Il a été déplacé plus de vingt fois. Il a souvent eu faim. Il a enterré nombre de ses collègues journalistes. En novembre, il a été blessé lors d'une attaque aérienne israélienne. J'ai encore du mal à croire que je parle de lui au passé. Israël efface le présent.

Lorsque j'ai contacté Hossam en novembre pour lui demander d'écrire pour Drop Site News, il était enthousiaste.

"Salut habibi. Que Dieu te protège. Je suis très heureux d'avoir cette opportunité", a-t-il écrit. "On peut penser à tant d'idées, de scènes, d'histoires".

Sa première  tribune libre pour Drop Site a été le récit poignant d'une campagne d'expulsion massive et brutale menée par l'armée israélienne à Beit Lahia, qui a contraint des milliers de familles palestiniennes à fuir l'un des derniers abris de la ville assiégée :

"Certains blessés sont tombés sur la route sans espoir d'être soignés. 'Je marchais dans la rue avec ma sœur', raconte Rahaf, 16 ans. Elle et sa sœur étaient les seules survivantes de leur famille après une frappe aérienne qui a tué 70 personnes. 'Soudain, ma sœur est tombée sous les bombardements. Je l'ai vue saigner abondamment, mais je ne pouvais rien faire. Je l'ai quittée dans la rue, et personne ne l'a sortie de là. Je criais, mais personne ne m'entendait'".

Son écriture était lyrique et captivante. J'ai eu du mal à traduire et à éditer ses articles, à leur rendre justice, à traduire son usage émouvant de l'arabe en quelque chose d'accessible en anglais. Dans le va-et-vient éditorial typique de la finalisation d'un article, je lui renvoyais souvent des précisions et des questions, lui demandant des détails supplémentaires et des citations directes. Il répondait toujours rapidement malgré sa situation difficile.

En janvier, Hossam a publié un article sur les trois jours entre l'annonce de l'accord de "cessez-le-feu" et sa mise en œuvre, période pendant laquelle Israël a intensifié sa campagne de bombardements sur Gaza :

"Ils ont bombardé l'école al-Falah, un pâté de maisons entier à Jabaliya, tuant des familles, comme celle des Alloush, dont les corps n'ont pas encore été retrouvés et gisent encore sous les décombres. Les enfants que j'ai vus ce soir-là semblaient heureux, mais ils n'étaient plus vivants, leurs visages figés dans ce mélange de sourire et de sang".

Début décembre, alors que j'écrivais l'introduction d'un de ses articles, je lui ai demandé de confirmer son âge. "Hahaha. Je suis jeune. 24 ans", a-t-il écrit. Puis, quelques instants plus tard, il a précisé : "En fait, je n'ai pas encore 24 ans. J'en ai 23". Je lui ai dit qu'il était jeune en âge seulement, mais vieux par l'expérience (c'est plus joli en arabe).

"Je suis vraiment fatigué", a-t-il répondu. "Je n'ai plus de force, je t'assure. Je n'arrive pas à trouver l'endroit où dormir. J'ai été déplacé 20 fois". Il poursuit : "Sais-tu que je suis le seul de ma famille à vivre seul dans le nord ?"

Le mois dernier, durant le "cessez-le-feu", il a pu 𝕏 retrouver sa mère pour la première fois en 492 jours.

En octobre, l'armée israélienne a placé Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur liste noire. À l'époque, il a déclaré qu'il se sentait "traqué". Il a appelé les gens à s'exprimer en utilisant le hashtag #ProtectTheJournalists :

"Je vous appelle tous à partager la réalité des journalistes afin de faire connaître les véritables plans de l'occupation israélienne visant à cibler les journalistes afin d'imposer un black-out médiatique. Diffusez le hashtag et parlez de nous !"

En décembre, après que l'armée israélienne a tué cinq journalistes lors d'une frappe aérienne sur leur véhicule, je lui ai envoyé un message pour prendre de ses nouvelles.

"Notre travail consiste juste à mourir", a-t-il répondu. "Je déteste le monde entier. Personne ne fait rien. Je t'assure que j'en suis venu à détester ce travail". À propos de ses collègues survivants, il a écrit : "Nous avons commencé à nous dire : 'OK, à qui le tour ?'... Nos familles nous considèrent déjà comme des martyrs".

Lorsque Israël a repris ses bombardements la semaine dernière, je lui ai envoyé un nouveau message pour prendre de ses nouvelles. Il m'a répondu en un mot : "C'est la mort".

Tout au long de cette période, Hossam m'a envoyé des idées d'articles, ou me racontait simplement ce qui se passait dans le nord. Dans ses messages et ses messages vocaux, il se montrait généralement chaleureux et drôle, comme pour se rebeller contre la mort qui le cernait.

Après l'entrée en vigueur du "cessez-le-feu", il est rentré dans sa ville natale de Beit Hanoun, à la frontière nord-est de Gaza. Pratiquement aucune structure n'était encore debout, mais il était déterminé à rester et à documenter la destruction.

