21/05/2024 les-crises.fr  21min #248988

 Un «vol flagrant et cynique» : la diplomatie russe met en garde contre toute saisie de ses actifs en Occident

Le financement de la guerre en Ukraine et l'échec des sanctions contre la Russie

Il est très peu probable que la Russie accepte de se soumettre à une nouvelle demande de Biden et de l'OTAN de « geler » les opérations militaires et de relancer des négociations.

Source :  LA Progressive, Jack Rasmus
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Cagle Cartoons : Vladimir Kazanevsky

Le week-end dernier, 20 avril 2024, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté un projet de loi visant à fournir à l'Ukraine une aide supplémentaire de 61 milliards de dollars. La mesure a été rapidement adoptée par le Sénat et presque immédiatement promulguée par le président Biden.

Toutefois, ces fonds ne changeront pas grand-chose à l'issue de la guerre sur le terrain, car il semble que la plupart des équipements militaires financés par les 61 milliards de dollars aient déjà été produits et, pour la plupart, expédiés. Sur les 61 milliards de dollars votés par le Congrès, seuls 10 milliards de dollars seront susceptibles d'être consacrés à l'achat de nouvelles armes et de nouveaux équipements.

Sous réserve de vérification, les premiers rapports sur la composition de ces 61 milliards de dollars indiquent que 23,2 milliards de dollars serviront à payer les industriels américains de l'armement pour les armes déjà produites et livrées à l'Ukraine. Une autre tranche de 13,8 milliards de dollars est destinée à remplacer les armes des stocks de l'armée américaine qui ont été produites et sont sur le point d'être expédiées, mais qui ne l'ont pas encore été, ou qui sont des armes supplémentaires qui doivent encore être produites. La ventilation de ce dernier montant de 13,8 milliards de dollars n'est pas encore claire dans les premiers rapports. On peut raisonnablement supposer que 10 milliards de dollars au maximum représentent des armes qui n'ont pas encore été produites, tandis que 25 à 30 milliards de dollars représentent des armes qui ont déjà été expédiées à l'Ukraine ou qui sont en cours d'expédition.

Au total, le montant pour les armes déjà livrées à l'Ukraine, en attente d'expédition ou à produire s'élèvent donc à environ 37 milliards de dollars.

En ce qui concerne le reste des 61 milliards de dollars on a 7,8 milliards de dollars d'aide financière à l'Ukraine pour payer les salaires des fonctionnaires du gouvernement jusqu'en 2024. 11,3 milliards de dollars supplémentaires pour financer les opérations actuelles du Pentagone en Ukraine - ce qui ressemble étrangement à la rémunération des conseillers américains, des mercenaires, des opérations spéciales et des forces américaines chargées de faire fonctionner les équipements tels que les radars, les systèmes de missiles Patriot avancés, etc. sur le terrain. Un autre montant de 4,7 milliards de dollars est destiné à des dépenses diverses, dont on ne sait ce qu'elles sont.

En d'autres termes, sur les 61 milliards de dollars, seuls 13,8 milliards sont destinés à l'achat d'armes qui ne sont pas encore en possession de l'Ukraine !

Et ces 13,8 milliards de dollars sont tout ce que l'Ukraine obtiendra probablement en termes de financement pour de nouvelles armes pour le reste de l'année 2024 ! Comme les 23 milliards de dollars déjà présents sur le théâtre des opérations, ils seront probablement épuisés en quelques semaines cet été, lorsque l'offensive majeure de la Russie - la plus importante de la guerre - sera lancée à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. Alors, que peuvent faire les États-Unis s'ils veulent continuer à financer l'économie, le gouvernement et les efforts militaires de l'Ukraine cet automne et par la suite ?

En d'autres termes, quelle est la stratégie de Biden et de l'OTAN pour aider l'Ukraine, militairement et économiquement, une fois que les 37 milliards de dollars auront été dépensés à la fin de l'été ? D'où viendra l'argent ?

