Les changements ont été promulgués via une série de décrets exécutifs publiés le 4 décembre. Ils n'ont été accompagnés d'aucun communiqué de presse ou débat public, et n'ont été initialement révélés que grâce à un article du blog français de données et de technologie Next INpact. Les décrets élargissent considérablement les conditions dans lesquelles la police peut créer des fichiers personnels détaillés sur les individus et les informations que ces fichiers peuvent contenir.
En novembre, selon le ministère de l'Intérieur, ces fichiers de police - qui sont distincts de ceux tenus par les agences de renseignement - contenaient les informations personnelles détaillées de plus de 60 000 personnes dans tout le pays.
Ceci devait maintenant être développé encore plus. Auparavant, les directives mentionnaient la collecte et l'analyse d'informations sur des « personnes » individuelles. Cela a été remplacé pour inclure à la fois les « personnes physiques » et les « personnes morales » - cette dernière étant une définition en droit français d'une association légale - ainsi que les « groupements ».
Le terme « groupement » est si vague qu'il engloberait sans aucun doute les grands groupes de réseaux sociaux et les mouvements de protestation, y compris les manifestations des "gilets jaunes" contre les inégalités sociales, organisées sur des groupes Facebook comptant jusqu'à 300 000 personnes. Le décret précise que des données peuvent être collectées sur « les personnes physiques entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec [l'association] ou le groupement... »
Les critères pour déterminer qui est considéré comme un « risque » ont également été élargis. La version précédente de la loi faisait référence aux individus qui menaçaient la « sécurité publique ». La nouvelle version fait référence aux menaces contre « la sécurité publique ou la sécurité de l'État », « l'intégrité du territoire ou des institutions de la République » et « les intérêts fondamentaux de la nation ». Ce dernier terme est défini séparément comme incluant « les principaux intérêts industriels, économiques et scientifiques de la France » et sa « politique étrangère ».
Les informations que la police est chargée de documenter ont également été modifiées. Auparavant, la loi faisait référence à la documentation des « activités politiques, philosophiques, religieuses et syndicales » de l'individu en question. Cela a été changé en « opinions politiques, convictions philosophiques et religieuses ou appartenance à un syndicat ». La police doit également cerner les activités sur réseaux sociaux de ceux qui sont ciblés.
De manière significative, comme l'a noté l'association de défense des libertés individuelles Quadrature Du Net, le décret a également supprimé une clause qui excluait explicitement l'utilisation des fichiers de la police pour la reconnaissance faciale à grande échelle.
Le gouvernement Macron est en train de mettre en place un État policier pour réprimer l'opposition de masse de la classe ouvrière aux inégalités sociales, à l'austérité et aux politiques militaristes droitières de l'establishment politique. L'année dernière, le gouvernement Macron a approuvé des changements similaires aux orientations stratégiques de l'agence nationale de renseignement et de lutte contre le terrorisme, déclarant que le rôle des agences de renseignement était de contrer les « mouvements subversifs » et les « violences insurrectionnelles » au sein de la population.
En 2014, la « Stratégie nationale de renseignement » énumérait cinq champs d'intervention: le terrorisme, l'espionnage et l'ingérence économique, la prolifération des armes de destruction massive, les cyberattaques et le crime organisé. La nouvelle version comprend une nouvelle catégorie, « Anticipation des crises et des risques de ruptures majeures ». Sous le titre « Subversion violente », elle déclare que « la montée en puissance des mouvements et réseaux à caractère subversif constitue un facteur de crise d'autant plus préoccupant qu'ils visent directement à affaiblir, voire à ruiner les fondements de notre démocratie, et les institutions républicaines par la violence insurrectionnelle ».
Ces changements soulignent le fait que la vaste expansion des pouvoirs de police et l'évidement des droits démocratiques de la population, introduites sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme » au cours des deux dernières décennies, sont dirigées contre l'opposition sociale de la classe ouvrière. S'exprimant jeudi dernier sur France Info, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a déclaré que les nouvelles règles de documentation policière étaient nécessaires car « les opinions politiques en lien avec les partis extrémistes, de ceux qui prônent la séparation, la révolution, doivent être connus par les services de renseignement ».