Il m'a envoyé un message tard dans la nuit de dimanche, quelques heures seulement avant d'être tué. Il a dû quitter sa ville natale de Beit Hanoun le jour de la reprise des attaques par Israël la semaine dernière, et a été déplacé de force une fois de plus, cette fois à Jabaliya. Nous avions convenu qu'il écrirait un article sur l'attaque de la semaine dernière et sur ce dont il avait été témoin.

"Habibi", a-t-il écrit. "Tu me manques". Je lui ai demandé comment était la situation à Jabaliya. "Difficile", a-t-il répondu.

Il a envoyé son article, que j'ai lu en entier, puis j'ai envoyé mes questions complémentaires. Il n'a répondu qu'à l'une d'entre elles avant de se déconnecter. Je lui ai envoyé un autre message dès mon réveil ce matin. Je ne savais pas encore qu'il avait été tué.

Ce que vous allez lire est le dernier article de Hossam. Je l'ai traduit en pleurant.

-Sharif Abdel Kouddous

 Déclaration de Drop Site sur le meurtre par Israël de notre collègue Hossam Shabat

"Aujourd'hui, 24 mars 2025, Israël a tué le journaliste Hossam Shabat, reporter pour Al Jazeera et collaborateur de Drop Site News, dans ce que des témoins ont décrit comme une frappe ciblée. Hossam était un jeune journaliste formidable qui a fait preuve d'un courage et d'une ténacité remarquables en documentant le génocide facilité par les États-Unis contre les Palestiniens de Gaza. L'un des rares journalistes à ne pas avoir quitté le nord de la bande de Gaza, Hossam a été assassiné à Beit Lahia, le site de certaines des opérations de bombardement et de tuerie de masse les plus intenses menées par Israël.

"Drop Site News tient Israël et les États-Unis pour responsables de la mort de Hossam. Le journaliste Mohammad Mansour, correspondant de Palestine Today, a également été tué lundi lors d'une attaque israélienne contre une maison à Khan Younis, dans le sud de Gaza. Plus de 200 de nos collègues palestiniens des médias ont été tués par Israël - approvisionné en armes et bénéficiant d'une impunité totale de la part de la plupart des gouvernements occidentaux - au cours des dix-sept derniers mois.

"'Si vous lisez ceci, cela signifie que j'ai été tué, très probablement ciblé, par les forces d'occupation israéliennes', a écrit Hossam dans une déclaration 𝕏 publiée à titre posthume par ses amis sur leurs comptes de réseaux sociaux. 'Au cours des 18 derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J'ai documenté les horreurs du nord de Gaza minute par minute, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils ont tenté de dissimuler. J'ai dormi sur les trottoirs, dans les écoles, dans des tentes, partout où je pouvais. Chaque jour était une lutte de survie. J'ai enduré la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté mon peuple'.

"Hossam, qui n'avait que 23 ans, a envoyé des reportages poétiques et douloureux depuis Gaza. Il ne s'est jamais séparé de ceux dont il a documenté la vie et la mort. "Le temps ne se compte plus en minutes, mais en vies de douleur et de larmes", a écrit Hossam dans un  article pour  Drop Site en janvier, alors que les habitants de Gaza attendaient la mise en œuvre du cessez-le-feu. 'À chaque minute qui passe, l'anxiété et la tension des gens ici augmentent, alors qu'ils se demandent s'ils resteront en vie suffisamment longtemps pour que cette guerre cesse'.

"Alors que les journalistes palestiniens de Gaza continuent de documenter le génocide perpétré contre leurs familles et leur peuple, la plupart des gens dans le monde ne découvrent leur travail que par le biais de leurs reportages vidéo sur les réseaux sociaux. Ils sont bien plus que ces vidéos. Hossam est né dans une période d'escalade de l'annexion, du blocus et du génocide israéliens. Déterminé face aux privations et à la violence constantes, Hossam a résumé un jour le dévouement de sa vie dans une  interview : 'Je dis au monde que je continue. Je couvre les événements le ventre vide, avec détermination et opiniâtreté. Je suis Hossam Shabat, du nord résilient de la bande de Gaza'.

"Quelques heures avant d'être tué, Hossam a envoyé un article à Drop Site sur la reprise par Israël des bombardements de la bande de Gaza la semaine dernière, qui ont fait plus de 400 morts, dont près de 200 enfants, en quelques heures. Il était impatient de le publier. 'Je veux partager ce texte de toute urgence', a-t-il écrit en arabe. Il a toujours voulu faire connaître cette histoire, pour rendre compte de ce qui se passe sur le terrain. Il y a environ un an, Hossam a écrit : 'Avant que ce génocide ne commence, j'étais un jeune étudiant en journalisme. Je ne savais pas que l'on me confierait l'une des tâches les plus difficiles au monde : couvrir le génocide de mon propre peuple'.

"En octobre 2024, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. Hossam a régulièrement reçu des menaces de mort par téléphone et par SMS. Depuis près d'un an et demi, nous assistons à une campagne systématique de l'armée israélienne visant à tuer des journalistes palestiniens, ainsi que des membres de leur famille. Hossam laisse derrière lui sa  mère bien-aimée et son peuple, au nom desquels il s'est inlassablement battu, pour les représenter et les protéger.