Pour comprendre comment les États-Unis et l'OTAN prévoient de financer la production ultérieure d'armes pour l'Ukraine à la fin de 2024 et au début de 2025, il faut tenir compte non seulement du projet de loi de 61 milliards de dollars, mais aussi d'un second projet de loi également adopté par le Congrès le week-end dernier et auquel les médias grand public n'ont pas accordé beaucoup d'attention.

Celui-ci pourrait potentiellement permettre de dégager jusqu'à 300 milliards de dollars pour l'Ukraine venant des États-Unis et de leurs alliés du G7, en particulier les alliés de l'OTAN en Europe, alors que 260 de ces 300 milliards de dollars se trouveraient dans des banques de la zone euro.

Stratégie à court terme de Biden/USA 2024

Les 61 milliards de dollars ne sont manifestement qu'un palliatif pour tenter de financer l'armée et le gouvernement ukrainiens jusqu'à la fin de l'été. Au-delà, la stratégie plus complète de Joe Biden consiste à maintenir l'Ukraine à flot jusqu'après les élections américaines de novembre. Outre les 61 milliards de dollars - dont les États-Unis espèrent qu'ils permettront à l'Ukraine de passer le cap des élections américaines de novembre (mais ce ne sera probablement pas le cas) - la stratégie américaine consiste à obtenir des Russes qu'ils acceptent d'entamer une forme de négociation. Les États-Unis profiteront alors de ces discussions pour exiger le gel des opérations militaires des deux belligérants pendant la durée des négociations. Mais la stratégie de Biden « geler et négocier » a déjà fait long feu, car il est tout à fait clair pour les Russes qu'il s'agit essentiellement pour les États-Unis et l'OTAN de « gagner du temps », et la Russie s'est déjà fait avoir une première fois. Comme le dit l'adage populaire américain, « fool me once shame on you, fool me twice shame on me » : « Dupe-moi une fois, honte à toi, dupe-moi deux fois, honte à moi ».

Les Russes sont déjà tombés dans le piège du « suspendons les combats et négocions » avec le traité de Minsk II en 2015-16. La Russie avait, à l'époque, accepté d'interrompre les opérations militaires dans le Donbas, mais l'OTAN et le gouvernement ukrainien se sont servis de l'accord de Minsk comme couverture pendant qu'ils reconstituaient les forces militaires de l'Ukraine, lesquelles ont ensuite été utilisées pour attaquer les provinces du Donbass. Les dirigeants européens Angela Merkel (Allemagne) et François Hollande (France) ont ensuite admis publiquement en 2022 que le seul but de Minsk II était de « gagner du temps ».

Les Russes ont à nouveau été dupés de la même manière lors des discussions de paix d'Istanbul qui se sont tenues en avril 2022. Lors de ces négociations, l'OTAN leur a demandé de faire preuve de bonne foi en retirant leurs forces des environs de Kiev, ce qu'ils ont fait. Les négociations ont ensuite été interrompues par Zelensky, sur la forte recommandation de l'OTAN, et l'Ukraine a lancé une offensive pour chasser jusqu'aux frontières du Donbass les Russes qui étaient en train de se retirer.

Il est donc très peu probable que la Russie se plie une troisième fois à la demande de Biden et de l'OTAN de « geler » les opérations militaires et d'entamer de nouveau des négociations.

Il se pourrait que Biden ait une nouvelle fois en tête de « gagner du temps », mais ce coup a déjà été joué deux fois et la Russie fera (et fait) savoir à l'Occident qu'elle n'est pas désireuse d'acheter quoi que ce soit à l'Occident et que son « argent » n'a plus aucune valeur.

La volte-face de Johnson, Président de la Chambre

On doit l'adoption par la Chambre des représentants des États-Unis de cette aide palliative à l'Ukraine de 61 milliards de dollars à la volte-face du président de la Chambre, Mike Johnson, qui a autorisé le vote dans l'hémicycle après avoir dit pendant des semaines qu'il s'y opposerait. Les grands médias américains ont beaucoup spéculé quant aux raisons qui ont poussé Johnson à revenir sur sa position et à autoriser le vote du projet de loi sur l'aide à l'Ukraine. Toutefois, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi il a changé d'avis.

