Par Jacques Valentin
4 avril 2020
Depuis que l'échec des mesures de confinement prises dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) a commencé à être connu, le gouvernement n'a cessé d'user de subterfuges pour retarder la publication du nombre de cas et de la mortalité dans les établissements concernés, qui s'annonce très élevée. Lire à ce sujet l'article « Paris dissimule les décès des séniors liés au Covid-19 dans les Ehpad ».
Jeudi 2 avril, Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé a annoncé que 884 personnes âgées résidant dans un Ehpad étaient mortes en France depuis le début de l'épidémie de coronavirus. 14 638 cas « confirmés ou possibles » ont également été recensés dans ces structures. Toutefois ces données restent incomplètes puisque selon Salomon, « Il s'agit d'un premier chiffre partiel, avec de grandes inégalités dans le recueil entre régions et un travail important est en cours pour regrouper l'ensemble de ces données ».
Aucune information n'est disponible sur la mortalité par Covid-19 dans les autres types d'établissement pour personnes âgées et dans les autres structures sanitaires et sociales, tout comme pour la mortalité à domicile.
Face à la plus grave épidémie depuis un siècle, le gouvernement n'effectue pas un décompte sérieux des décès. Il dissimule la gravité de la situation en ramenant le nombre de décès à ceux survenant en réanimation à l'hôpital. Cela complique sérieusement le suivi épidémiologique de l'épidémie et la prise des mesures de protection adaptées selon les catégories de populations.
La situation dans les Ehpad est particulièrement choquante et dramatique. La désinvolture avec laquelle a été traitée l'épidémie est illustrée par l'Ehpad de Thise dans le Doubs, près de Besançon, où dix résidents ont été contaminés par une aide soignante revenant de Mulhouse. Le 7 mars, le journal local, indiquait que « Contactée, l'ARS indique [que] leur état n'inspirait pas d'inquiétude et [qu'ils] auraient été hospitalisés si besoin. Les résidents qui ont contracté le virus sont confinés dans leur chambre afin "de ne pas contaminer d'autres personnes au sein de l'Ehpad". »
Début avril France 3 région résumait sobrement l'étendue de la catastrophe qui a frappée l'établissement : « Depuis la détection des premiers cas de Covid-19 au sein de l'Ehpad, le 5 mars, 25 personnes sont décédées, soit plus d'un quart des 80 résidents de l'établissement dont la moyenne d'âge était de 88 ans, a indiqué le maire de la commune de Thise, Alain Loriguet. »
Macron et le gouvernement répétaient en février et mars que l'épidémie était incontrôlable et qu'il ne fallait pas bloquer l'économie par des mesures limitant les déplacements. Il fallait laisser s'installer une immunité de groupe dans la population en laissant diffuser le virus, en tentant de contenir un peu l'épidémie, par des mesures limitées, jusqu'à son arrêt « naturel ».
Confrontés aux chiffres apocalyptiques des experts sur le nombre de décès qu'entrainerait la poursuite de cette stratégie du laisser faire, Macron et Philippe ont brutalement effectués un virage à 180 degré vers le confinement, mais sans jamais reconnaître qu'ils changeaient complètement de stratégie. De ce fait, de nombreuses mesures inadaptées décidées précédemment ont été maintenues, comme la réalisation d'un nombre dérisoire de tests de dépistage.
Le ministère de la santé, avec l'apparition de la phase épidémique le 14 mars avait ainsi défini la règle que « les patients présentant des signes de COVID-19 ne sont plus systématiquement classés et confirmés par test biologique »
La nécessité « impérieuse » de « faciliter la mise en place des tests de dépistage dans ces établissements et l'accès aux moyens de protection pour le personnel, comme pour les résidents » a pourtant été rappelée le 30 mars par le Comité Consultatif National d'Ethique. Mais à ce jour l'impréparation du gouvernement et le manque de moyens dédiés à l'épidémie sont tels que cette recommandation ne peut toujours pas être mise en œuvre, notamment pour les tests de dépistages.