Le Parti socialiste a critiqué les derniers changements tout en sachant que son vote ne serait pas nécessaire pour les faire respecter. Son porte-parole Boris Vallaud a appelé au retrait de la loi. Mais le Parti socialiste a joué un rôle de premier plan dans le renforcement des pouvoirs policiers, promulguant sous François Hollande, à compter de 2015, un état d'urgence de deux ans qui suspendait les droits démocratiques.
Une série de lois d'État policier sont actuellement présentées par Macron. Le 24 novembre, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture sa loi sur la « sécurité globale » qui criminalise, entre autres changements anti-démocratiques, l'enregistrement de la police sur vidéo. La veille la police avait, dans un déchaînement de violence, attaqué un campement pacifique de réfugiés dans le centre de Paris.
Face aux protestations de masse continues, notamment des manifestations mobilisant des centaines de milliers de personnes le 28 novembre, Macron a temporairement retiré l'article 24, le plus controversé de la loi, mais s'est engagé à le « réécrire ». De plus, d'autres aspects de la loi de « sécurité globale », notamment la codification de l'utilisation de drones pour espionner toute personne qui assiste à une manifestation, restent en place.
Soulignant l'importance de ces changements simultanés, l'organisation Quadrature du Net a noté dans son rapport, « Si, via la loi sécurité globale, tous les manifestants pourront être
filmés en manifestation et que, via le fichier TAJ, une grande partie d'entre eux pourra être identifiée par reconnaissance faciale, le PASP et le GIPASP leur a déjà préparé une fiche complète où centraliser toutes les informations les concernant, sans que cette surveillance ne
soit autorisée ni même contrôlée par un juge. »
En même temps, le gouvernement Macron s'apprête à adopter sa loi « anti-séparatisme », rebaptisée « respect des principes de la République », qui donnera à l'État de nouveaux pouvoirs pour dissoudre les associations et organisations légalement constituées, y compris des partis politiques, au motif qu'elles sont déclarées hostiles à la République.
La loi anti-séparatisme est présentée dans le contexte d'une campagne anti-musulmane d'extrême droite dans les médias et l'establishment politique. À la suite de l'assassinat terroriste du professeur d'école Samuel Paty le mois dernier, le ministre de l'Intérieur Darmanin avait annoncé la fermeture de plus de 75 mosquées et la dissolution de dizaines d'associations musulmanes ; et il avait dénoncé la présence de produits halal et d'autres aliments internationaux dans les rayons des supermarchés. La campagne anti-musulmane est utilisée pour promouvoir et légitimer les néo-fascistes, diviser la classe ouvrière sur des critères religieux et justifier les attaques contre les droits démocratiques de la population.
En France et dans le monde, la démocratie bourgeoise est en décomposition et se disloque. Aux États-Unis, Trump continue de défier le résultat de l'élection présidentielle et de déclarer sa détermination à rester au pouvoir. En Allemagne, le parti fascisant Alternative pour l'Allemagne a été élevé au rang d'opposition officielle au parlement. La réponse de la classe dirigeante à la croissance des grèves et des manifestations de gauche dans la classe ouvrière à l'international depuis 2018 est de se tourner vers la dictature.
L'élite dirigeante se prépare à une explosion d'opposition sociale provoquée par sa réponse criminelle à la pandémie ; elle a laissé mourir des millions de personnes pour protéger les profits des grandes sociétés qui, autrement, seraient impactées par un confinement économique prolongé. La réponse de la classe ouvrière doit être de développer sa propre lutte, indépendante de tous les partis capitalistes, pour le pouvoir politique et pour l'établissement de gouvernements ouvriers et du socialisme.
(Article paru en anglais le 14 décembre 2020)