Au cours des dernières semaines, les entreprises d'armement américaines ont exercé un lobbying intense en coulisses auprès des principaux présidents Républicains de commissions. Après tout, on parle ici d'au moins 37 milliards de dollars de paiements pour des armes - déjà livrées ou à livrer. Ce n'est pas une somme négligeable, même pour des entreprises très rentables comme Lockheed, Raytheon, etc. Selon certaines rumeurs, le lobbying des entreprises a eu l'effet escompté sur les présidents républicains des commissions de la Chambre, qui ont alors fait pression sur Johnson pour qu'il autorise le vote à l'assemblée. Le vote final à la Chambre a été de 310 voix pour, 111 contre, 210 Démocrates se joignant à 100 Républicains pour adopter la mesure, ce qui montre que le noyau dur du soutien au complexe militaro-industriel américain à la Chambre des Représentants est d'au moins les trois quarts (au Sénat des États-Unis, il est probablement encore plus élevé).

Le vote a donc été le résultat d'une « manœuvre parlementaire » au cours de laquelle tous les Démocrates se sont ralliés au président Républicain de la Chambre (qui a changé de parti le temps de la manœuvre). Une minorité de Républicains l'a rejoint. Une courte majorité de Républicains s'est opposée à la mesure. Leur opposition demeure. Il est donc très peu probable que le Congrès accorde davantage de fonds à l'Ukraine pour le reste de l'année, même si les 61 milliards de dollars destinés aux armes et au gouvernement ukrainien seront épuisés à la fin de l'été.

Et donc, que se passera-t-il si les 61 milliards de dollars sont épuisés bien avant les élections de novembre ?

On peut éventuellement trouver une réponse à cette question dans le vote de la deuxième enveloppe de financement de l'Ukraine le week-end dernier. Les 61 milliards de dollars n'ont pas été la plus importante décision législative de la Chambre des représentants des États-Unis. Alors que la plupart des commentaires des médias ont porté sur ce projet de loi d'aide à l'Ukraine, presque rien n'a été dit dans les grands médias sur un autre projet de loi également adopté au cours du week-end. Or cette seconde mesure a des implications stratégiques bien plus importantes pour les intérêts des États-Unis dans le monde que les 37 milliards de dollars de livraisons d'armes à l'Ukraine. Il s'agit du projet de loi HR 8038, un texte de 184 pages nommé à tort « 21st Century Peace Through Strength Act » (loi sur la paix par la force du 21e siècle), qui constitue un nouveau train de sanctions américaines (le 16e ?).

Transfert de 300 milliards de dollars d'actifs russes à l'Ukraine

La première étape du projet de loi prévoit une procédure permettant aux États-Unis de contraindre la société chinoise Tik Tok à vendre ses actifs à un consortium d'investisseurs financiers américains, qui serait dirigé par Steve Mnuchin, ancien secrétaire au Trésor américain de l'époque Trump. Cette mesure s'inscrit dans le cadre de l'extension de la liste des sanctions à l'encontre de la Chine. Les achats de pétrole iranien par la Chine sont également sanctionnés, sans compter une série de sanctions supplémentaires à l'encontre de l'Iran même. Toutefois, la mesure la plus importante concerne les sanctions à l'encontre de la Russie.

Le 21st Century Peace Through Strength Act préconise que les États-Unis transfèrent 5 milliards de dollars représentant leur part des 300 milliards de dollars d'actifs russes saisis dans des banques occidentales et gelés en 2022 au début de la guerre contre l'Ukraine. Cette loi définit une procédure pour remettre ces 5 milliards de dollars à l'Ukraine afin qu'elle continue de financer ses efforts de guerre ! Depuis la saisie des avoirs il y a deux ans, cette mesure a fait l'objet de rumeurs et de débats aux États-Unis et en Europe. Mais le processus de transfert concret des fonds saisis est désormais lancé avec l'adoption de ce deuxième projet de loi par la Chambre des représentants des États-Unis.