"Durant cette campagne meurtrière sans précédent contre les journalistes, le silence de tant de nos collègues des médias occidentaux salit la profession. La Fédération internationale des journalistes a publié une  liste nominative de nombreux journalistes et professionnels des médias tués ou blessés à Gaza. Dans un monde juste, ceux qui ont contribué à tuer Hossam - et tous nos collègues palestiniens - seraient traduits en justice et jugés pour leurs crimes. Nous appelons tous les journalistes à élever la voix pour exiger qu'il soit mis fin au meurtre de nos collègues palestiniens qui ont risqué, et souvent donné, leur vie pour préserver la vérité.

"Le dernier message d'Hossam a été : 'Je vous demande maintenant de ne jamais cesser de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à raconter nos histoires, jusqu'à ce que la Palestine soit libre'".

Reportage du front sur la guerre d'anéantissement lancée par Israël

Histoire de Hossam Shabat

"BEIT HANOUN, GAZA - La nuit était sombre et le calme prudent. Tous se sont endormis inquiets. Mais la tranquillité s'est vite dissipée sous des cris assourdissants. Alors que les bombes pleuvaient, les cris des voisins ont annoncé les premiers moments de la reprise de la campagne militaire d'Israël. Beit Hanoun a été plongé dans la panique et la terreur. Des cris de détresse se mêlaient au sifflement des obus dans le fracas assourdissant de la catastrophe qui s'abattait sur la ville. Ce n'était que le début. Le massacre de familles entières a rapidement suivi. Des colonnes de fumée s'élevaient de partout. Les bombardements n'ont pas cessé un seul instant, noyant la ville sous une pluie incessante de feu et de souffrance.

"L'attaque israélienne se poursuit. L'occupation exerce ainsi toute sa brutalité avec des bombardements sans précédent, semant derrière eux des scènes de destruction et de carnage horribles. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, le nombre de morts au cours des six derniers jours a dépassé les 700, reflétant l'ampleur de l'immense souffrance humaine. L'OCHA signale également que Gaza souffre d'une grave pénurie de médicaments et d'aide médicale, exacerbant une situation déjà désastreuse.

"Au cours des six premiers jours de cette nouvelle opération militaire, le nord de Gaza a été le théâtre de quatre massacres sanglants. Le plus marquant a été le massacre de la famille Moubarak, qui a eu lieu alors que la famille s'était réunie pour les funérailles du Dr Salim Moubarak. En une fraction de seconde, leur deuil collectif s'est transformé en bain de sang. Toute la famille a été tuée : le Dr Salim, sa femme, ses enfants, ses parents. Il n'y a eu aucun survivant. Un témoin oculaire a résumé la situation en ces termes : "Ils ont tous été tués". Les victimes ont été tuées non pas sur un champ de bataille, mais dans une maison en deuil. Un crime dans tous les sens du terme.

"Ce massacre ne fut pas le seul : il a été suivi d'attaques successives contre d'autres familles, dont la famille Abu Nasr, puis la famille Abu Halim, rappelant les bombardements vicieux du tout début de la guerre, après le 7 octobre. L'agression est permanente, implacable, prenant pour cible des civils innocents sans distinction, ne laissant derrière elle que mort et destruction.

"Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'étais pas préparé à l'horreur dont j'allais être témoin. Les rues étaient jonchées de cadavres. Sous chaque pierre gisait un martyr. Des dizaines de personnes appelaient au secours sous les décombres de leur maison, mais on ne pouvait rien faire pour elles. Les cris se mêlaient aux hurlements de la foule, impuissante. Mes larmes coulaient en permanence. Les scènes dépassaient l'entendement. Les ambulances étaient remplies de cadavres, leurs corps et leurs membres empilés les uns sur les autres et entremêlés. On ne distinguait plus les enfants des hommes, ni les blessés des morts.

"À l'hôpital Al-Andalus, les scènes se sont avérées encore plus déchirantes. L'hôpital était rempli de martyrs. Les mères y faisaient leurs adieux silencieux à leurs enfants. Le personnel médical travaillait dans des conditions épouvantables, essayant de soigner les blessés avec les moyens les plus rudimentaires. La situation était intenable, avec un nombre effarant de morts et de blessés qui arrivaient à un rythme terrifiant.

"L'agression d'Israël se poursuit. Massacre après massacre, ne laissant dans son sillage que les cris des mères et les rêves des enfants tombés en poussière. Aucune justification n'est possible. Tout est broyé : la vie d'innocents, leur dignité, leurs espoirs d'un avenir meilleur".

Drop Site News

Hossam Shabat's Last Article

Hossam Shabat is dead. I am beyond rage and despair as I write these words. The Israeli military bombed his car this morning as he was traveling in Beit Lahia. Videos fill my screen of his body lying on the street, carried to the hospital, grieved by his colleagues and loved ones. These are the kinds of tragic scenes Hossam himself would so often docume...

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2 days ago · 1022 likes · 43 comments · Drop Site News

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