Les actions non violentes de « réquisitions » des portraits du président de la République ont donné lieu à des « directives » policières particulières : poursuites pour vol aggravé en réunion, contacts avec le Bureau de la lutte antiterroriste, mobilisation du Service central de renseignement criminel...
C'est un petit tweet qui en dit long. Vendredi 22 mars, l'ancien eurodéputé du Front national Jean-Yves Le Gallou a posté sur la toile une déclaration rageuse estampillée du hashtag #DictatureMacron : « Le retour du crime de lèse-majesté ! Le service antiterroriste et le Service central de renseignement criminel de la gendarmerie mobilisés prioritairement pour punir ceux qui décrochent le portrait de Macron dans les mairies. » Attachée à son tweet, une photo d'un écran d'ordinateur sur lequel on lit distinctement un curieux courriel. Les destinataires sont des gendarmes de Lorient, qui nous ont confirmé par téléphone la véracité de cette image. L'objet indique « directives concernant les vols de portraits présidentiels dans les mairies ». Le tout est signé du colonel Marc de Tarlé, sous-directeur adjoint de la police judiciaire, sur ordre du directeur général de la gendarmerie nationale.
Le courriel reçu par les gendarmes en fin de semaine dernière.
Que dit ce message en provenance des hautes sphères de l'appareil étatique, envoyé dans tous les départements ? Il s'agit de « contrer le phénomène », à savoir l'opération « Sortons Macron » lancée par ANV-COP21 le 21 février dernier. Ces actions non violentes consistent à aller décrocher des photos officielles d'Emmanuel Macron afin « d'interpeller le gouvernement et l'opinion publique sur l'urgence climatique et sociale, et sur l'insuffisance des réponses apportées par le gouvernement », comme l'expliquait Léa Vavasseur, une des porte-paroles du mouvement, la semaine dernière. La quasi-totalité des 27 « réquisitions » menées jusqu'à aujourd'hui se sont déroulées dans le calme, parfois avec le soutien des maires ou du personnel présent. Malgré tout, les autorités ont pris l'affaire très au sérieux.
« Ils veulent absolument nous coller des procès »
Revenons donc à cette directive de la police judiciaire. Elle demande aux gendarmes de « s'assurer qu'une procédure judiciaire de flagrance soit systématiquement ouverte pour vol aggravé (en réunion) » et de « recueillir les plaintes des maires ou à défaut, celles des préfets en substitution ». « Ils veulent absolument nous coller des procès, résume Txetx Etcheverry, membre de l'association Bizi et d'ANV COP21. Mais comment vont-ils faire quand des centaines de militants auront décroché des centaines de portraits ? Aurons-nous des centaines de procès ? Pour eux, ça va être compliqué. Pour nous, ces audiences seront autant de tribunes, afin de juger l'inaction climatique du gouvernement. »
Plus révélateur encore de la préoccupation des autorités vis-à-vis de ces actions non violentes, le courriel encourage les gendarmeries départementales à « prendre attache avec le BLAT afin de déterminer les modalités à mettre en œuvre pour rechercher la responsabilité morale de l'association ». Le BLAT n'est pas un insecte exotique, mais le Bureau de lutte antiterroriste. Sur Internet, la présentation de cette unité opérationnelle créée en 2003 ne laisse aucun doute quant à ses missions : « Spécialisée dans l'antiterrorisme, et dépendant de la sous-direction de la police judiciaire, de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) », elle a été reconnue « comme un des services spécialement chargés de la prévention et de la répression des actes de terrorisme ». Le BLAT est « chargé d'analyser, d'élaborer et de diffuser le renseignement aux autorités ayant à en connaître », et « de coordonner, au niveau national, l'action des unités ou services de gendarmerie impliqués dans la lutte contre le terrorisme, les extrémismes violents ou encore les atteintes à la sûreté de l'État ».
Joint par Reporterre, le service communication de la gendarmerie relativise : « Ce n'est pas parce que le BLAT est saisi que cela va prendre une ampleur exceptionnelle, nous explique-t-on. Il n'y a pas de sensibilité particulière, le courriel n'était d'ailleurs pas classifié, c'est de la routine, comme indiqué en tête du message. » Une explication balayée par Me Alexandre Faro, avocat des militants climatiques : « Ce n'est pas normal de mobiliser des unités spécialisées dans la lutte antiterroriste pour poursuivre des militants dont les actes ne menacent ni la sûreté ni l'intégrité de l'État, dit-il. Il s'agit de plaintes pour vol, donc de délit de droit commun : où est l'intérêt ou la nécessité de mobiliser le Bureau de lutte antiterroriste ? »
« Cette réaction très forte des autorités montre que nos actions fonctionnent »
« La direction générale émet régulièrement des directives de ce type pour qu'on puisse connaître rapidement un phénomène et pour pouvoir avoir une réponse plus adaptée, explique-t-on encore à la gendarmerie nationale. Le BLAT suit certains phénomènes de ce type, qui nécessitent des renseignements et peuvent avoir des conséquences en matière judiciaire. Le but est d'avoir vite une connaissance assez fine de ce qui se passe. » De fait, en plus du BLAT, le Service central de renseignement criminel (SCRC) est missionné, d'après la directive envoyée par courriel, afin d'effectuer « un bilan hebdomadaire le mardi des comptes-rendus de police judiciaire de vols faisant apparaître les termes "portraits présidentiels", et/ou "ANV - COP21" ». Là encore, le SCRC n'est pas un service quelconque, mais l'organe chargé « d'apporter des informations et une compréhension précise de la criminalité organisée et de masse afin d'orienter les actions dans la lutte contre la délinquance dans les phases préjudiciaires et judiciaire ».
« Deux options peuvent expliquer un tel dispositif, estime Me Faro. Soit le zèle des fonctionnaires, qui veulent satisfaire leur hiérarchie, soit une dérive autoritaire inquiétante, qui cherche à confondre terroristes et militants écologistes. » Quoi qu'il en soit, cette directive envoyée début mars a déjà commencé à porter ses fruits judiciaires. En un mois, 22 militants ont été placés en garde à vue, 16 domiciles ont été perquisitionnés, et 14 personnes sont poursuivies en procès. Et signe de plus, s'il en fallait un, de la « sensibilité » du sujet, le tweet de M. Le Gallou a disparu de la toile depuis la publication d'un premier article de nos confrères du Monde.
« Cette réaction très forte des autorités montre que nos actions fonctionnent, note néanmoins Txetx Etcheverry. On a trouvé un moyen absolument non violent pour dire qu'on n'acceptera plus que le président de la République ne mette pas en place de politiques concrètes à la hauteur du défi climatique. On a trouvé une action qui fait mal à Macron parce qu'elle ruine ses efforts de communication. Lui veut se poser en leader international du climat, alors que, dans son pays, il ne fait rien. Ses discours sont vides d'actes. » Pour le militant basque, ces « réquisitions » vont continuer, malgré les poursuites : « On est dans un moment de vérité, c'est à chacun de voir s'il est prêt à prendre le risque de passer en procès, voire d'être condamné, pour tirer la sonnette d'alarme sur l'urgence climatique, affirme-t-il. Mais les gens n'ont pas peur, ils sont prêts, et depuis que la répression durcit, les actions se multiplient. »