La part de 5 milliards de dollars des États-Unis dans les banques américaines n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des 300 milliards de dollars. La Russie n'en aurait probablement cure, puisqu'il s'agit d'une simple  » marge d'erreur  » par rapport à ses recettes totales provenant de la vente de pétrole, de gaz et d'autres matériaux divers. Mais selon Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, l'Europe détient 260 des 300 milliards de dollars. Une somme rondelette pour laquelle la Russie a menacé de prendre des mesures de rétorsion contre l'Europe si cette dernière suivait l'exemple des États-Unis et de Biden et commençait également à transférer ses 260 milliards de dollars à l'Ukraine.

Le projet de loi américain indique sans ambiguïté que le transfert des 5 milliards de dollars américains est imminent. Le projet de loi requiert de l'administration Biden qu'elle établisse un « Fonds de défense pour l'Ukraine » où seront déposés les 5 milliards de dollars américains. Si une partie des 5 milliards de dollars n'est pas sous forme d'actifs liquides, le président américain est également autorisé par le projet de loi à liquider ces actifs et à déposer le produit de la vente dans le fonds. La saisie et le transfert des 5 milliards de dollars à l'Ukraine sont donc une affaire réglée. Cela créera un précédent juridique que l'Europe pourra utiliser pour suivre et transférer ses 260 milliards de dollars.

On peut s'attendre à ce que les États-Unis exercent une forte pression sur l'Europe pour qu'elle le fasse. Le projet de loi autorise en outre Biden à « négocier » avec l'Europe et les autres partenaires du G7 pour les convaincre de faire de même, c'est-à-dire de saisir leur part des 300 milliards de dollars, de les liquider et de transférer les liquidités dans le « Fonds de défense pour l'Ukraine» des États-Unis. Jusqu'à présent, les États-Unis ont réussi à « convaincre » l'Europe - par le biais de leur domination sur l'OTAN ainsi que de leur emprise sur l'économie européenne et les élites politiques au sein de la Commission européenne et du Parlement européen - de suivre la politique américaine sans trop de résistance. Au cours des dernières décennies, l'Europe est rapidement devenue une sorte de satellite économique et se trouve dans une situation de dépendance politique par rapport aux États-Unis, plus que disposée à se plier à toutes les orientations politiques souhaitées par les États-Unis.

Il est clair que la saisie et la redistribution à l'Ukraine des 300 milliards de dollars via le Fonds de défense pour l'Ukraine est le moyen par lequel les Etats-Unis/Otan prévoient à plus long terme de continuer à financer la guerre en Ukraine après l'épuisement des 61 milliards de dollars en 2024 ; et certainement en 2025 et au-delà. En effet, les États-Unis n'ont pas l'intention de mettre fin à leur guerre par procuration menée par l'OTAN en Ukraine dans un avenir proche. Ils cherchent simplement à « gagner du temps » avant les élections de novembre.

En effet, au sein des deux partis américains - démocrate et républicain - on trouve désormais un consensus pour poursuivre la guerre. Peu importe qui gagnera la présidence ou quel parti sera majoritaire au Congrès après le mois de novembre. Les élites politiques des deux côtés de l'allée du Congrès sont unies sur la poursuite de la guerre en Ukraine - tout comme elles sont unies pour continuer à financer Israël mais aussi pour l'expansion constante de la guerre économique des États-Unis contre la Chine. Au cours de la semaine écoulée, il est évident que de nouvelles sanctions américaines contre la Chine sont également à venir, y compris peut-être l'annonce de sanctions financières contre celle-ci pour la première fois après la toute récente visite de Blinken, Secrétaire d'État américain.