C'est pourquoi le gouvernement, qui redoute les conséquences sur l'opinion mais aussi d'un point de vue judiciaire de la diffusion de toutes ces informations accablantes sur sa responsabilité dans la gestion de l'épidémie, tente de dissimuler le nombre de personne touchées par la maladie et le nombre de décès dans les Ehpad. De très nombreuses familles ont un aîné vivant en Ehpad.
Le gouvernement prétend qu'il doit créer un outil pour recueillir et exploiter les données, ce qui serait à l'origine des délais rencontrés. Selon LCI du 25 mars, « La DGS nous explique qu' "une application permettant la remontée quotidienne du nombre de décès survenus en établissement médico-social sera opérationnelle dans les tous prochains jours. »
En réalité le Ministère peut déjà s'appuyer sur un outil de haut niveau scientifique, le recueil des données piloté par Santé publique France, effectués dans le cadre du suivi des épidémies de grippe et plus largement des infections respiratoires aiguës et qui sont synthétisés dans le "Bulletin hebdomadaire de la grippe" qui coordonne les principales institutions ayant une expertise dans ce domaine. Santé publique France suit l'épidémie dans la population générale, à l'hôpital et dans les établissements pour personnes âgées.
C'est le Haut Conseil de Santé Publique qui a fixé, dès 2012, la " Conduite à tenir devant une ou plusieurs infections respiratoires aiguës dans les collectivités de personnes âgées". La définition du critère donnant lieu à un signalement obligatoire d'un épisode de cas groupés d'infection respiratoire aiguë [IRA] avec transmission interhumaine en établissement est la suivante (p. 39): "Survenue d'au moins 5 cas d'IRA dans un délai de 4 jours parmi les résidents. Les personnels ne sont pas pris en compte dans les critères de signalement mais les cas les concernant sont à recenser."
La dénomination d'IRA concerne la grippe mais aussi d'autres affections respiratoires transmissibles comme le COVID-19.
Le bulletin 11 de suivi de la grippe du 18 mars, le dernier mis en ligne, proposait donc comme chaque semaine une section faisant la synthèse de la situation dans les collectivités de personnes âgées qui signale que « 655 épisodes de cas groupés d'infection respiratoire aiguë (IRA) ont été signalés à Santé publique France » Il précise que « Trois épisodes en lien avec le COVID-19 ont été rapportés ces dernières semaines, dont 2 en S11. »
Alors que l'épidémie de grippe approchait de sa fin en semaine 10 et a été exceptionnellement bénigne cette année, le redémarrage épidémique observé était selon le Bulletin « probablement liée à l'épidémie de COVID-19 en France sans qu'il ne soit possible de déterminer la part de l'augmentation liée à un recours aux soins plus fréquent, en cas de symptôme grippal, par crainte de l'infection par le SARS-CoV-2, et celle liée à des cas réels de COVID-19. »
Ainsi l'administration dispose contrairement à ce que prétend le ministère de la santé d'un outil fiable de signalement des cas groupés d'infection respiratoire aiguë en institution pour personnes âgées. Il suffisait de de mettre à disposition les tests de dépistage du Cov-19 pour avoir dès la fin mars un outil de suivi performant et complet des cas et des décès. Certaines Agences Régionales de Santé qui ne respectent pas la consigne d'étouffement gouvernementale de l'information peuvent fournir des informations relativement complètes via la filière déjà existante, par exemple dans le Centre-Val de Loire.
Il ne s'agit pas ici d'incompétence, mais d'un arbitrage aux sommets de l'État cassant un outil qui aurait permis de suivre l'épidémie de Cov-19 dans les collectivités pour personnes âgées.
Face à l'indifférence criminelle des dirigeants politiques et des décideurs économiques du capitalisme européen à la vie humaine, la seule façon d'imposer un changement de politique et de définir les responsabilités pénales des gouvernements est de mobiliser le classe ouvrière en lutte contre le gouvernement Macron et l'Union européenne.