L'échec des sanctions contre la Russie : passé et futur

Les objectifs géopolitiques des États-Unis et leur engagement à poursuivre leurs trois guerres ont des effets négatifs non voulus sur les économies des États-Unis et de leurs alliés du G7, en particulier l'Allemagne. Mais ces mêmes sanctions n'ont eu que peu ou pas d'impact négatif sur l'économie russe.

La récente décision des États-Unis de transférer leur part de 5 milliards de dollars sur les 300 milliards de dollars de la Russie accélérera les conséquences négatives, en particulier pour l'Europe, si cette dernière suit l'exemple des États-Unis et transfère sa part (260 milliards de dollars) à l'Ukraine, ce qu'elle finira par faire.

Comme l'a dit Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne, à propos du plan et de la législation des États-Unis : « il faut un examen très attentif ». Les dirigeants politiques britanniques se sont déjà prononcés en faveur de la confiscation et du transfert à l'Ukraine des 260 milliards de dollars d'actifs russes détenus par l'Europe. Ces dernières années, l'Europe a toujours capitulé devant les politiques et les exigences économiques des États-Unis. Il en sera de même cette fois-ci.

Si l'Europe se joint aux États-Unis pour transférer sa part de 260 milliards de dollars d'actifs russes qui se trouvent dans les banques européennes (dont la plupart en Belgique), il est presque certain que la Russie réagira de la même manière et saisira un montant au moins égal d'actifs européens encore en Russie. C'est ce qu'a officiellement déclaré récemment le Parlement russe.

Les sanctions du G7 et de l'OTAN prévoyaient notamment d'obliger les entreprises occidentales implantées en Russie à liquider leurs affaires et à quitter le pays. Certaines l'ont fait. Mais beaucoup d'autres non. La réaction de la Russie a été d'organiser le transfert des actifs des entreprises de l'UE qui ont quitté le pays vers des entreprises russes. Cela a de fait stimulé l'économie russe. En effet, des subventions du gouvernement russe - et donc des dépenses publiques - ont été accordées aux entreprises russes qui reprenaient ces actifs, et elles ont d'autre part réalisé des investissements supplémentaires après avoir acquis les actifs des entreprises de l'UE qui ont quitté le pays.

En bref, le train des sanctions occidentales incitant les entreprises occidentales à quitter la Russie a eu l'effet inverse du résultat escompté, à savoir la réduction des dépenses du gouvernement russe et des investissements des entreprises.

En revanche, depuis le début de la guerre en février 2022, la quinzaine de paquets de sanctions imposés par les États-Unis et l'OTAN à ce jour n'ont eu que peu d'impact, voire aucun, sur l'économie russe. Pour ne citer que quelques-uns des indicateurs économiques clés de la Russie sous le régime des sanctions. (Note : toutes les données suivantes proviennent de la source de recherche globale américaine) :

Au cours des six derniers mois, le PIB de la Russie a augmenté, passant de 4,9 % (3e trimestre 2023) à 5,5 % (4e trimestre). Les statistiques de l' indice des directeurs des achats (PMI) de la Russie montrent une forte expansion de l'industrie manufacturière et des services au cours de la même période, alors que dans la plupart des grandes économies européennes, les deux indicateurs PMI se contractent. La croissance des salaires en Russie au cours des six derniers mois a été en moyenne de 8,5 % pour les deux trimestres (alors que cette moyenne est de moitié inférieure aux États-Unis et de moins de 1 % en Allemagne). Les recettes du gouvernement russe sont passées d'environ 5 000 milliards de roubles au troisième trimestre à 8 700 milliards au quatrième. Les dépenses militaires sont passées de 69,5 milliards de dollars à 86,3 milliards de dollars. Les dépenses de consommation ont atteint des niveaux record au cours du dernier trimestre. La dette des ménages russes en pourcentage du PIB reste stable à environ 22 % (alors qu'elle est de 62,5 % aux États-Unis). La production de pétrole brut et les exportations en général continuent d'augmenter régulièrement. L'essence reste à 60 cents le litre (contre cinq à six fois plus aux États-Unis et plus de dix fois en Europe). Le taux de chômage en Russie reste stable à 2,9 % (alors qu'aux États-Unis et en Europe, il est quatre à cinq fois supérieur). Les taux d'intérêt et l'inflation sont plus élevés en Russie, mais cela représente une économie qui tourne à plein régime et n'est pas nécessairement négatif.

En bref, il est difficile de trouver une seule statistique montrant que l'économie russe a été affectée négativement par le régime de sanctions des États-Unis et de l'OTAN au cours des deux dernières années. On peut même affirmer que celles-ci ont dopé l'économie russe au lieu de l'affaiblir.

La dernière sanction en date, à savoir le transfert par les États-Unis et le G7 des 300 milliards de dollars d'actifs russes saisis dans les banques occidentales, aura presque à coup sûr un effet similaire sur l'économie russe. En effet, la distribution de ces 300 milliards de dollars entraînera la saisie, à hauteur d'un montant équivalent, par le gouvernement russe des actifs des entreprises européennes qui se trouvent encore en Russie. Cela permettra de financer de nouvelles subventions gouvernementales au profit des entreprises russes, suivies d'investissements privés supplémentaires.

L'empire américain se tire-t-il une balle dans le pied ?

Mais l'acte désespéré des États-Unis et de l'Europe de transférer à l'Ukraine les 300 milliards de dollars d'actifs russes qui se trouvent dans les banques occidentales aura une conséquence encore plus grave.

Les banquiers occidentaux, les responsables des politiques économiques et de nombreux économistes ont mis en garde contre la saisie et le transfert de ces 300 milliards de dollars. Les dirigeants des banques centrales américaines et autres, les PDG des grandes banques commerciales et même des économistes du courant dominant comme Shiller, de Yale, n'ont cessé de mettre en garde publiquement contre un transfert des actifs qui ébranlerait considérablement la confiance dans le mécanisme de la monnaie américaine, pilier de l'empire économique mondial des États-Unis.

Quels pays du Sud voudront désormais placer (ou laisser) leurs avoirs dans des banques occidentales, en particulier en Europe, s'ils pensent que ces avoirs pourraient être saisis en cas de désaccord avec les politiques promues par l'empire ? Il est clair que les États-Unis ont commencé à imposer des sanctions « secondaires » à l'encontre des pays qui ne respectent pas leurs sanctions primaires contre la Russie. Les États-Unis vont-ils également saisir les avoirs de ces pays « secondaires » qui se trouvent actuellement dans des banques occidentales s'ils ne respectent pas le principe du refus de commercer avec la Russie ? Et qu'en est-il de la Chine, puisque les États-Unis ont commencé à étendre leurs sanctions - primaires et secondaires - à ce pays également ? Il faut s'attendre à des sanctions financières sans précédent à l'encontre de la Chine à la suite de la visite de Blinken en Chine cette semaine.

Les États-Unis ne réalisent pas que nous ne sommes plus dans les années 1980. Le Sud mondial s'est développé de manière spectaculaire au cours des dernières décennies. Ils réclament plus d'indépendance et plus d'influence quant aux règles de l'empire - sans quoi ils partiront tout simplement, maintenant qu'une alternative commence à apparaître avec l'expansion des pays des BRICS.

Récemment élargis à 10 membres (tous situés au Moyen-Orient et fortement producteurs de pétrole), pas moins de 34 pays supplémentaires ont demandé à rejoindre les BRICS. En outre, on dit que lors de la prochaine conférence des BRICS, fin 2024, un « cadre financier mondial alternatif » sera annoncé ! On y trouvera probablement un arrangement monétaire alternatif ainsi qu'un système de paiement international alternatif pour remplacer le système américain SWIFT (par lequel les États-Unis, par l'intermédiaire de leurs banques, peuvent voir qui viole leurs sanctions). Il est probable que le FMI, géré par les États-Unis, sera remplacé afin de garantir la stabilité de la monnaie et que la Nouvelle route de la soie de la Chine sera développée pour remplacer la Banque mondiale, gérée par les États-Unis. (Peut-être est-ce là le véritable sujet de la prochaine visite de Blinken en Chine).

En un mot, l'empire économique mondial des États-Unis entre dans sa période la plus instable. Et pourtant, la politique américaine consiste à accélérer ces solutions de remplacement en saisissant et en transférant des fonds à l'Ukraine pour qu'elle poursuive la guerre ! Les contrecoups en seront considérables, tant pour les intérêts américains que pour ceux de l'Europe. La résistance manifestée par le passé à l'égard des sanctions américaines n'en paraîtra, par comparaison, que plus dérisoire.

Comment pulvériser un empire !

L'histoire démontrera que les objectifs et les stratégies géopolitiques des États-Unis au XXIe siècle sont la principale cause du déclin de l'hégémonie économique mondiale des États-Unis depuis un quart de siècle. Ces objectifs et stratégies ont été en grande partie le fait de l'équipe de politique étrangère la plus ignare sur le plan économique de l'histoire des États-Unis, ceux qu'on appelle généralement les Néocons.

La saisie et le transfert des 300 milliards de dollars pourraient permettre de continuer de financer l'Ukraine dans le cadre de la guerre par procuration menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie jusqu'en 2024 et au-delà. Mais le moment ne pourrait être plus mal choisi pour les intérêts impériaux des États-Unis et de l'Europe, à la veille de la conférence historique des BRICS qui se tiendra plus tard cette année. Cet acte désespéré, saisie et transfert, ne fera que convaincre davantage de pays du Sud de chercher une autre alternative plus indépendante en rejoignant les BRICS, ou de commercer de plus en plus avec ce bloc.

L'histoire montre que les empires reposent en fin de compte sur des fondations économiques. Et ils se disloquent lorsque ces fondations qui les sous-tendent se fracturent avant de se désagréger.

À long terme, la conséquence du transfert de ces 300 milliards de dollars et le retrait du Sud global de la sphère de l'empire américain ne peut se traduire que par le déclin du dollar américain dans les transactions mondiales et en tant que monnaie de réserve. Ceci ne peut que déclencher une série d'événements qui, à leur tour, saperont l'économie nationale américaine : la diminution de la demande de dollars entraînant une baisse de la valeur du dollar. Ce qui signifie moins de réinjection de dollars vers les États-Unis, ce qui entraîne moins d'achats de bons du Trésor américain par la Réserve fédérale, ce qui obligera cette dernière à augmenter les taux d'intérêt à long terme pendant des années afin de couvrir les déficits budgétaires croissants des États-Unis. Tout cela se produira dans le cadre d'une crise budgétaire de l'État américain qui est déjà en train de s'intensifier et se détériorer rapidement.

En d'autres termes, le déclin de l'hégémonie mondiale des États-Unis, exacerbé par les sanctions en général et la saisie des actifs de pays comme la Russie en particulier, ne peut qu'avoir des répercussions presque certaines sur l'économie américaine à long terme, tout comme sur l'économie européenne à plus court terme.

Telle est la myopie économique des néoconservateurs américains et de l'élite politique incompétente des deux partis aux États-Unis ces dernières années. Comme le dit cet autre dicton américain : « Nous avons trouvé l'ennemi, c'est nous ! »

Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'auteur et ne reflètent pas les opinions ou les croyances du LA Progressive.

PAR JACK RASMUS

Jack Rasmus est l'auteur du livre récemment publié, « The Scourge of Neoliberalism : US Economic Policy from Reagan to Trump », Clarity Press, 2020 (Le fléau du néolibéralisme : la politique économique américaine de Reagan à Trump). Il s'exprime sur le site Predicting the Global Economic Crisis (en anglais).

Source :  LA Progressive, Jack Rasmus, 24-04-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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